Attablé sur la terrasse de la maison familiale de Colombier, Patrick Gréaux jette un regard satisfait sur sa dernière réalisation. Deux portes moustiquaires qu’il a fabriquées avant de les installer sur l’entrée cuisine et l’entrée salon. « On est envahi de moustiques en ce moment », remarque-t-il en affichant un sourire empreint de sérénité. La même qui sied à celles et ceux qui ont fait le choix d’aborder une nouvelle étape de leur vie. Car depuis le vendredi 19 décembre, Patrick Gréaux a quitté ses fonctions au sein de la Collectivité territoriale, où il dirigeait le service de l’État-civil ainsi que le bureau des élections. « Mais je ne pars pas à la retraite, assure-t-il. J’ai décidé de quitter le poste. Un peu comme une rupture conventionnelle. Je ne me sentais plus à l’aise. Il y a tellement de choses que j’aurais encore pu faire ! Ça va me manquer, c’est sûr… Je me suis tellement investi. C’était comme mon entreprise. Même si je ne suis pas un manager d’équipe. Ce sont mes dossiers que je manageais ! » Avec, toujours, une même ligne de conduite que Patrick formule avec conviction : « Être fonctionnaire, c’est être au service des gens. » Toutefois, même s’il entend rester disponible pour accompagner la personne qui va lui succéder, Patrick a désormais des projets plus personnels en tête. Rien de plus normal après 38 années passées au service de la population de Saint-Barthélemy.
Un enfant de Colombier
Pour commencer, le nouveau vacancier (puisqu’il n’est pas encore à la retraite) a pris soin de ne plus être bruyamment réveillé à l’aube. « J’ai désactivé l’alarme de 6 heures du matin, se réjouit-il. Même si je reste sur le même rythme naturel. Les grasses matinées, je ne connais pas. » Son épouse Marielle traverse la terrasse en lançant un «bonjour » des plus chaleureux. « Elle est ma confidente, mon appui », glisse pudiquement Patrick, heureux de pouvoir savourer les fêtes de fin d’années en présence de sa fille Noémie (26 ans) et de son fils André (23 ans), tous les deux installés en Hexagone. « Ma fille est née à Saint-Barthélemy, sourit fièrement Patrick. J’ai pu inscrire sa naissance de ma main à l’État-civil. »
Avant d’être le fonctionnaire scrupuleux et constamment investi dans ses tâches quotidiennes, Patrick Gréaux porte en lui une histoire de l’île. « Je suis né à Colombier dans la maison de mes parents », raconte-t-il. A minuit quinze, précisément. « Cette nuit-là, le médecin a dû dormir à la maison sur un lit pliant parce qu’il pleuvait trop, s’amuse Patrick. C’est Ginette, ma tante, qui me rappelle tout le temps cette histoire. » Son enfance, il la vit en compagnie de quatre sœurs et trois frères.
« Il y avait plein de jeunes, se souvient-il. Quand il n’y avait pas école, on faisait tous les jeux imaginables pour s’occuper. Notre passe-temps préféré, c’étaient les cerfs-volants. On montait sur le rocher là-haut (il se contorsionne sur sa chaise et pointe le rocher du doigt), parfois on laissait les cerfs-volants toute la nuit. Avant, là (d’un coup d’œil, il désigne un espace désormais occupé par des maisons), il y avait plein de lataniers. On s’en servait pour faire des cerceaux et les faire rouler. Et puis on faisait des cabanes, on montait aux arbres ! »
De « Chez Ginette » à la mairie
Adolescent, il quitte Saint-Barth pour étudier en Guadeloupe. « Ma dernière petite sœur n’avait même pas un an quand je suis parti », se souvient-il. A 16 ans et demi, il décroche un BEP en comptabilité après deux années passées au Lamentin. Puis c’est le retour sur son île. Nous sommes alors en 1983 et les perspectives de travail ne sont pas légion. « J’ai commencé à travailler à l’épicerie de ma tante, Chez Ginette, à Anse des Cayes, se remémore Patrick. J’y suis resté pendant quatre ans. » Un de ses frères lui glisse à l’oreille que la mairie cherche des jeunes pour assurer des remplacements pendant les vacances. « J’ai tout de suite envoyé un courrier et, le lendemain, des policiers sont venus me chercher à la maison pour me dire que Daniel Blanchard (le maire de l’époque) voulait me voir », s’amuse Patrick qui, en 1987, fait son entrée à la mairie.
« Je ne connaissais rien »
« Je suis passé par tous les services, lance-t-il. J’ai même fait gardien de bureau! J’allais à La Poste, chercher le maire chez lui, etc. » Le jeune Patrick est impliqué et Daniel Blanchard le voit. Tout comme Josette Gréaux, responsable des services qui prend le jeune homme sous son aile et le forme « avec rigueur », commente Patrick avec un petit sourire qui laisse deviner un soupçon d’euphémisme. «C’est là que j’ai appris à travailler, assure-t-il. Quand je suis arrivé, je ne connaissais rien. » En 1994, Daniel Blanchard lui confie la responsabilité du service des élections. A celle-ci s’ajoute ensuite celle de l’État-civil.
Les années passent, Bruno Magras devient le maire puis le président de la toute nouvelle Collectivité territoriale. Une évolution statutaire qui, Patrick Gréaux l’affirme, n’a pas changé grand-chose à son travail. « Ce n’est pas comme à l’urbanisme, par exemple, où les élus posent un cap, explique Patrick. Nous, notre chef, c’est le procureur de la République. »
De toutes ces années passées au sein des services de la mairie puis de la Collectivité, il garde en mémoire quelques anecdotes et autres épisodes marquants. « Surtout au bureau des élections, parce qu’à l’État-civil, on oublie », confie Patrick qui ajoute toutefois : « Pour l’État-civil, il faut être passionné. C’était ma deuxième maison. J’y allais le samedi et le dimanche quand il y avait beaucoup de travail. »
Sens du devoir, efficacité discrète
Son départ, Patrick assure s’y être préparé. « Je voulais quitter la Collectivité comme j’y suis arrivé, sur la pointe des pieds », avoue-t-il. Il ne nourrit qu’un seul regret : celui de n’avoir pas pu transmettre son savoir en formant son successeur. Car la personne assignée par la Collectivité n’est en poste que depuis deux mois. N’importe. Même si son esprit est aujourd’hui tourné vers sa vie familiale, le bricolage mais surtout l’entretien et l’embellissement de son jardin, Patrick Gréaux s’est d’ores et déjà engagé à former jusqu’en 2027 sa remplaçante à l’État-civil. « J’ai aussi proposé d’aider au bureau des élections », précise-t-il. Car il l’a indiqué plus tôt, la retraite n’est officiellement pas encore d’actualité ! Aussi, pour Patrick Gréaux, le sens du devoir comme celui du service public continuent de prévaloir. Une efficacité discrète et un goût du travail bien fait qui manqueront autant à la Collectivité que l’apaisante maîtrise des procédures par le – futur – retraité lors des longues soirées électorales.
Dans les prochaines années, à Colombier, si un cerf-volant flotte dans le vent au-dessus d’un jardin chatoyant, inutile de vous interroger : vous serez certainement en train de passer devant la maison de Patrick Gréaux, un heureux jardinier.
