Assises l’une à côté de l’autre, Pauline et Julie Courtois échangent sourires et regards complices. Comme il sied à deux sœurs qui viennent de se retrouver. A cette petite différence près d’avec le commun des mortels : elles viennent d’accomplir une traversée de l’Atlantique. Toutefois, deux jours après avoir franchi la ligne d’arrivée de la 16e Transat Paprec et accosté le quai d’honneur de Gustavia, Pauline et Julie apparaissent aussi fraîches et reposées qu’au sortir d’une semaine de vacances à Saint-Barth. Juste une apparence, sans doute. Ou l’effet de la performance, plus sûrement. Car les deux navigatrices, respectivement embarquée sur Mutuelle Bleue avec Corentin Horeau, pour Pauline, et sur Ageas-Ballay-Cerfrance-Baie de Saint-Brieuc avec Maël Garnier, pour Julie, ont terminé la course à la 3e et à la 7e place. Non sans plaisir.
« Une bataille intense »
Pauline effectuait, à 34 ans, sa première transatlantique, à la différence de Julie (31 ans) qui, en 2021, avait déjà traversé l’océan en compagnie de son autre sœur, sa jumelle prénommée Jeanne, à l’occasion de la Jacques Vabre. « Tout s’est plutôt bien passé pour nous, assure Pauline. On a été dans le match dès le départ. C’est plutôt sympa. Et on a gardé ce contact avec la tête de la course jusqu’à l’arrivée. La dernière après-midi, on avait encore Macif (le bateau vainqueur, barré par Loïs Berrehar et Charlotte Yven) à vue. 24 heures avant, on était bord à bord, à 200 mètres de distance. La bataille a été assez intense sur l’eau et on a vraiment pris du plaisir ! » Pour Julie et son coéquipier, en revanche, la course a été plus mouvementée. « On a été un peu plus en retrait dès le début, raconte Julie. On est bien revenu juste avant La Palma et là, on a eu des petits soucis techniques et on a perdu un peu le contact. Ensuite (elle sourit), on s’est placé un peu au Nord de la flotte et ça nous a permis de revenir. Mais pas assez pour rattraper Chloé (Le Bars) et Hugo (Dhalenne, sur Région Bretagne – CMB Océane) qui ont fait une grosse attaque Sud qu’on avait hésité à suivre. » Au final, pour chacune, c’est la satisfaction d’avoir atteint les objectifs de départ. Mais pas uniquement.
Pour Pauline, qui est professeure d’éducation physique et sportive au Havre et, surtout, deux fois championne du monde en Match Racing, cette première course au large a permis de mesurer l’intensité d’une telle épreuve. « C’est le même sport mais très différent, confirme-t-elle. Il y a les réglages du bateau, il faut tenir la cadence. On m’avait prévenue de l’intensité de la course et ça m’aurait moins plu s’il n’y avait pas eu cela. » Julie acquiesce. « L’intensité rend le match plus serré et on doit tout le temps se battre, s’enthousiasme-t-elle. Il y a aussi un aspect hyper technique mais ce qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est qu’il s’agit d’une super aventure. » Une aventure dans laquelle elles ne se seraient peut-être pas plongées sans l’instauration de la formule mixte par le groupe Paprec.
« Des opportunités pour les femmes »
De fait, Pauline explique : «Pour les filles, cela a ouvert des possibilités. C’est sans doute un peu dommage mais si ça n’avait pas été en double mixte, je ne l’aurais peut-être pas faite. Parce que je ne pensais pas me lancer dans une course au large tout de suite. » Julie insiste : « On peut remercier Paprec d’avoir porté ce projet ambitieux et controversé au départ. Ça crée des opportunités pour les femmes qui ont pu accéder d’un coup à une course de haut niveau. » Pauline la coupe : « Parce qu’il y en a plein qui osent moins. Et puis, quand c’est novateur, ça fait toujours peur. » Julie poursuit : «Après, en course, ça ne change pas grand-chose. C’est très disputé, donc intéressant sportivement. Je pense que ça va donner envie aux filles qui ont fait la Transat de monter elles-mêmes des projets. » Pour les parents des deux navigatrices, il faut donc déjà se préparer à les voir embarquer pour d’autres aventures maritimes. Une perspective qui ne semble pas les inquiéter outre-mesure.
Frédéric, le papa, assure avoir vécu la course de ses filles en toute sérénité. « La seule inquiétude, concède-t-il, c’est la casse (sur le bateau) qui gâche le plaisir. Je regardais quand même tous les jours sur la cartographie pour voir ce qu’elles faisaient, où elles étaient. C’est la première chose que je faisais le matin, dès 6h30 !» Pour la maman, Christine, qui est par ailleurs vice-présidente de la fédération française de voile et chargée de… la mixité, l’appréhension était tout autre. « Ce qui m’importait le plus dès le départ, c’étaient les prévisions météos, assure-t-elle. Est-ce qu’il y aurait des tempêtes, par exemple ! » Pauline éclate de rire : « Alors que quand on avait 45 nœuds aux Canaris, tu n’étais pas inquiète ! » Christine sourit : « Mais je n’ai jamais eu d’appréhension sur leurs capacités à effectuer la traversée. J’avais surtout peur qu’elles soient déçues. Le plus important est qu’elles soient contentes de leur course. Et même si le classement ne les avait pas satisfaites, j’aurais été contente car c’est un exploit. Ce n’est pas si banal que ça de traverser l’Atlantique ! » Frédéric confirme : «Elles ont pris du plaisir et je suis fier d’elles car elles ont fait une belle course. » Ce, malgré quelques éléments perturbateurs. Les sargasses, en l’occurrence.
Les sargasses, l’horreur
Si le sujet n’a été, finalement, que peu abordé, Pauline comme Julie affirment avoir vécu « 48 heures horribles » à cause des algues brunes. « Et on a eu de la chance que ça ne dure que 48 heures, souffle Julie. Mais c’était l’enfer. On ne pouvait pas vraiment dormir. Parce que s’il n’y en avait qu’un dehors, il devait tout le temps aller à l’avant, à l’arrière, de la quille au safran, en permanence. Du coup, on perdait de vue les changements de vent et les réglages du bateau. C’était dur. Surtout sur la fin de course, les dernières 48 heures. » Pauline lâche, facétieuse : « J’ai eu de la chance, J’étais responsable des safrans et Corentin de la corde (à nœuds, pour enlever les sargasses) ! L’avant-dernière nuit, on a passé trois heures à ne s’occuper que des sargasses… Pendant 48 heures, on aurait pu mettre quelqu’un uniquement pour ça. » Julie renchérit : « Et le pire c’est que dès qu’on en terminait avec la corde à nœuds, il y avait une énorme ligne d’algues qui arrivait, impossible à éviter… donc on était obligé de les couper. Notre quille est ruinée. »
Pour Pauline, le repos n’aura été que de courte durée. En effet, dès ce jeudi, elle participe à la troisième étape de coupe du monde de Match Racing. Double tenante du titre, elle lance : « Ça va enchaîner assez fort ! » Ensuite, une autre aventure prestigieuse l’attend car elle a été sélectionnée par le Défi français « Orient Express Team » pour la 37e édition de la Coupe de l’America, la première ouverte aux femmes. Pour Julie, c’est un peu plus flou. « Je ne sais pas encore, avoue-t-elle. J’aimerais monter un projet. Je vais y réfléchir. » Sans doute dès son retour à Lorient, en fin de semaine.