La directrice générale de l’Agence régionale de santé de Guadeloupe et des îles du Nord Valérie Denux a rencontré Bruno Magras vendredi 26 mars. Objectif : discuter d’une stratégie de sortie de crise face au Covid-19.
Quel est l’objet de votre rencontre aujourd’hui avec le président de la Collectivité ?
Nous souhaitons faire point sur la situation et discuter de la manière dont on pourrait sortir de cette situation ensemble. D’abord parce que le nombre de contaminations augmente, il faut qu’on arrête ça. Et d’autre part parce qu’il faut faire tout ce qu’on peut pour que l’île soit réouverte.
En tant que directrice de l’ARS vous venez avec quelles recommandations ?
La recommandation c’est d’ouvrir le plus vite possible très largement la vaccination. On vient d’avoir l’autorisation d’ouvrir la vaccination à l’ensemble de la population.
Uniquement à Saint-Barthélemy, pas à Saint-Martin et en Guadeloupe ?
Oui, pour l’instant seulement pour Saint-Barthélemy mais nous le ferons ensuite pour Saint-Martin. Saint-Barthélemy a un taux d’incidence quand même très élevé en ce moment. Ici l’avantage c’est que c’est quand même petit, on a un peu plus de 9000 habitants, c’est possible d’essayer de mettre un écran entre le virus et le territoire par la vaccination. Donc nous allons lancer cela probablement à partir de mi-avril. Comme ça se fait aujourd’hui à Wallis et Futuna et Saint-Pierre-et-Miquelon.
Quel vaccin va être utilisé pour cette campagne de vaccination massive ?
Pour l’instant c’est en discussion. Ce qu’il faut c’est qu’on ait un vaccin qui soit plus facile à gérer que le Pfizer-BioNtech sur le plan logistique et surtout que ça évite d’avoir des rendez-vous, que les gens puissent venir librement et de manière importante. Il va probablement falloir qu’on organise un système de vaccinodrome, de vaccination un peu plus large. Tout cela est en cours de réflexion.
Le message qui est important pour moi à faire passer c’est que si on joue collectif, rapidement on peut peut-être arriver à sortir de cette situation ensemble. Si on ne joue pas collectif et qu’on a un niveau de vaccination qui est trop bas, on va se retrouver avec encore des difficultés parce qu’il faut quand même un niveau d’immunité collective qui soit suffisant, autour de 80% de la population.
Rouvrir l’île à condition que tout le monde soit vacciné, certains considèrent cela comme un chantage. Que leur répondez-vous ?
Ce n’est pas du chantage, c’est juste la réalité. Il faut arrêter cette épidémie et pour cela il faut une immunité collective. C’est sûr que vacciner les plus fragiles ça permet de protéger les individus mais la vaccination collective permet de reprendre la vie normale. C’est un fait.
Et puis il faut être réalistes : de plus en plus autour de nous on va exiger des vaccins pour les voyages. On le voit aux États-Unis, qui demandent à ce que les gens qui voyagent soient vaccinés. Les Américains eux-mêmes souhaitent être rassurés sur le fait de se déplacer dans une zone où le virus ne circule pas de manière active. Il y a un vrai intérêt global de protection individuelle et de dynamique collective. Il ne s’agit pas de chantage du tout.
Le président Macron a dit qu’il n’y aurait pas de passeport vaccinal en France. Dans ces conditions Saint-Barth accueillera toujours des personnes non-vaccinées...
Sur le passeport sanitaire il y a des réflexions en cours au niveau de l’Union européenne. J’imagine que la France sera dans la dynamique de l’Europe. Dans l’autre sens ici, il s’agit pas de demander forcément aux gens d’être vaccinés c’est simplement de dire qu’aujourd’hui les autres pays le demandent. Les gens qui viennent sur nos territoires veulent aller sur des zones qui sont garanties.
Que dites-vous à ceux qui pensent qu’il n’y a pas assez de recul sur la vaccination ?
Je leur réponds que maintenant il commence à y avoir des millions et des millions de gens vaccinés autour de la planète et qu’évidement on commence à avoir des données assez probantes. Je suis vaccinée je vais très bien, il y a beaucoup de gens pour qui ça se passe dans de bonnes conditions donc je crois qu’ils peuvent être rassurés.
Le vaccin AstraZeneca, qui avait été présenté comme la solution pour une vaccination massive, suscite plus d’inquiétude que les autres. Ces craintes sont-elles
fondées selon vous ?
Je crois qu’il faut remettre les choses à la bonne place. Il y a eu vingt-six situations décrites pour vingt millions de vaccinations.
En plus il n’y a pas de lien de cause à effet, c’est un principe de précaution qui a été pris. Les personnes chez qui le vaccin a provoqué des thromboses sont très probablement des gens qui avaient un terrain avec des prédispositions qu’ils ignoraient jusqu’à présent. Par exemple des femmes qui prennent la pilule ou des personnes qui avaient des positions très statiques qui favorisent les thromboses, mais ça reste quand même très peu important.
Il faut se dire une chose c’est que la vaccination a quand même été éprouvée depuis plus d’un siècle. Oui, il arrive qu’il y ait des effets secondaires en général assez bénins et presque normaux parce que quand vous stimulez votre système immunitaire il doit réagir. Il y a quelques cas rares avec des effets secondaires plus important mais c’est souvent moins grave que la maladie. Il y a un vrai gros bénéfice à faire de la vaccination parce que cela limite très clairement les cas graves, les comorbidités. Maintenant il y a de plus en plus de cas décrits de Covid long, de symptômes chroniques de long terme. On n’est pas au bout de nos surprises avec cette épidémie. Je reste persuadée que ne pas attraper la maladie c’est quand même beaucoup mieux pour tout le monde. Et la vaccination présente des possibilités d’effets secondaires sans commune mesure avec ce que peut présenter la maladie.
Jusqu’à présent, la Collectivité avait plutôt orienté sa stratégie contre le Covid-19 autour du déploiement des tests. Pensez-vous que c’est insuffisant ?
La stratégie on l’a fait ensemble, c’est très bien. Il est vrai que plus on teste, plus on trouve. Mais grâce aux tests on peut arrêter la chaîne de contamination. Grâce à cela, les cas augmentent sur l’île mais ça ne glisse pas de manière infernale. Donc c’est une très bonne stratégie. Mais ce n’est pas une stratégie de très long terme parce qu’à un moment donné il faut arrêter d’attraper le virus. C’est pour cela que la vaccination c’est la stratégie suivante. Cela n’enlèvera pas le fait qu’on fera des tests en cas de doute. Mais ce que j’aimerais c’est avoir un taux de positivité très bas. Aujourd’hui le taux de positivité est autour de 7% à Saint-Barth, c’est trop. Le seuil de vigilance c’est 5%.
Beaucoup de personnes pensent qu’il n’y a pas de malades graves du Covid-19 à Saint-Barthélemy. Ils ont du mal à comprendre les mesures de prévention déployées notamment par l’ARS.
Il faut être honnête à Saint-Barth il y a assez peu de cas grave en ce moment, en tout cas qui nécessitent l’hospitalisation. En revanche, des cas où les gens étaient très fatigués et qui derrière traînent ces symptômes de fatigue il y en a. De ce qu’on m’a dit, il y aurait eu jusqu’à quatorze hospitalisations sur place. Mais c’étaient des personnes qui finalement étaient dans un état suffisamment stable, il n’y a pas eu a priori de raison d’effectuer des transferts vers Saint-Martin. C’est vrai qu’ici on est dans une situation où il y a beaucoup de gens jeunes. L’épidémie sur l’île se transmet aujourd’hui par des clusters essentiellement. Ce sont des clusters de fête. Récemment il y avait un cluster d’enfants après une soirée pyjama. Le problème c’est que plus on crée de la masse du nombre de cas, plus on va potentiellement aller toucher des gens fragiles de son entourage. On a eu 71 cas la semaine dernière il faut attendre quinze jours pour savoir si ça ne va pas avoir un effet grave sur une, deux, ou trois personnes. Il faut se dire que ça peut nous toucher tous.