Dans sa petite maison juchée sur les hauteurs d’un quartier paisible et verdoyant, Hélène Weinert accueille avec élégance et simplicité ses visiteurs. Elle se veut prudente lorsqu’elle se déplace car, la veille, elle a chuté. « J’ai entamé ma centième année allègrement, commente-t-elle en s’asseyant sur son canapé. Enfin non, je me suis cassée deux côtes ! » Des perles discrètes pour orner ses lobes d’oreilles, deux longs colliers pendus à son cou, Hélène Weinert endosse avec raffinement et enthousiasme son nouveau statut de doyenne de Saint-Barthélemy. « J’en suis très fière, lance-t-elle. Je suis une fervente de Saint-Barth. Je suis ici depuis plus de 35 ans et je souhaite être enterrée sur l’île, avec mes amis. Je serai très bien dans un de ces petits cimetière fleuris. » Le plus tard possible, cela va sans dire.
Sur ses jeunes années, Hélène Weinert passe rapidement. Elle évoque ses parents, originaires du Nord de la France, qui se sont installés en Afrique du Nord où son grand-père possédait des propriétés. Ainsi, elle nait à Alger le 28 février 1924. « Mais quand le pays a pris sa liberté, ce fut assez terrible, soupire-t-elle. Beaucoup de gens de la famille ont été tués. » Sans transition, elle raconte : « Après je me suis mariée et j’ai habité en Belgique. Et puis, quand je me suis séparée de mon mari, j’avais un petit garçon et j’ai cherché à m’occuper. » C’est alors que l’aventure commence.
« Un coup de chance »
« Des amis avaient une société importante qui possédait différentes franchises, se souvient-elle. Ils avaient une usine qui fabriquait de la lingerie et des maillots de bain. Je suis entrée comme ça, en me demandant ce que j’allais y faire. » Les amis en question étaient les « mousquetaires Cordier » et, d’emblée, ils lui confient le studio de création « Corsair ». « J’ai commencé par corriger les patrons des modèles que l’on fabriquait, et puis j’ai eu un coup de chance. » De l’intuition, dirons-nous plutôt.
« Je m’ennuyais et je cherchais des idées, glisse-t-elle en se redressant. J’ai même demandé conseil à la vieille ouvrière qui travaillait avec moi dans le bureau. J’ai enlevé mes collants et, comme ça, je m’en suis servi pour confectionner un soutien-gorge. Mais c’était une matière très légère et on voyait les seins au travers ! » Elle se dit que l’audace de son idée ne tardera pas à être retoquée par ses employeurs.
A sa grande surprise, c’est exactement l’inverse qui se produit. « Un homme est venu à l’usine pour évaluer les employés et quand mon tour est arrivé, il m’a demandé ce que je faisais dans ce bureau, sourit-elle. Je lui ai simplement dit que je cherchais des idées et je lui ai montré ce que j’avais fait. Il a trouvé mon idée géniale et m’a dit qu’il allait en faire 200.000 ! » Dès lors, la vie de Hélène Weinert change du tout au tout.
« Une vie trépidante ! »
Ces nouveaux modèles de lingerie pour les femmes, alors emmaillotées dans des tissus lourds et peu gracieux, se vendent dans onze pays. « Ce qui est amusant c’est que c’était souvent les maris qui venaient les acheter pour leur femme, s’amuse la doyenne. Tout cela a été un déclencheur pour moi. » Sollicitée, elle devient l’égérie de la société et voyage en Europe, aux Etats-Unis, au Brésil… « Comme j’étais jeune et enthousiaste, ça ne m’a pas fait trop peur, assure-t-elle. Ils m’ont demandé si je me sentais capable de créer une collection de robes d’été, d’une ligne pour enfant, etc. Je m’amusais énormément ! Et j’étais étonnée d’avoir ce succès. »
Ces voyages finissent par la mener dans la Caraïbe. D’abord à Saint-Thomas, qu’elle trouve « trop dangereux ». Alors elle pousse un peu plus loin. « Comme j’avais une amie qui avait l’hôtel du Castelet, je suis allée la voir à Saint-Barth, explique-t-elle. Là, j’ai rencontré des gens formidables. Et surtout, j’ai été acceptée, ce qui n’était pas toujours évident. » Elle devient manager de la bijouterie Oro del Sol mais travaille aussi pour Hermès, confectionne des sacs, s’adonne à la peinture… « Quand je pense à la liste de tout ce que j’ai fait, soupire-t-elle, pensive. J’ai eu une vie trépidante ! Je vivais à 300 à l’heure. » Elle oublie presque de mentionner la création d’uniformes pour les hôtesses d’une compagnie aérienne, des tuniques pour des équipes de football…
Aujourd’hui, Hélène Weinert continue d’observer ce qui se crée, comme elle jette un œil parfois circonspect sur l’évolution de Saint-Barth. « Quand je suis arrivée, j’avais envie de simplicité, de nature sauvage, dit-elle. A l’époque, il n’y avait pas toutes ces baraques ! Aujourd’hui je n’aime pas qu’il y ait trop de voitures, tout ce monde aussi, et surtout que ça devienne aussi cher. Je le regrette. J’ai adoré le vieux Saint-Barth. Heureusement, les habitants ont gardé leur caractère, ils aiment leur famille. Saint-Barth a changé, mais ça reste un mythe. » Et puis elle s’interroge sur l’avenir de l’île. « Saint-Barth, c’est une lourde charge, affirme-t-elle. Il faut un homme d’action et plein d’énergie comme l’était Bruno (Magras) ! J’espère que Xavier Lédée saura faire. »
Lorsque le moment de partir est venu, Hélène Weinert laisse glisser son chat, Félix, de ses genoux. D’un pas lent car assuré, elle marche jusqu’à la baie vitrée et, accompagnant ses paroles d’un petit geste de la main, elle lance : « A très bientôt. »