François Pécard a fêté vendredi les quarante ans de son cabinet d’architecte. L’occasion pour celui qui est arrivé en 1978 à Saint-Barthélemy de se retourner sur plusieurs décennies d’urbanisme, autant que de se projeter dans le futur de l’île.
Un cocktail en comité restreint et une petite exposition à La Gloriette, rue Samuel-Fahlberg à Gustavia, dans ce bâtiment qu’il a lui-même dessiné. L’architecte François Pécard a célébré il y a quelques jours quarante années d’exercice à Saint-Barthélemy. « Le but n’est pas de faire la promotion de mon cabinet mais plutôt d’expliquer une histoire, et d’arriver à une conclusion. » Un message pour les décideurs et futurs décideurs de notre île.
L’échelle, la base
François Pécard se dit « très choqué de l’absence des fondamentaux de l’île » dans les constructions récentes. « Je pense notamment à l’échelle.» Des villas de plus en plus grandes, imposantes, qui ne collent pas avec la petitesse de l’île. « Nous avons perdu énormément du cachet de Saint-Barth. Evidemment, après quarante ans de métier, je suis très déçu », dit celui qui espère des décideurs « une réaction puissante, une interrogation » sur le long terme. « J’aime profondément Saint-Barth, mais je suis inquiet. »
François Pécard est arrivé sur l’île en 1978, à la demande d’un ami, pour construire l’hôtel Tropical (aujourd’hui démoli). « Je devais faire le projet et rentrer, mais il n’y avait pas d’entreprise pour diriger les travaux. Je suis resté deux ans. A l’époque, on utilisait du bois qui était découpé à Haïti, au couteau, et arrivait sur des goëlettes… Pour les terrassements, il fallait allumer un feu, utiliser des sacs de ciment et de l’eau pour casser la roche à la pioche. Autant dire qu’on limitait les terrassements ! » Sur les chantiers, les ouvriers étaient tous des Saint-Barth. «Ils rentraient de Saint-Thomas. Ils étaient vaillants, durs au labeur. On travaillait de 6 heures à 15 heures, et ensuite on allait faire de la planche à voile. » Un tableau bien différent du Saint-Barth d’aujourd’hui, mais François Pécard se refuse à idéaliser le passé. « Ce n’était pas comme maintenant, mais il n’y avait pas que du mieux. On ne gagnait pas d’argent. Je suis resté trois ans sur l’île à une époque car je n’avais pas les moyens de m’offrir un billet d’avion. »
« A qui aura la plus belle villa, la plus grosse, la plus chère… »
Au début des années 80, la démographie a Saint-Barth a
explosé avec l’arrivée depuis la métropole notamment de nombreux investisseurs.
« Les villas étaient alors construites à une échelle acceptable. Pendant très
longtemps, les étages étaient interdits, et il fallait une surface minimale de
2.000 mètres carrés pour construire, c’est un Cos (coefficient d’occupation des
sols, ndlr) très faible. Au fur et à mesure des nouveaux règlements d’urbanisme,
la porte a été ouverte de plus en plus. Quand les gens investissent 5 millions
d’euros dans un terrain, ils veulent utiliser à fond la surface autorisée par
les règles d’urbanisme. Puis, on a assisté à une compétition, à qui aurait la
plus belle villa, la plus grosse, la plus chère… »
Pourtant le luxe n’est pas une question de taille. « On peut avoir une architecture très contemporaine mais qui respecte l’échelle du territoire et l’intégration dans le paysage. Je ne suis pas passéiste, je fais des chappes de béton ciré, des cuisines ultramodernes… On peut juxtaposer le contemporain et le traditionnel », insiste-t-il. « Mais entre les cases traditionnelles, avec leurs portes d’1 mètres 60, et les baies vitrées de 6 mètres de haut, il y a une juste mesure. »
« L’architecte est visionnaire, pas matheux »
Jeune, François Pécard rêvait d’être peintre. « J’étais dyslexique, en échec scolaire, ça a été très dur d’avoir le bac.» Finalement, quand il est tombé sur l’architecture, «cela a été une révélation. L’architecte est un visionnaire, pas un matheux », précise-t-il. Son côté artiste ressort effectivement du livret qu’il a publié pour cet anniversaire. Avec les dessins de cases et de villas, des coraux, des paysages, des cristaux. «Un retour vers des choses simples. » Ces éléments naturels se transforment au fil des pages en étonnantes maisons intégrées dans des paysages de Saint-Barth. « C’est volontairement utopique, une sorte de provocation délibérée… »
Malgré ces constats, François Pécard se dit « optimiste »
pour l’avenir. Pour ses futurs clients, il réalise un parcours de visites de
ses réalisations qui se conclut par le “village” de Patrick Demarchelier sur
les hauteurs de Gustavia. Un bâti à taille humaine et qui respecte le style
Saint-Barth. Parfois, il parvient à convaincre ses clients de réviser leurs
projets pour qu’ils s’adaptent mieux à l’historique et la topographie de l’île.
« Quand j’y arrive, ils sont ravis. Récemment, cela a été le cas avec des
Saint-Barth qui avaient un projet de maison en béton. Finalement, ils
construiront deux cases en bois pleines de charme, intégrées dans la
végétation… »
JSB 1326