Le vacarme assourdissant d’un iceberg qui craque, des baleines à bosse qui émergent, une mer glacée et une toundra verdoyante. Difficile d’imaginer un décor plus éloigné de celui du lagon de Grand-Cul-de-Sac. Plus encore d’y concevoir une expédition sur un paddle, emmitouflé comme le furent sans doute Knud Rasmussen ou Paul-Emile Victor en leur temps. Pourtant, c’est bien dans cet univers si différent de celui qui est le sien tout au long de l’année qu’Arno Apremont a décidé de naviguer en juillet dernier. Pas à bord d’une quelconque embarcation, cela va sans dire, mais debout sur un paddle. Comme il aime à le faire chaque dimanche dans les eaux de Saint-Barthélemy depuis des années. Dans des tenues plus légères, toutefois.
Un avant et un après Groenland
La plupart des aventures débutent par une rencontre. Celle d’Arno ne fait pas exception. Il explique : « Je connaissais la guide, Ingrid Ulrich, qui est une ancienne Saint-Martinoise. L’idée de cette expédition murissait depuis longtemps. De son côté, elle a fait plein de choses en solitaire sur un paddle. Elle a notamment ouvert la voie sur le parcours que l’on a fait en groupe. On avait prévu de partir et puis il y a eu le Covid et le Groenland a fermé… » Les aventuriers des glaces ont donc été contraints de s’armer de patience. Jusqu’au grand départ. « Le guide nous avait prévenus, raconte Arno. Il y a un avant et un après Groenland. Et c’est vrai… »
Le périple commence bien avant la mise à l’eau des paddles. En effet, après un premier atterrissage à Kangerlussuaq, les six participants embarquent sur un autre vol à destination de Ilulissat. Puis un bateau les mène jusqu’à Oqaatsut. Si le Groenland, dont la superficie est près de quatre fois supérieure à celle de la France hexagonale, ne compte qu’un peu plus de 56.000 habitants, le village de départ a des allures de hameau avec seulement 56 âmes recensées. Le petit groupe récupère les paddles, fabriqués spécialement pour l’occasion par la marque Gong, les vivres pour dix jours, les toiles de tente, le nécessaire pour les nuits, les vêtements et les combinaisons étanches, etc. « La mer est à deux degrés, glisse Arno. Heureusement, personne n’est tombé à l’eau ! Mais malgré la combinaison et l’équipement, tu sens bien le froid. » Vient le départ, à 200 kilomètres au Nord du cercle polaire, très au-dessus de l’Islande.
Le bruit fou des icebergs qui craquent
Les six amoureux de stand up paddle (Sup) vont parcourir environ 120 kilomètres sur leur « planche » de 34 pouces de large et 14 pieds de long, par étapes. « La plus longue a été de près de 25 kilomètres, ce qui représente environ la distance entre Fourchue et Simpson Bay, sourit Arno. Mais sans le vent ni les vagues ! Il fallait ramer pour avancer. » Dans un décor étourdissant.
L’une des premières choses qui vient à l’esprit d’Arno, lorsqu’il songe à ce voyage, ce sont les terres. « Elles étaient dégelées, vertes, et on pouvait planter nos tentes dans la toundra », se souvient-il. Mais le plus beau vint de la mer, bien évidemment. « On a tout eu, s’extasie encore Arno. Le ciel bleu-gris, la mer tellement calme que l’on entendait les baleines à bosse avant de les voir apparaître. On en a vu tous les jours. Elles sortaient, en nous ignorant complètement ! Il y avait aussi des rorquals (une autre espèce de cétacé, ndlr) et des phoques. Ils sont très peureux car ils sont chassés par les Groenlandais qui les utilisent pour nourrir les chiens de traineaux. Et puis ce bruit fou quand, soudain, les icebergs craquent, se fracassent et se retournent ! » Des icebergs avec lesquels le groupe gardait ses distances. «Quand ils se cassent ou explosent carrément, il peut y avoir des projections donc c’est dangereux », précise Arno.
Cette nuit qui ne tombe jamais
Lors des étapes, l’équipe de « glisseurs », plutôt étrange aux yeux des habitants qui n’ont jamais vu de paddle, découvre les charmes de la vie à terre. Avec la cueillette de champignons, le ramassage de moules « énormes », assure Arno, mais aussi des moustiques à l’impressionnant gabarit. « On est obligé de porter une moustiquaire de tête », s’amuse-t-il. Et puis il y a la nuit… Cette nuit qui, en réalité, ne tombe jamais en cette période de l’année. Pour trouver le sommeil après de longues journées d’effort, les membres de la joyeuse troupe s’emmitouflent dans leur tente. Mais, parfois, d’autres abris les accueillent. « Il nous arrivait de dormir dans des cabanes de chasseurs, raconte Arno. Elles appartiennent au gouvernement et sont ouvertes à tous. »
De cette aventure, il reste l’émerveillement quasi permanent. Quelques rêves mystiques aussi, sans aucun doute. Quoi qu’il en soit, la certitude pour Arno d’avoir vécu des moments uniques. Et de songer aux mots de sa guide, Ingrid Ulrich : « Il y a un avant et un après Groenland. »