Sixièmes de la Transat au terme d’une course qui fut parfois exaltante, Eric Péron et Miguel Danet savourent leur retour sur la terre ferme, heureux d’avoir bouclé leur troisième transatlantique en Double.
Les traits sont un peu tirés mais le sourire est aussi large que l’exploit accompli. Trois Transats en Double achevées ensemble, un podium et une sixième place arrachée de haute lutte lors de cette 15e édition. Très sollicités depuis qu’ils ont posé le pied sur le quai d’honneur de Gustavia, Eric Péron et Miguel Danet n’en restent pas moins accessibles. Encore faut-il les trouver ! Ce qui, à bien y réfléchir, n’est pas bien compliqué. Aujourd’hui, il suffisait de monter les marches de La Cantina - leur sponsor avec (L’Egoïste) - pour les rencontrer.
« Une petite nuit ! »
« Ça fait du bien de faire une bonne nuit et de ne pas avoir un mec sur le pont qui te réveille au bout de deux heures », s’amuse Miguel. « T’as pas rêvé de Sargasses », lui demande Eric, facétieux. « Je n’ai rêvé de rien du tout, réplique Miguel. On s’est couché un peu tard de mon côté, vers quatre heures ! Une petite nuit mais avec l’émotion et l’adrénaline, on a tenu le coup. » Car, à défaut de remporter la course, les deux skippers ont décroché haut la main le premier prix du public. Sans grande surprise. « C’était extraordinaire, commente Eric. C’est toujours chouette de voir tout ce mouvement autour d’une arrivée. Ça fait super plaisir. On a vécu un beau moment de partage avec tous ces gens. »
« Pas moins d’écart que sur un cent mètres »
Quelques heures à peine après leur arrivée, aucun des deux navigateurs ne semblent nourrir de regret quant à leur classement. Sans une once de fatalisme, Eric Peron évoque un niveau élevé de compétition : « Ce sont des petits détails qui ont fait la différence. Un petit grain de plus... Les dix premiers arrivent avec un écart infime. Je me demande si proportionnellement, il n’y a pas moins d’écart ici sur vingt jours de course que sur un cent mètres. On est presque dans le millième du ski. Ça prouve bien que c’est du haut niveau et que tout le monde pousse fort. »
De fait, si les choix des équipages ont été déterminants au fil de la course, les changements météorologiques ont été tout aussi décisifs. Miguel Danet raconte : « La dernière nuit, à trois heures, quand on voit les sudistes qui sont potentiellement à 0,5 ou 1 mille devant, c’est un peu surprenant. Mais on a tout donné jusqu’à la fin. Sixième, c’est vraiment sympa. Grâce à Eric on a su tenir la route et avoir toutes les astuces pour être bien placé à l’arrivée. » Et son complice d’ajouter : « Quand on tire des bords pour prendre une option, le classement change, c’est normal. Mais on sait se positionner et même si le classement est mauvais, on sait que ça va changer. » Même si, parfois, le doute peut s’insinuer dans l’esprit des skippers.
« Presque une loterie sur les deux derniers jours »
« Après la première grande option (prendre la route au Nord), je n’étais pas très serein, reconnaît Eric. Je savais qu’il y aurait plus de potentiel au Nord à la fin mais c’était au détriment d’une route plus rapide au Sud. Au final, l’instabilité sur les deux derniers jours a démontré que tout pouvait être remis en cause très vite. Bon, c’est chouette pour les spectateurs, mais pour nous c’est parfois un peu frustrant ! A un moment on pense avoir fait un bon coup et puis, au final, tout est remis à plat. Quelque part, c’est presque une loterie sur les deux derniers jours. Alors quand on est dans les dix premiers, on est content. Qu’on gagne ou qu’on fasse sixième, quand on est aussi près les uns des autres, c’est comme si on avait gagné. Et puis de toute façon on a gagné la compétition de l’accueil, donc voilà ! » Une victoire qui vaut bien d’autres trophées.
Maudites sargasses
Pendant la course, un autre facteur a joué un rôle dans le quotidien des concurrents. Tous ou presque l’ont mentionné à l’arrivée : les sargasses. « Les sargasses, c’est une plaie, souffle Eric. Ça dénature complètement notre sport. On ne prend plus de plaisir à cause de ça. C’est relou ! Elles s’accrochent dans nos safrans, dans les foils, la quille... Il faut les enlever et pour ça, on n’a pas d’autre moyen que d’utiliser une tige ou une corde à nœuds. Ça demande une manipulation de plus, alors qu’on en fait déjà beaucoup. Et c’est toute les cinq minutes ! C’est hyper pénible. » Miguel confirme : « C’est un frein total. On ne fait plus le même sport. » Fort heureusement, ce désormais vieux couple de la course au large a su ne pas laisser les éléments extérieurs venir parasiter sa bonne entente.
Rigueur et confiance
« C’est sympa parce qu’on sait à quoi s’attendre, confirme Eric. On connaît les faiblesses de l’autre, ses habitudes. Ne serait-ce que pour la bouffe, c’était réglé en deux minutes! On savait ce qu’on aimait, ce qu’on n’aimait pas. D’ailleurs on a été bon sur l’avitaillement. On a eu des fruits jusque deux jours avant l’arrivée. » Soudain il se tourne vers Miguel et s’exclame : « Il restait une pomme! J’ai trouvé une pomme et une compote en rangeant ! »
Toutefois, leur complicité n’a pas empêché Eric de tenir son rôle, parfois durement. « Comme Miguel n’a pas pu beaucoup s’entraîner, j’avais des points de vigilance à surveiller, raconte-t-il. Je me suis permis aussi de le pousser dans ses retranchements à certains moments. Mais parce que j’ai confiance en lui ! Je sais qu’il peut l’accepter. Quand c’est un couple nouveau, on n’ose pas et c’est là qu’on laisse filer les choses. Là, l’équilibre était correct. Même s’il sait que j’ai été un peu dur avec lui parfois. »
Miguel sourit et complète : « Eric, c’est la rigueur. On ne peut pas être devant au classement sans cravacher. J’ai décidé de partir avec un pro donc je savais où j’allais. Eric a su donner les caps et les bons choix techniques. Il a cru jusqu’au bout en son option Nord. Donc il fallait aussi y aller. »
« Pas qu’une partie de plaisir »
« De mon côté, physiquement, je pense avoir fait le travail, assure Miguel. Mais c’est vrai qu’autour de 25 ou 30 nœuds je n’étais pas forcément à l’aise. Eric a donc dû être plus performant et j’ai essayé de l’alimenter ! Je faisais la maman avec son petit pour qu’il puisse tenir ! C’est aussi sans doute ce qui a fait la différence. Quand tu as deux pros à bord, à 30 nœuds tu tournes à deux. Et moi au-dessus de 25, j’étais hors des clous. C’est là où on voit la différence entre un pro et un amateur. » Une humilité qui paraît presque excessive à la vue du résultat.
Pour l’heure, il est trop tôt pour évoquer une prochaine course commune. Il semble néanmoins que les deux hommes n’embarqueront pas pour une quatrième Transat en Double. « Je pense qu’Eric est sur d’autres projets », glisse Miguel. « On fera sûrement autre chose, affirme Eric. On va se laisser le temps de réfléchir. Cette course est éprouvante. Encore plus cette année. Ce n’était pas qu’une partie de plaisir. »