Mardi 1er octobre sera célébrée la journée mondiale du végétarisme. Que ce soit par éthique envers les animaux, pour sa santé ou par conscience écologique, les régimes végétarien et végétalien séduisent de plus en plus. Rencontre avec les habitants de Saint-Barthélemy qui ont choisi de manger sans viande, sans poisson, voire sans œufs ni lait.
«Pas de viande, pas de poisson, pas d’œufs, de lait, pas de cuir, pas de laine, pas de soie, pas de bijou en corne, pas de perle… Tout cela découle de l’exploitation animale », résume Sandrine, 49 ans, végane depuis plusieurs années. « Même voir de la viande, sentir… L’odeur du poulet grillé à Lorient, l’autre jour, beuark ! » Elle mime un haut-le-cœur. Sandrine est de plus en plus inflexible, et l’assume. Son aversion pour la chair animale est ancré en elle. « Déjà enfant, je supportais mal la viande. » Convaincue que les animaux et les hommes doivent coexister dans une égalité de droits, comme son amie Flora, 27 ans, vegan depuis 2011. «Quand il y a de l’exploitation animale, le but est de faire du profit. Ce n’est pas compatible avec le respect et le droit des animaux », explique-t-elle. Exemple : «On ne produit pas du lait pour rien, mais pour un bébé. Les vaches sont inséminées de façon artificielle, puis les veaux séparés de leur mère dès la naissance. » Sandrine renchérit : « Pour fabriquer des perles, on force l’huître à s’ouvrir, on y glisse un grain de sable qui la gêne. La fabrication de la nacre, c’est une réaction de souffrance de l’huître. » Si les deux femmes ont leurs convictions chevillées au corps, elles affirment qu’elles ne jugent pas leurs congénères omnivores. « Je ne pense pas que les gens soient mauvais ; mais qu’il y a une déconnexion qui se fait chez eux, entre l’animal et le contenu de l’assiette. »
Dans la patrie de Pantagruel, la vie sociale des vegans accuse le coup. « Je ne vais pas au restaurant », tranche tout simplement Flora. « J’ai de la chance, mon mari mange seulement des œufs, un peu de jambon… » Quand elle est devenue vegan après avoir assisté à une conférence sur le sujet, en 2011, son ancien compagnon, lui, a mal vécu l’affaire. Pour Sandrine, célibataire, il est de toute façon « inconcevable d’avoir de la viande dans mon frigo.» Effet de mode supposé, attaques de boucheries en métropole ? Qu’elle qu’en soient les raisons, les deux femmes attestent qu’il existe une crispation autour du veganisme en France et à Saint-Barth. « Quand je vivais à Montréal, on n’en parlait même pas. Ici, à chaque soirée, je reçois toujours des commentaires ou des blagues… » regrette Flora. Sandrine pointe du doigt des campagnes publicitaires imprimées dans la conscience collective. «Depuis toujours, on nous dit qu’il faut manger des produits laitiers pour le calcium, alors qu’il y en a davantage dans le sésame ou l’amande.» Les deux phrases qu’elles n’en peuvent plus d’entendre: “Mais tu manges rien !” et “Quand même, c’est bon le bacon” (ou autre pièce de viande, ndlr). « Au début, quand tu prends conscience et que tu deviens vegan, c’est comme un choc, tu as envie d’en parler, il y a une phase militante », analyse Flora. «Mais maintenant, je me fous de ce que mangent les autres, et j’aimerais bien que les autres s’en foutent aussi de ce que je mange. »
Guillemette, végétarienne depuis trente ans, malgré son métier de traiteur qui l’oblige à cuisiner de la viande, se dirige vers le véganisme elle aussi. En retirant, peu à peu, les aliments issus des animaux. Pour elle, «c’est un cheminement long, surtout que dans ma famille je serai seule à franchir ce cap. » Elle commence à proposer des recettes véganes à ses clients (lire par-ailleurs).
Les flexitariens, chacun sa motivation
Si le véganisme est un pas que tous ne sont pas prêts à franchir, les végétariens sont de plus en plus nombreux à Saint-Barth comme ailleurs. Avec des petites variantes selon les familles, ce qui en fait plutôt des flexitariens.
Stéphanie, 34 ans, ne mange que végétal, avec une exception pour le poisson local. Ce qui motive cette mère de famille, c’est surtout la qualité de son alimentation. Vers l’âge de 15 ans, son aversion pour la viande s’est confirmée. « C’était surtout de voir tout cet amas de chair dans les rayons, ce côté surconsommation, avec des viandes venues du monde entier… Et plus tard, la cause environnementale a appuyé ce choix. Mais c’est vrai que je n’ai pas la même conscience pour le poisson. » Son conjoint n’a pas arrêté la viande mais a suivi le mouvement en diminuant considérablement sa consommation. Quant à leurs enfants, ils choisiront. «L’aîné a décidé de lui-même de devenir végétarien il y a un mois. Il posait des questions, était demandeur d’informations sur le sujet », raconte sa mère. Qui s’avoue déçue de constater que la cantine scolaire ne prévoyait rien pour les enfants veggies.
Egalement mère d’un enfant de 6 ans, Geneviève a aussi choisi de ne rien lui imposer. Fille de boucher, elle n’a jamais pu s’empêcher de visualiser le lapin courir dans un champ quand on lui servait un civet. « A l’époque, manger de la viande, c’était signe de bonne santé, de force, alors le végétarisme était mal compris. » Elle inclus dans son alimentation les poissons et les crevettes, mais ils finiront sans doute par disparaître eux aussi de son assiette, peu à peu. Aucune difficulté dans les restaurants de l’île, qui ont du choix pour les végétariens ; c’est plus compliqué en cas d’invitations chez les amis. « Les gens ne savent pas quoi proposer, surtout lors de barbecues. Pourtant, c’est simple, je viens avec mon steak de soja. »
Des vegans aux flexitariens, plus qu’un effet de mode, on assiste surtout à un accroissement de la vigilance sur nos repas et leurs impacts éventuels. Les habitudes évoluent dans les foyers, chacun à son rythme. Mais il est certain que l’avenir sera plus végétal. Dans une étude sur la question parue début août, les experts du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) indiquaient qu’un « mouvement vers des régimes tournés vers les végétaux est essentiel pour atteindre les objectifs en matière de réchauffement climatique ». Une raison de plus de s’y mettre.
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« De la viande deux ou trois fois par semaine, c’est largement suffisant »
Messages contradictoires, volonté de manger éthique, de rester ou devenir mince, de limiter son impact sur l’environnement… Tout cela se mêle et beaucoup de consommateurs sont perdus. Isabelle Behnke, diététicienne à Saint-Barth, conseille d’éviter les excès, dans un sens come dans l’autre.
Végétarisme, végétalisme: ces régimes sont-ils sans risque pour la santé voire recommandés ? Pour la diététicienne Isabelle Behnke, il demeure « très difficile de se positionner ». Une rapide recherche permet de consulter des études dont les résultats sont très variables, si ce n’est contradictoires. «Déjà, il faut toujours regarder qui a financé l’étude... Mais de manière générale, les discours sont très discordants sur le sujet. »
Les spécialistes de la nutrition s’accordent pour dire que le fait de manger de la viande chaque jour est excessif. Du moins, cela ne répond pas à un besoin de l’organisme. «Manger de la viande deux fois par semaine, c’est largement suffisant. Les protéines végétales sont de très bonne qualité, et se digèrent plus facilement que celles contenues dans la viande. De plus, aujourd’hui, à travers la viande, on ingurgite de grosses doses d’antibiotiques. Le régime alimentaire des bêtes, qui sont végétariennes au départ, est modifié puisqu’on les nourrit au blé, voire on les rend carnivores avec les farines animales. La façon dont elles sont traitées et tuées influe aussi sur la qualité de la viande. Il est prouvé que les hormones de stress se retrouvent dans la viande. »
Tenir compte de l’individu
Selon Isabelle Behnke, il faut surtout tenir compte de la physiologie et des habitudes propres à chaque individu. Et ne pas prendre l’alimentation par un seul petit bout de la lorgnette. « Le veganisme peut être un peu excessif, et engendrer des déséquilibres d’humeur. Le régime le plus correct serait sans doute flexitarien. » C’est à dire, pour rappel, une alimentation basée sur les fruits et les légumes, « si possible de saison », avec des apports très occasionnels en viande et en poisson.
Plus globalement, elle constate parmi ses patients une véritable perte de repères concernant l’alimentation. «Les gens ne savent plus quoi manger. On entend des messages contradictoires. Par exemple, les œufs ont été diabolisés pendant des années, et aujourd’hui ils ne le sont plus. Ce qui est surtout important, c’est d’éviter au maximum les produits industriels transformés, qui contiennent des conservateurs, des sucres cachés… Et deuxièmement, réduire la consommation de sucre. On en absorbe beaucoup trop, c’est addictif. A mon avis, aujourd’hui, le principal problème est là. Ensuite, il faut garder le plaisir, ne pas culpabiliser quand on mange, et si possible essayer de manger responsable, par exemple en choisissant des œufs de poules élevées en plein air. » Pour finir, la diététicienne rappelle que quel que soit le contenu de l’assiette, le corps a un besoin primordial d’activité physique. « L’être humain est une machine complexe. »
JSB 1343