Les organismes ont été sollicités autant que les psychés lors de cette 15e édition de la Transat en Double Concarneau-Saint-Barth. Les algues, la météo, les options et les nouveaux bateaux Figaro 3 ont mené la vie dure aux concurrents.
Qui dit vitesse, ne dit pas forcément long fleuve tranquille. Encore moins quand le cours d'eau se nomme Océan Atlantique. Le début de course avait déjà été marqué par un report du départ de trois jours à cause de conditions météo trop mauvaises entre le Cap Finistère et les Canaries. Les 18 navires avaient finalement pris la mer dans des conditions toujours difficiles qui ont mis les organismes à rude épreuve. « Le slogan de cette course, c'est double, comme doublement dur. L'investissement que l'on a mis durant les six premiers jours a été complètement dingue. Encore plus que sur une Solitaire du Figaro parce que l'on est deux donc on s'investit pour l'autre aussi. C'était une super course, mais en termes d'engagement physique, alors que l’on s'était préparé pour ça, on ne pouvait pas faire plus que ce que l'on a fait. Heureusement que le duo a bien fonctionné parce que le reste était vraiment dur », déclaraient à l'arrivée Pierre Quiroga et Erwan Le Droulec (MACIF).
« On a perdu quelques points de vie »
Même les plus aguerris au gros temps ont parfois refusé de lâcher les chevaux comme l'a confié à Gustavia Yann Eliès, pourtant triple vainqueur de la Solitaire du Figaro et de la Transat Jacques-Vabre, double vainqueur du trophée Jules Verne et 5e du Vendée Globe 2016-2017. « Ça fatigue énormément. Ça a été dur aussi parce que nos résultats n'ont pas été à la hauteur de nos espérances. Le problème, c'est que l'on a des regrets sur l'engagement qu'il fallait mettre quand il y a du vent fort. On se pensait solide dans ces moments-là, mais on a fait un refus d'obstacle notamment aux Canaries et en Afrique. Cela ne nous ressemble pas d'avoir ménagé la monture à ce point-là. On est parti prudemment parce qu'on avait peur de casser des trucs. On n'est pas allé suffisamment au charbon », a-t-il assuré avec son compère Martin Le Pape (GARDONS LA VUE). « On a perdu quelques points de vie », a ironisé de son côté Tanguy Le Turquais (QUÉGUINER-INNOVÉO).
Au-delà du temps, les nouveaux bateaux Figaro Bénéteau 3 ont aussi sollicité les organismes, a ajouté Yann Élies: « Il est bien plus dur que le Figaro 2. On a l'impression de ne pas pouvoir se déplacer à bord quand ça va vite. » « Quand j'ai vu la tête des vieux à l'arrivée, j’ai vu qu’ils avaient autant souffert que moi. C'était bien d'avoir un jeune à bord parce que le bateau est plus physique qu'avant », abondait Gildas Mahé (BREIZH COLA).
Rivalité de bout en bout
Cette transat aux airs de régates n'a pas éprouvé que les corps. Elle a aussi usé les esprits. Difficile de voir un adversaire bords à bords s'envoler au loin à la faveur d'un couloir de vent favorable. « C'est une belle transat, mais c'est éprouvant parce qu'il y a tout le monde à vue. On est là à se comparer tout le temps », ont admis Élodie Bonafous et Corentin Horeau (BRETAGNE - CMB OCÉANE). « Oui, le bateau et les conditions sont difficiles, mais l'intensité avec la rivalité des adversaires, c'était très dur aussi », ajoutaient Pierre Leboucher et Thomas Rouxel (GUYOT ENVIRONNEMENT - RUBAN ROSE). Ces derniers restaient tout de même positifs : « Il y a quand même des bons moments, de belles images, de beaux couchers de soleils, de beaux surfs, et c'est pour ça que l'on revient. »
Les options nord et sud prises au milieu de la course ont aussi pesé sur les nerfs et le moral. « Ça a été très compliqué de voir que l'option sud n'était pas la bonne. On l'avait étudiée pendant plusieurs jours. Ça n'a pas payé », relativisaient Pep Costa et Will Harris (CYBELE VACANCES - TEAM PLAY TO B). Un choix infructueux bien plus difficile à avaler pour d'autres équipages. « On se lâchait, on faisait le truc à 100% et on menait la flotte. Alors on a mal vécu que l’option nord passe parce que ce sont les retardataires qui tentaient un truc », ruminaient encore à l'arrivée les sudistes Tom Laperche Et Loïs Berrehar (BRETAGNE - CMB PERFORMANCE), finalement troisièmes.
Les sargasses, ça agasse
Enfin, impossible d'évoquer cette difficile traversée de l'Atlantique sans parler des sargasses, ces algues à la dérive qui ont enlacé les quilles de l'ensemble des navires depuis le passage des Canaries. « La nuit, on était tout le temps dessus pour aller au charbon et notamment pour libérer la quille des sargasses », se souvenait encore douloureux Nils Palmieri à l'arrivée, malgré la victoire. « Nous avons vécu deux nuits infernales où nous n’avons même pas barré. Nous prenions une corde à nœuds et allions sans cesse à l’avant pour la passer sous la coque et libérer la quille avant de retourner à l’arrière pour les ôter des safrans. À un moment, j’en avais vraiment marre, mais je me suis vite reprise en me disant que cela concernait tout le monde et qu’il ne fallait rien lâcher. Et puis Alan m’a beaucoup encouragée. Il me disait : ''Nous sommes plus forts que les vagues. Ce ne sont pas elles qui vont nous dicter la course !'' », s'exaspérait même Violette Dorange (DEVENIR) auprès de nos confrères de Voiles et Voiliers. Fabien Delahaye et Anthony Marchand (GROUPE GILBERT) préféraient eux s'en amuser : « Il y a deux options sur les boules Quies : pour la quille qui vibre, mais aussi quand l'équipier sur le pont est train de râler parce qu'il se bat avec les sargasses. »