Demain, cela fera vingt-cinq ans que Bruno Magras dirige l’île. En 1995, il succédait à Daniel Blanchard en faisant élire sa liste “Saint-Barth Horizon 2000”, seule en lice. Il a depuis été réélu haut la main à quatre reprises (2001, 2007, 2012, 2017). Un tour dans les archives nous démontre que son discours n’a que peu varié durant un quart de siècle, notamment en ce qui concerne la problématique numéro un de Saint-Barth, l’urbanisme.
Samedi 27 mai 1995, Bruno Magras présente son programme à la radio. Au terme de l’interview, un fax arrive dans le studio : José Berry et Louis Faustan Laplace annoncent, après avoir entendu le candidat, qu’ils constituent une liste contre lui. Ils n’y parviendront pas en temps voulu, à l’instar de Jean-Paul Nemegyei. L’adjoint au maire est donc le seul candidat à la succession de Daniel Blanchard, à la tête d’une liste intitulée “Saint-Barth Horizon 2000”.
Durant les derniers jours de la campagne électorale, Bruno Magras rencontre les socioprofessionnels de l’île. Ceux-ci font part de leurs préoccupations. A l’époque, les sujets de l’évolution statutaire et de la fiscalité de Saint-Barthélemy font l’actualité, comme celui de la santé. Et autant qu’aujourd’hui, l’urbanisme et le développement sont des thèmes centraux de la campagne. Dans nos colonnes, le 8 juin 1995, Bruno Magras est très clair : la période du bétonnage massif de l’île est terminée (JSB 154). Il rencontre ensuite les jeunes de l’île qui déjà, redoutent l’impossibilité de s’installer sur leur propre île, vu les prix pratiqués. Le candidat refuse tout net l’idée que la mairie achète des terrains pour les revendre à bas prix aux locaux, réfutant le principe “d’assistanat”, et leur conseille de se regrouper pour réunir les sommes nécessaires à une acquisition.
Une semaine plus tard Bruno Magras est élu maire par 1.863 votants (59,4% de participation), qui se sont exprimés à 87,2% en sa faveur. «Les gens ont montré qu’ils savent faire la différence entre l’essentiel et le reste. Nous n’avons pas pris le pouvoir, les habitants de Saint-Barthélemy nous l’ont confié», se félicite-t-il à l’issue du scrutin.
Cinq ans plus tard, une nouvelle campagne municipale est lancée. Le 3 janvier 2000, lors de ses vœux à la population, Bruno Magras se félicite des avancées en matière d’infrastructures, de production d’énergie et d’eau potable, de traitement des ordures ménagères : « Saint-Barthélemy se porte bien, ses habitants aussi et c’est tant mieux. » Et il s’interroge sur l’avenir : «Des millions de mètres carrés de vendus, des milliers de constructions réalisées, une population qui triple en vingt-cinq ans, des milliers de voitures importées, le bruit, la promiscuité, l'intolérance, le manque de civisme, bref tout ce qui constitue le revers de la médaille... A quoi ressemblera donc le prochain quart du siècle qui s'annonce ? Combien sommes-nous à nous interroger? Sommes-nous capables de réagir et de fixer les limites à ne pas dépasser ? » questionne le maire. « A l’aube de cette nouvelle année, c’est donc à une prise de conscience collective et individuelle que j’en appelle, ensemble nous avons non seulement le droit, mais le devoir d’agir. » Ces mises en garde sur le développement de l’île, il les répète quelques mois plus tard, en octobre. Il n’a pas encore officialisé sa candidature, contrairement à Hervé Allix. Celle d’Edouard Magras se précise aussi.
Cinq mois avant le scrutin qui verra sa réélection au premier tour, Bruno Magras publie dans le Journal de Saint-Barth une tribune intitulée “Urbanisme : le clin d’œil”. Il y détaille la complexité de réglementer l’urbanisme, et explique que nombre de permis de construire sont négociés en l’absence des élus locaux, par les services de l’Etat. Il rappelle que les habitants ont refusé l’instauration d’un POS (plan d’occupation des sols), et qu’il a été à l’initiative de la conception d’un Marnu (Modalités d’application du règlement national d'urbanisme) entré en vigueur en 1998. Document qui, comme les cartes d’urbanisme depuis plus de quinze ans, a fait l’objet de multiples contestations et recours en justice de la part d’habitants et investisseurs désireux de construire. «1.400 permis de construire ont été délivrés depuis 10 ans ! 276.000 mètres carrés de construction en surface hors oeuvre brute ont été réalisés ! Combien en faut-il de plus? Quelles seront les conséquences sur notre environnement? » écrit Bruno Magras (JSB 419). « Les difficultés de circulation en période touristique, les problèmes de parking, la saturation de la zone industrielle de Public, l’étroitesse du dépôt de carburants, les différentes formes de nuisance liées à la densification des constructions, à la promiscuité… Rien ne semble freiner l’appétit des inconscients. Faut-il créer une deuxième zone industrielle? Si oui, où? Ne retenez pas de mon propos, l'idée qu'il faudrait tout arrêter, ce serait sans doute utopique. Mais ne pourrions-nous pas mieux investir? Faut-il continuer à construire des maisons de location? Des appartements? Ne peut-on pas diversifier nos investissements? Faut-il chercher à tout prix la rentabilité maximale? L’heure n'est-elle pas venue de faire la part des choses entre la course effrénée au profit et notre cadre de vie? » Il en remet une couche en décembre de la même année, trois mois avant le scrutin, dénonçant les permis de lotir accordés par l’Etat, et soulignant la limitation d’action du maire en la matière. En février, le Journal de Saint-Barth l’interviewe : «Tout le monde s’accorde à dire qu’il faut stopper le développement de l’île... » Réponse du candidat : « La maîtrise de l’urbanisation de notre île est devenue indispensable si nous ne voulons pas détruire définitivement ce qui justifie son succès. Alors, faut-il tout arrêter ? Je ne le crois pas. Néanmoins, si nous voulons sérieusement maîtriser l’urbanisation, la collectivité doit disposer d'un véritable pouvoir de décision basée sur des règles d'urbanisme claires et adaptées à la réalité économique et topographique de notre île. »
La liste “Saint-Barth en avant” conduite par Bruno Magras est élue le 11 mars 2001 au premier tour avec 63,3% des votes.
En 2007, ce sont cette fois quatre listes qui s’affrontent pour diriger la toute nouvelle Collectivité d’outre-mer de Saint-Barthélemy. Le maire Bruno Magras est réélu avec 72,2 % des suffrages, au premier tour, haut la main face aux listes conduites par Benoît Chauvin, Karine Miot et Maxime Desouches. Plus que jamais, l’urbanisme est au cœur des débats, avec la nouvelle possibilité qu’offre le passage en Com. Trois semaines avant le scrutin, dans nos colonnes, Bruno Magras est plus confiant pour l’avenir : « La loi organique confère à la nouvelle Collectivité le pouvoir de décision dans ce domaine y compris dans la protection de l’environnement et des espaces boisés. Les élus disposeront donc des leviers de commandes qu’ils n’avaient pas par le passé. Je n’ai pas la prétention de croire que l’on pourra tout arrêter et ce ne serait pas souhaitable. Mais pour répondre à votre question : suis-je favorable à limiter l’urbanisation de l’île ? La réponse est oui. Il faut une véritable prise de conscience avant qu’il ne soit trop tard et que l’économie générale de l’île en pâtisse. »
Plus facile à dire qu’à faire. L’instauration par la Collectivité de ses propres règles ne sera pas un long fleuve tranquille. Fin 2010 une première carte d’urbanisme et son règlement, dont la conception avait débuté en 2008, sont adoptés par le conseil territorial. La carte est retoquée par la préfecture au contrôle de légalité. En mars 2011, les élus votent son annulation.
Bruno Magras est réélu en 2012 face aux listes de Benoît Chauvin et Maxime Desouches, avec 74% des voix.
Une seconde prescription est lancée, et en octobre 2013, une nouvelle carte d’urbanisme, attaquée au tribunal administratif, est annulée par la justice. En 2014, les élus relancent une prescription. En 2015, dans son discours du 24 août, Bruno Magras fait allusion à un « dossier en cours qui avance plus lentement que je ne le souhaiterais, il s’agit de la carte d’urbanisme. Voilà un peu plus d’un an que son élaboration a été relancée. Des raisons techniques et administratives ont certes ralenti les travaux, mais il nous faut maintenant accélérer pour adopter notre carte avant juin 2016. Je fais confiance aux élus de la commission urbanisme pour tenir cette date butoir. L’enjeu est de taille. Il nous faut désormais préparer l'après BTP. La fuite en avant serait fatale à l’île. Mais geler tous les projets le serait tout autant. La transition est engagée. »
Le document sera adopté début 2017, juste avant la nouvelle réélection de Bruno Magras, au premier tour face à Xavier Lédée, Hélène Bernier et Bettina Cointre. La carte d’urbanisme a fait l’objet de quatorze recours ; mais cette fois, le tribunal ne l’a que partiellement annulée, et aujourd’hui elle est en vigueur. L’année dernière, Bruno Magras annonçait avec fermeté que grâce à ces règles, l’île allait entrer d’ici un an « dans une phase de ralentissement du BTP. » Qui du même coup soulagerait les problèmes de circulation, de nuisances et de logement. Sur les critiques autour du développement de l’île, il répondait : « Mieux vaut faire envie que pitié. »
Le sujet n’est pas classé pour autant. La carte doit entrer en révision avant la fin de l’année 2020 pour intégrer les nouvelles dispositions du code de l’urbanisme, notamment sur la végétalisation et la hauteur des constructions.
Dans une interview accordé à un magazine à paraître fin 2020 mais déjà consultable en ligne, “To be or not Luxe”, le discours de Bruno Magras est toujours le même: « Je suis partisan de l’idée qu’il faudrait arrêter de construire des villas et des hôtels », indique le Président de la Com. «D’ailleurs depuis que je suis élu en 1995, il n’y a pas eu de nouveaux hôtels. Certains ont été détruits et reconstruits ou rénovés. » Un peu gros : effectivement la plupart des hôtels sont établis sur des établissements anciens, mais ils ont considérablement changé et se sont bien agrandis. Et s’ils n’en portent pas le nom, les projets The Collection à Flamands ou Autour du Rocher à Lorient, pour ne citer qu’eux, n’ont pas grand chose à envier aux hôtels. Par ailleurs, un permis de construire pour un “boutique-hôtel” de dix chambres à Lurin a été accordé en novembre dernier, à côté d’un projet comportant 18 studios.
Le thème du développement et de la construction sera sans nul doute au coeur de la prochaine campagne électorale, dans un an et demi. Plus encore qu’il y a vingt-cinq ans.