Saint-Barth - hopital salle d'urgence

Des médecins de ville dénoncent « un système de santé en péril »

Cinq médecins généralistes de Saint-Barthélemy ont rédigé et signé un manifeste afin de protester contre les réquisitions prises par la direction de l’hôpital pour « combler le déficit de médecins hospitaliers ». Une démarche qui, selon eux, met en danger le système de santé sur l’île.

 

Tandis que la campagne pour les élections territoriales bat son plein et que les questions de santé s’immiscent régulièrement dans les débats, les praticiens de l’île continuent de subir les effets d’une flagrante précarité au sein de l’hôpital de Bruyn. Un malaise bien concret qui a pris la forme d’un long manifeste rédigé et signé par cinq médecins de ville en fin de semaine dernière. Son titre :  “ Le système de santé en péril à Saint-Barthélemy. ” Limpide.
Dans cette lettre de protestation, les cinq praticiens signataires explique que « depuis le 24 février dernier, la direction hospitalière commune de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, sous l’égide de l’Agence régionale de santé et du préfet des îles du Nord, réquisitionne les médecins généralistes libéraux pour assurer la permanence des soins aux urgences de l’hôpital de Bruyn, si le médecin urgentiste en charge doit partir en évacuation sanitaire ». Pour justifier cette démarche, assurent-ils, la direction évoque « un manque de médecins urgentistes ». Un argument qui étonne les généralistes. « Si cela est vrai sur le fond et dans la durée, il est étonnant de constater que ce n’était pas le cas sur la période concernée puisque cinq urgentistes étaient présents sur l’île et disponibles la semaine du 28 février au 6 mars, écrivent-ils. Depuis le 7 mars, trois urgentistes sont en poste, ce qui est habituellement suffisant pour tenir l’hôpital « H24 » avec une ligne de garde et une ligne d’astreinte urgentiste. » Dont acte.

« La vie des patientsest mise en jeu »
Si les praticiens reconnaissent qu’un médecin peut être mandaté par les pouvoirs publics pour assurer certaines missions, comme la permanence des soins, ils précisent : « Il nous apparaît impensable de cumuler plusieurs jours consécutifs de réquisition de 24 heures, sans repos compensateur, et d’assurer en parallèle le suivi de nos patients ainsi que la permanence des soins de ville pour laquelle quatre médecins généralistes se relaient et effectuent une à trois astreintes par semaine. » De plus, ils remarquent que le médecin réquisitionné est seul pour assurer le service des urgences, d’hospitalisation et le Smur (service mobile d’urgence et de réanimation). «Nous sommes catapultés dans l’hôpital sans aucune réunion d’information sur le fonctionnement des urgences ni formation à la prise en main du logiciel », pestent les cinq praticiens.
Plus grave, ils rappellent que « les médecins généralistes n’ont pas les compétences pour assurer la prise en charge d’une urgence vitale ou d’une réanimation et les patients doivent bénéficier de la sécurité sanitaire qu’ils sont en droit d’attendre ». Et de tancer les méthodes de la direction hospitalières, appuyée par l’ARS et la préfecture : « Ce système de réquisitions itératives qui consistent à mandater des médecins généralistes libéraux qui ne coûtent rien à l’hôpital ne peut devenir une habitude, du fait de risques sanitaires non maitrisés. Des médecins urgentistes doivent être réquisitionnés à ces postes. Avoir recours aux médecins de ville pour combler le déficit de médecins hospitaliers ne fera qu’accentuer les difficultés d’accès aux soins pour les patients qui termineront inexorablement à ­l’hôpital.» En guise de conclusion, les cinq signataires assènent : « Penser que n’importe quel médecin peut se substituer à un autre, tant qu’il en porte le titre, témoigne d’une profonde méconnaissance de notre métier. Et en agissant ainsi, la vie des patients est mise en jeu.»
Sollicitée mardi 15 mars par courriel, la directrice des hôpitaux de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, Marie-Antoinette Lampis-Pattus répond (lire ci-dessous) notamment aux médecins généralistes que « la solidarité entre professionnels de santé hospitaliers ou libéraux doit être érigée en principe fondamental ».

 

La réponse de Marie-Antoinette Lampis-Pattus, directrice des établissements hospitaliers des îles du Nord : « A aucun moment le médecin ne se retrouve seul »

Directrice des établissements hospitaliers des îles du Nord, Marie-Antoinette Lampis-Pattus répond à nos questions au sujet des réquisitions de médecins généralistes à Saint-Barthélemy. Elle explique : « En temps normal, deux médecins urgentistes sont disponibles tous les jours dans l’établissement. Un pour le service d’accueil des urgences, le second présent en journée et en astreinte nuit et week-end pour assurer les « évasan ». Pendant une période d’une quinzaine de jours, l’effectif médical présents sur l’île n’a pas permis d’assurer la seconde ligne pour les astreintes « évasan ». La situation des deux dernières semaines est tout à fait exceptionnelle et est due à  la conjugaison d’absences pour congé formation, congé annuel et arrêt maladie inopiné. Le fait que de nos praticiens ne soient pas tous résidents de l’île, nous a conduit à solliciter l’appui des médecins de ville qui, rappelons-le, sont également astreints à la permanence territoriale dans le cadre de leur activité libérale. C’est dans ce cadre que le Préfet, et non l’hôpital, a procédé à cette réquisition. »
Au sujet des plaintes formulées par les médecins réquisitionnés, notamment le fait qu’ils sont contraints d’assurer seuls les gardes aux urgences, au service d’hospitalisation et au Smur, la directrice répond : « A aucun moment, il n’a été demandé au médecin réquisitionné d’intervenir en sortie Smur. L’objet de la réquisition était uniquement de tenir une permanence aux urgences dans le cas où le médecin urgentiste serait amené à accompagner une « évasan » à Saint-Martin, donc pour un temps très court, ce qui s’est produit deux fois sur toute la période. Il est important de noter également qu’à aucun moment,  le médecin ne se retrouve seul, il est entouré des infirmiers et des aides-soignants de garde expérimentés, mais surtout, sa période de permanence a été encadrée par un temps de transmission avec l’urgentiste présent avant son départ. » Une affirmation qui ne correspond pas aux déclarations des généralistes qui assurent être « catapultés dans l’hôpital sans aucune réunion d’information ». Là encore, la directrice dément et répète : « Le médecin est entouré d’une équipe para-médicale très compétente, son temps de réquisition reste très limité et un temps de transmission est organisé avec l’urgentiste. »
Si Marie-Antoinette Lampis-Pattus « comprend » que les réquisitions perturbent le quotidien du cabinet du médecin, elle rappelle que « l’exercice de la médecine suppose aussi une participation à la continuité des soins dont le travail sur l’hôpital n’est qu’une variation très épisodique pour ces professionnels qui sont tous formés dans le milieu hospitalier durant  toutes leurs longues études ». Elle ajoute que « compte tenu de la situation particulière de triple insularité, la solidarité entre professionnels de santé hospitaliers ou libéraux doit être érigée en principe fondamental ».
Pour l’heure, la directrice indique que « des renforts de Guadeloupe comblent le planning » en raison de l’absence de médecins. Au sujet d’un éventuel renforcement des effectifs de l’hôpital de Bruyn, elle réplique : « Depuis plusieurs mois, la direction a entrepris des discussions avec les médecins pour leur proposer une nouvelle organisation du temps médical afin d’assurer une plus grande disponibilité des urgentistes et une meilleure prise en charge des hospitalisations. Cette nouvelle organisation sera mise en place le 15 mai avec l’arrivée de deux nouveaux médecins. »

Journal de Saint-Barth N°1464 du 17/03/2022

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