Un rapport rédigé par deux députés propose de sanctionner la consommation de cannabis d’une simple amende.
Ce n’est qu’un rapport parlementaire, mais il n’en fallait pas plus pour rallumer le débat de société. Deux députés, Eric Poulliat (LREM) et Robin Reda (LR) ont terminé leur étude sur une nouvelle forme de sanction contre les consommateurs de cannabis : une amende, plutôt qu’une procédure judiciaire. Aujourd’hui, un fumeur encourt jusqu’à un an de prison et 3 750 euros d’amende, peine rarissime dans les faits.
Les deux députés sont d’accord sur un point : le système actuel ne fonctionne pas. « Il existe un décalage entre l’arsenal théoriquement très répressif en matière d’usage de stupéfiants et la “dépénalisation” de fait qui peut être constatée aujourd’hui », indique le rapport publié par Le Parisien dimanche.
Délit ou contravention ?
Toutefois, après avoir questionné les magistrats, les associations de consommateurs de cannabis et les forces de l’ordre, entre autres, les deux députés sont en désaccord. Eric Pouillat, élu de la majorité présidentielle, milite pour une amende forfaitaire à l’encontre des usagers, dont le montant pourrait varier de 150 à 200 euros, en conservant le caractère délictueux de l’infraction. Ainsi, des poursuites pourraient éventuellement être engagées.
Robin Reda, lui, plaide pour une dépénalisation qui ne dirait pas son nom. Un fumeur de joint écoperait d’une simple contravention, et ne pourrait plus être placé en garde à vue, encore moins en prison. Donc, plus de délit, plus de notion de récidive, plus de mention au casier judiciaire.
Le rapport a été rendu public hier. En tout cas, si les deux parlementaires sont divisés sur la forme à donner à cette amende, ils plaident tous deux pour une sanction financière seulement.
Lors de sa campagne, Emmanuel Macron était resté plutôt flou sur le sujet. Ni vraiment pour, ni franchement contre. Dans son livre « Révolution », le Président de la République écrivait : « Il faut écouter les professionnels qui expliquent qu’il est vain de pénaliser systématiquement la consommation de cannabis. » D’un autre côté, au cours d’une interview au Figaro, en février dernier, il indiquait ne pas croire « à la dépénalisation des petites doses. » Garder la sanction par l’amende, tout en conservant l’infraction, lui permettrait de contenter (ou pas) les pro et les anti. Et d’éviter un fastidieux débat de société.
En France, pays qui consomme le plus de cannabis en Europe avec 1,4 millions de fumeurs réguliers, «le nombre d’interpellés pour usage simple de cannabis a été multiplié par sept, en vingt ans », écrivent les députés. Soit un total de 140.000 interpellés sur l’année.
«Un citoyen roulant à 56km/h au lieu de 50km/h sera plus sanctionné», indique un responsable de la gendarmerie aux députés. Par ailleurs, selon le ministère de l’Intérieur, le temps passé par la police et la gendarmerie à traiter des affaires de simple consommation de stupéfiant est de 1,2 million d’heures par an.
Responsabilité et santé
A Saint-Barthélemy, du côté de la gendarmerie, on est plutôt favorable à l’instauration d’une simple amende contre les fumeurs d’herbe. « Ça simplifierait les choses, d’appliquer une sanction immédiate au lieu d’un rappel à la loi, ou d’une convocation au pénal qui intervient parfois des mois plus tard… », concède un militaire. Car si un consommateur écope d’un rappel à la loi, en cas de récidive lors d’un nouveau contrôle, la justice est dans l’obligation de passer au cran supérieur.
Côté justice, Yves Paillard, vice-procureur du parquet détaché de Saint- Martin et Saint-Barthélemy, rappelle que les consommateurs de cannabis sont déjà systématiquement soumis à une amende, « quand ils ont fait l'objet d'abord d'une invitation à se soigner (par alternative aux poursuites et rendez vous devant un médecin addictologue) qui n'a pas été suivie d'effet. Nous ne renvoyons en correctionnelle que les cas les plus récidivants et quand c'est lié à un trafic. En clair, on ne va pas en prison pour de la simple consommation de cannabis si on ne trafique pas », résume le magistrat. Selon lui, la liberté individuelle et la saturation des tribunaux ne sont pas les seuls enjeux à prendre en compte.
« La consommation de cannabis a des conséquences sur la santé publique et sur la vie sociale, notamment sur l'attention lors de la conduite (ce qui constitue alors une infraction distincte) et peut avoir des conséquences graves pour les métiers où l'on risque de se blesser (manipulation de machines outils, d'engins de chantier) ou de blesser les autres (conduite d'un bus, d'un train, etc.). »
Yves Paillard estime que «des sanctions "adoucies" ou une dépénalisation ne devraient pas aboutir à une déresponsabilisation des consommateurs. Et il faudrait mesurer les effets à long terme sur la santé publique. Il a fallu des décennies pour dissuader les gens de fumer du tabac à cause des ravages du cancer… »
JSB 1263