Saint-Barth -

La réglementation de la pêche va évoluer pour mieux protéger les requins

Après un an de suivi scientifique financé par l’Europe sur les raies et requins de Saint-Barthélemy, l’ATE a organisé des réunions avec les pêcheurs professionnels et de plaisance la semaine dernière pour parler réglementation de la pêche.

Le premier enseignement qu’Océane Beaufort, spécialiste des requins de l’association Kap Natirel missionnée par l’ATE, tire de son étude est très positif : les requins sont nombreux à Saint-Barthélemy. C’est ce qu’elle a expliqué aux pêcheurs de l’île, invités la semaine dernière à une réunion de concertation sur une évolution de la réglementation de la pêche. Si aucun de la cinquantaine de pêcheurs professionnels locaux n’a fait le déplacement, quelques plaisanciers sont venus. Jeunes et moins jeunes, Saint-Barth et résidents, apnéistes ou pêcheurs à la ligne… Tous les bords étaient représentés.

« Sur 400 caméras immergées, nous avons vu un requin ou une raie sur 80% des enregistrements. Pour comparaison, en Guadeloupe et Martinique, nous sommes à moins de 20%. A Saint-Barthélemy, vous avez une chaîne alimentaire qui certes n’est pas parfaite, mais qui est saine. Et de vrais fonds marins, alors qu’ils sont très dégradés dans beaucoup d’endroits des Antilles françaises », explique la jeune scientifique. 


Mako et longimane interdits
Avec le directeur de l’Agence territoriale de l’environnement, Sébastien Gréaux, ils ont fait un point sur la réglementation actuelle : pêche au requin interdite du 1er mai au 31 août, et de tous temps dans la réserve naturelle. L’animal doit être débarqué entier et l’ATE informée. Enfin, certaines espèces sont complètement interdites de pêche : le requin nourrice, marteau, baleine ainsi que toutes les raies, sauf la pastenague. « A l’issue de ce projet, nous proposerons un plan d’action. Ce sont les gestionnaires qui mettront ou non en place une nouvelle réglementation », précise Océane Beaufort en préambule, devant un public attentif.

« Pourquoi la pêche au requin nourrice est-elle interdite ? Pour moi, il est en surpopulation… » remarque un plaisancier. « Il est très peu consommé, sa pêche ressemblait donc plutôt à une tuerie gratuite. Et si on l’enlève, on laisse une niche libre dans la chaîne alimentaire qui peut potentiellement être occupée par d’autres espèces nocives pour les récifs coralliens », répond la spécialiste. « Les requins marteau et baleine, c’est uniquement pour entrer dans le cadre de la réglementation nationale. » Dans la même veine, l’interdiction totale de pêche de deux autres espèces, le mako, prédateur ultrarapide, et le longimane, avec ses airs de Boeing, devraient entrer dans la réglementation de Saint-Barthélemy courant 2019. Sans difficulté a priori car ces espèces sont rarement observées, encore plus rarement pêchées.

En cas de pêche accidentelle, le pêcheur doit tout faire pour la libérer dans les meilleures conditions possibles. Et si c’est impossible, il faut ramener la bête entière, contacter l’ATE, et est dans l’interdiction de la commercialiser, afin de ne pas créer de demande. « Le problème, c’est que si tu pêches un mako, tu ne peux pas retirer ton leurre au risque de perdre une main… Et ce sont des leurres qui valent 300 ou 400 euros », note un connaisseur.


« Si on pêche le requin, c’est pour continuer de pêcher le colas »
La consommation de requins n’est pas très répandue. C’est plutôt la pêche accidentelle qui pèse sur les populations, et notamment lors des sorties aux colas, prisées par de nombreux amateurs de ce bon poisson. Elles se déroulent la nuit, à l’heure où les requins chassent eux aussi le colas. « Le problème, c’est que l’hameçon peut tuer l’animal s’il l’avale, s’il se prend dans les branchies, il peut aussi arracher ou déplacer la mâchoire du requin qui sera dans l’incapacité de chasser. » Pour réduire les risques, Océane Beaufort préconise donc d’utiliser au maximum des hameçons type « circle hook », et le moins possible en inox. « On ne va jamais pêcher le colas avec un circle hook », note quelqu’un. « D’ailleurs, si on pêche le requin, c’est pour continuer de pêcher le colas... »

Océane Beaufort propose alors la mise à disposition de matériel type longue pince d’électricien ou dégorgeoir, pour faciliter le retrait de l’hameçon. Un pêcheur expérimenté n’y croit pas : « Ce ne sera pas utilisé… Ce qu’il faut, c’est sensibiliser les gens sur le fait de relâcher ce qu’ils ne consommeront pas. » L’idée est tout de même retenue : sur 500 permis de pêche plaisance délivrés par l’ATE, certains auront peut-être envie de bénéficier de ce matériel et de la formation qui va avec.

« Rares sont les jours où la mer est d’huile... »
« Pour la pêche du colas, c’est vrai que c’est compliqué », admet la scientifique. « Peut-être pourrait-on, avec vos retours, identifier les zones et les périodes de présence du requin. » « A partir du moment ou il y a du frais, il y a du requin », répond un sceptique. « Le problème aussi, c’est qu’auparavant, on pêchait le colas de septembre à février. Maintenant, c’est toute l’année. » « Rares sont les jours où la mer est d’huile », tempère un apnéiste.

L’éventualité de limiter le nombre de requins par bateau ou la taille maximale de la prise est abordée. Océane Beaufort : « La difficulté, c’est qu’un requin d’un mètre est adulte si c’est un chien, mais n’a que 3 ans si c’est un citron. Et on ne peut pas fixer une taille pour chaque espèce, c’est trop compliquer de les identifier. » Ces propositions seront à étudier. La discussion dévie sur tous les types de pêches, les espèces, les aventures des uns et des autres. « Il faudrait faire ça plus souvent ! » conclut un participant ravi, après deux heures de réunion.

Le résultat du travail de suivi scientifique de l’ATE et Kap Natirel sera présenté au public prochainement. D’ici là, un documentaire est en ligne sur Youtube (tapez « Best of sharks and Ray St Barth »). Des recommandations seront faites pour protéger le requin et les raies, qui outre leur intérêt pour la biodiversité, sont aussi une manne économique pour le tourisme.


JSB 1312


Photo > En mai 2017, un pêcheur de l’île avait fait sensation en ramenant au port cet énorme requin mako. Une espèce rarement observée dans nos eaux, qui doit être interdite de pêche courant 2019, comme le veut la réglementation régionale. 







Journal de Saint-Barth N°1312 du 24/01/2019

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