Saint-Barth - Sous le béton la plage ©Capture Instagram

“Sous le béton, la plage” : une page Instagram dénonce l’urbanisation de l’île

Un compte Instagram détonnant par rapport aux images de l’île que l’on voit habituellement sur le réseau social : un résident compile des dizaines de photos de chantiers, camions, permis de construire. Son objectif, déclencher une prise de conscience sur l’île.

 

Il préfère rester anonyme bien que son identité soit un secret de polichinelle. « Pas parce que je n’assume pas, mais parce que je ne voudrais pas desservir la cause », explique-t-il. Nous dirons donc simplement qu’il s’agit d’un homme installé à Saint-Barthélemy depuis 25 ans. Il a créé il y a un mois un compte Instagram intitulé “Sous le béton la plage”, qui est suivi aujourd’hui par plus de 860 personnes. « J’ai commencé tout seul, et j’ai tout de suite été soutenu par des habitants et des associations. Aujourd’hui, 40% des photos que je publie m’ont été envoyées. Ce matin par exemple, j’ai reçu un message d’une jeune fille de 14 ans qui s’inquiète pour l’avenir de son île. » En un mois d’existence, des dizaines de photos ont été publiées : des permis de construire, des chantiers de terrassement et de construction en cours, des camions-toupies… L’administrateur affirme qu’il est non politisé. Il multiplie pourtant les attaques contre Bruno Magras, qu’il considère comme responsable de la bétonisation de l’île. Et a participé à la manifestation de Grand Fond aux côtés d’Hélène Bernier. « Je n’attaque pas systématiquement les dirigeants de l’île. Par exemple, la majorité a tenté de faire quelque chose pour limiter la circulation des camions, et en a été empêchée par des entrepreneurs qui ont pris un avocat pour formuler un recours devant le tribunal administratif (une affaire qui remonte à 2010, ndlr). Dans plusieurs cas j’attaque effectivement la Collectivité, et Bruno Magras nommément, mais dans des cas très précis comme celui-ci je le défends.»

Les images de villas en construction montrent, s’il en était besoin, que certains projets sont clairement démesurés, comme celle de Flamands, la bâtisse de la rue August-Nyman à Gustavia ou celle avec piscine géante à Marigot.  Bien sûr, les gros projets comme l’Emeraude ou Autour du Rocher sont aussi ciblés. On y trouve aussi les programmes de construction qui vont faire parler dans les mois qui viennent : la construction de vingt maisons de 66m2 chacune à Grand Fond, et une autre de douze maisons en cercle autour d’une piscine, dans le même quartier.


Forcément, cet amoncellement de photos de béton et de chantiers donne à l’internaute le visage d’une île à l’urbanisation frénétique, dont le paysage s’abîme à vitesse grand V. Mais attention quand même à ce que disent les images : on voit par exemple une file d’attente de dix camions qui viennent déposer leur remblai dans les concasseurs de Saline, postée il y a une quinzaine de jours. Photo tout à fait réelle, mais la longue file d’attente est due à la réouverture du concasseur après des semaines d’arrêt pour cause de confinement.


Empiler ainsi des photos de chantier, n’est-ce pas la facilité pour dénoncer un problème un peu plus complexe? « C’est une petite action pour faire bouger les choses. Je fais attention à ne jamais prendre de photos de petites maisons, de projets à taille humaine. Je ne publie pas les noms des propriétaires. Je fais attention de ne pas colporter de fausse information. Et outre l’empilement des photos, on voit aussi les permis de construire qui se multiplient dans tous les quartiers. Mais l’avantage des réseaux sociaux, c’est qu’ils permettent aux gens de s’exprimer librement. La méthode n’est peut-être pas la meilleure, mais toute action imparfaite battra une parfaite inaction. Cette page Instagram n’est que le reflet d’un mécontentement général. »


Sur l’île, son initiative divise : elle est autant saluée que critiquée. L’auteur a même reçu des menaces.
« Je ne me considère pas comme un écologiste mais comme un citoyen. Il y a vingt ans, Saint-Barth était une île verte, authentique, unique au monde. C’est d’ailleurs ce que vendait Remy de Haenen », poursuit celui qui se surnomme “lanceur d’alerte” sur internet. « Pourquoi en faire un Saint-Tropez ou un Ibiza ? Quand on voit le tas de déchets stocké à Saint-Jean parce qu’on ne sait plus où le mettre, c’est la preuve que l’on est allés trop loin. »

Journal de Saint-Barth N°1377 du 27/05/2020

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