Jeudi 21 janvier le Sénat a adopté à l’unanimité (343 voix pour sur 345 votants, zéro contre), en première lecture, une proposition de loi qui crée une nouvelle infraction spécifique, punissant de vingt ans de réclusion criminelle toute pénétration sexuelle entre un adulte et un enfant de moins de treize ans, à la condition que l’auteur connaisse l’âge de la victime. Ce vote a été largement critiqué. Sénatrice (LR) de Saint-Barthélemy, Micheline Jacques, qui a signé le texte, a reçu des menaces. Elle explique aujourd’hui son vote.
Avez-vous voté en faveur du consentement sexuel à treize ans, comme cela a pu vous être reproché ?
La proposition de loi (PPL) visant à protéger les jeunes mineurs des crimes avait pour objectif de combler un vide juridique. En l’état, le droit permet en effet à un juge de soulever la question du consentement du mineur de moins de quinze ans. Des affaires l’ont particulièrement montré : à Pontoise, en septembre 2017, le parquet n’avait pas retenu la qualification juridique de « viol » s’agissant d’une fellation d’une mineure de douze ans à un adulte de vingt-huit ans et en 2020, la cour d’appel de Versailles, avait rejeté la demande de requalification en « viol » après que trois pompiers avaient abusé d’une adolescente de treize ans.
La PPL Billon contient d’autres dispositions, mais je ne me concentrerai que sur celles relatives au consentement. Il s’agit de fixer à treize ans l’âge en deçà duquel la question du consentement ne pourrait pas se poser en cas de plainte, qu’il y ait eu contrainte ou non ; autrement dit, que tout acte sexuel entre un mineur et un majeur soit, en deçà de ce seuil, qualifié de « viol », donc de crime. L’article 1 de la proposition de loi dispose ainsi que : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital, commis par une personne majeure sur un mineur de moins de 13 ans est puni de 20 ans de réclusion criminelle ». La définition du « viol » serait dès lors modifiée, le texte faisant en conséquence passer à trente ans après la majorité de la victime le délai de prescription applicable à toute relation entre un majeur et un mineur de moins de treize ans.
A partir de cet âge, le consentement pourrait être recherché et partant, admis par le juge. S’agissant des mineurs entre treize et quinze ans, les rapports sexuels entre avec adulte seraient constitutifs d’un délit, en l’absence de contrainte et resteraient qualifiés de « viol » dans cette dernière hypothèse.
A partir de quinze ans, âge auquel le droit reconnaît la majorité sexuelle, le consentement peut être considéré comme valable, là encore, hors les cas où la contrainte est avérée.
Le texte propose donc d’introduire une sorte de reconnaissance automatique du « viol » avant treize ans.
Au Sénat, ce seuil d’âge, 13 ans, a fait l’objet d’un débat. Pourquoi a-t-il finalement été retenu ? Un amendement de la socialiste Marie-Pierre de la Gontrie proposait de le fixer à 18 ans en cas d’inceste. La sénatrice PS Laurence Rossignol craignait que le seuil de 13 ans ne « fragilise les 13-15 ans pour lesquels on admettrait en fin de compte, un éventuel consentement, qu’il n’y aurait pas viol systématiquement », elle réclamait la même protection pour les moins de 15 ans.
Ce seuil de treize ans a été retenu parce qu’il est apparu juridiquement moins fragile. De fait, selon le Conseil d’État, l’âge pourrait ne pas être un critère constitutionnellement suffisant s’agissant d’une infraction criminelle. En 2018, à la faveur du projet de loi Schiappa, qui a notamment porté la prescription à trente ans pour les viols sur mineurs, le Gouvernement avait tenté d’introduire une présomption de non-consentement, abandonnée compte tenu de sa fragilité juridique. La PPL Billon en a tiré les conséquences. Celle-ci s’est également alignée sur la présomption de discernement fixée à treize ans dans le nouveau code de justice pénale. Il a aussi été tenu compte des effets de seuil, par exemple en cas de relation entre mineurs de quinze et dix-sept ans et demi qui, si elle durait jusqu’à la majorité de ce dernier, deviendrait un crime à compter de ce jour.
Le texte ne fragilise donc pas les moins de quinze ans, il renforce la protection des moins de treize ans. Mais il crée une « zone grise » qui peut sembler moins protectrice pour les mineurs entre treize et quinze ans. En réalité, il ne change rien au droit actuel pour cette tranche d’âge.
Quant à l’amendement de Marie-Pierre de la Gontrie, il visait à criminaliser tous les rapports incestueux avec un mineur. Le droit français ne considère en effet pas l’inceste comme une infraction en soi, mais une circonstance aggravante. Ainsi, des relations incestueuses librement consenties entre deux personnes d’au moins quinze ans, ne sont pas pénalisées. La sénatrice socialiste souhaitait donc que tout rapport incestueux d’un majeur avec un mineur de moins de dix-huit ans emporte la qualification de crime.
Cette proposition de loi vous paraît-elle suffisante face aux crimes sexuels commis contre les mineurs ?
Il convient de garder à l’esprit qu’aujourd’hui, il n’existe pas de seuil d’âge pour le consentement. Le droit actuel est donc scandaleux puisque le consentement peut être admis en-deçà de treize ans…
Au fond, la PPL Billon a retenu une approche essentiellement juridique pour un sujet qui est d’abord humain, sensible, parce qu’il touche à des blessures profondes, et s’agissant duquel le droit doit faire écho aux valeurs de la société. Je pense que légiférer sur ces questions, ce n’est pas détenir la vérité juridique mais rechercher la justesse de la loi. L’avons-nous fait ? Certainement, le texte et son adoption par le Sénat ont utilement soulevé de nombreuses questions mais comme l’a déclaré le ministre de la Justice, M. Eric Dupond-Moretti, une « réflexion aboutie » reste nécessaire. Ma conviction est que ce vote était prématuré et que ce sujet n’aurait pas dû être examiné isolément. Le Sénat a pour autant ouvert le débat et nous souhaitons qu’il ne se referme pas. Par exemple, il y a lieu de se demander si quinze ans est encore l’âge sociétalement admis pour la majorité sexuelle.
Comprenez-vous les réactions de la société civile face au vote de ce texte ?
Bien sûr, je comprends les réactions. Elles m’ont aussi fait beaucoup réfléchir. Et c’est ce qui m’amène à ne pas chercher à me dédouaner ni à justifier mon vote. Mais malgré toute la légitimité de l’incompréhension et la colère, elles n’autorisent personne à me menacer ou m’insulter, comme j’ai pu le lire.
Entre le dépôt de la PPL Billon en novembre dernier et son examen en séance publique, sont intervenues les révélations de Camille Kouchner et la vague MeTooIncest. Elle a imposé une prise de conscience collective sur l’inceste et fait que désormais, envisager la protection des mineurs contre les crimes sexuels, doit obligatoirement intégrer les relations incestueuses et aborder la question de la prescription. L’imprescriptibilité, à laquelle je suis du reste favorable, devrait être une évidence. Sur cela aussi, notre société évolue. En 2018, la loi faisait passer la prescription applicable aux viols sur mineurs de vingt à trente ans. Deux ans après, les appels à l’imprescriptibilité se multiplient notamment parce que de nombreuses années peuvent s’écouler avant que le traumatisme ne permette de parler ou même d’en prendre conscience. Notre société devrait être implacable dès lors qu’il s’agit d’enfants. A l’ère MeeToo, elle est intolérante aux prédateurs sexuels et demandeuse de règles plus punitives à leur encontre, et j’y vois un progrès. C’est en tout cas un des enseignements que je tire de la colère exprimée sur les réseaux sociaux après le vote du Sénat.
Quelles sont les prochaines étapes pour cette proposition de loi ?
Comme il s’agit d’une PPL, l’Assemblée n’a pas d’obligation de l’inscrire à son ordre du jour. Le Sénat l’y invite néanmoins pour améliorer le texte. C’est l’intérêt de la « navette » entre les deux assemblées et plus généralement, celui du bicamérisme.