Un sujet à la fois complexe et profondément sensible a été abordé jeudi dernier, le 12 octobre, lors d’une conférence organisée en l’hôtel de la collectivité territoriale. Une rencontre initiée par l’Eregin (Espace de réflexion éthique de Guadeloupe et des Iles du Nord), grâce à l’aide du Centre médico-social de Saint-Barth, autour du thème de la fin de vie. Une question qui peut être source de malaise ou de craintes. « C’est un sujet exigeant dont certains aspects qui seront abordés ce soir, comme le suicide assisté ou l’acharnement thérapeutique, peuvent faire écho à des situations personnelles », a averti la première vice-présidente de la collectivité, Marie-Hélène Bernier, lors de son introduction. De fait, c’est avec prévenance mais sans jamais recouvrir d’un voile pudique la réalité des choses que les praticiens de santé présents ont évoqué les différents aspects de la fin de vie.
« Fin de partie »
Pour lancer les échanges avec la vingtaine de personnes venue assister à la conférence, la directrice de l’Eregin, le docteur Marilyn Lackmy, s’est appuyée sur la projection d’extraits d’un film intitulé « End game », sorti en 2018. Un court métrage documentaire dans lequel les réalisateurs, Jeffrey Friedman et Rob Epstein, suivent des patients et leurs proches dans les différentes étapes de la fin de vie. Un document aussi émouvant que pesant qui n’a pas manqué de faire réagir les personnes présentes dans la salle des délibérations de la collectivité.
« La situation a évolué à Saint-Barthélemy, assure Francius Matignon, élu territorial. Avant, beaucoup de gens étaient dans le déni vis-à-vis de leur situation. Aujourd’hui, même si les places sont limitées à l’hôpital, nous avons la HAD (hospitalisation à domicile) à laquelle les gens font souvent appel. »
Le professeur Marcel-Louis Viallard, spécialiste en médecine palliative, explique que la période de l’agonie est « une période de flou » pour le patient comme pour la famille. « Notre rôle est de guérir, tant que faire se peut, et de soulager, toujours », insiste le praticien. Le docteur Sonny Gene, responsable de l’équipe mobile de soins palliatifs au CHU de Guadeloupe, souligne l’importance de l’accompagnement du patient comme de la famille. « Quand un patient ne peut plus dire ce qu’il veut, c’est compliqué, souffle une infirmière de la HAD. La famille prend des décisions qui sont complexes. » Le professeur Viallard rebondit sur cette réflexion pour rappeler que « le patient n’est pas qu’un objet d’amour pour sa famille, il est aussi un être humain que l’on soigne ».
Se pencher sur les directives anticipées
La question de la « personne de confiance » est également évoquée. Grâce à la loi de 2016, les directives anticipées des citoyens comme le rôle de la personne de confiance ont été renforcés. « Justement pour qu’il n’y ait pas d’acharnement thérapeutique», souligne le professeur Viallard. Ces directives anticipées, qui peuvent être rédigées avec l’aide de son médecin généraliste, ont pour but d’aider les proches. Notamment au moment de prendre des décisions impossibles. Comme celle de mettre fin à une assistance médicale qui, de fait, entraînera le décès du patient. Si cette étape a été mentionnée dans les directives anticipées du patient et confiée à la personne de confiance, la situation peut devenir moins lourde pour les proches. « Car il arrive un moment où l’on n’est plus capable de décider ou de s’exprimer », explique le professeur.
« Le temps que passe le médecin avec la famille la prépare au deuil, souligne le docteur Gene. Ce n’est jamais facile. Parfois, quelqu’un de la famille ne veut pas lâcher. Mais le temps passe et le patient se dégrade. Le rôle du médecin est de donner des repères objectifs. Car tout le monde n’a pas le même rythme d’acceptation. »
Lors des débats, les praticiens insistent sur le fait que la loi sur la fin de vie, actuellement en cours d’élaboration auprès du gouvernement, tendra vers une « assistance pour mourir ». « Il faut que l’on s’y prépare, assure le professeur Viallard. Pour bien réfléchir à cette loi, il faut se poser les questions que l’on a en nous. Et quand bien même il y aura une loi, il existera des situations auxquelles elle ne pourra répondre. »
L’Eregin a réalisé une consultation citoyenne sur la fin de vie auprès de la population de Guadeloupe et des Iles du Nord. Il en ressort notamment que 81% des personnes interrogées ne savent pas en quoi consiste les directives anticipées. 21% indiquent avoir déjà exprimé leurs choix oralement et 33% déclarent qu’elles ont le temps d’y réfléchir.
T.F.