C’est son dernier chantier de sénateur et peut-être l’un des plus importants puisqu’il parachève six ans de travail de la délégation sénatoriales aux outre-mer sur le sujet : Michel Magras a rendu public son rapport sur la différenciation territoriale, à l’heure où Saint-Barthélemy aspire à de nouvelles compétences.
Une révision constitutionnelle baptisée “3D”, pour décentralisation, déconcentration et différenciation, annoncée par Emmanuel Macron, et le Sénat qui pousse pour donner davantage de pouvoirs aux collectivités locales. Dans tout ça l’outre-mer a bien sûr une importante carte à jouer, chaque territoire la sienne. C’est ce que s’emploie à démontrer Michel Magras, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, dans son rapport publié mardi 22 septembre : “La différenciation territoriale outre-mer. Quel cadre pour le sur-mesure?”
Le sénateur explique que les outre-mer régis par l’article 73 de la Constitution (Guadeloupe, Martinique…) sont davantage agités par le débat sur leurs statuts que les collectivités de l’article 74 (Saint-Barth, Saint-Martin), déjà plus autonomes. Les premières se débattent avec des politiques publiques nationales souvent inadaptées à leurs spécificités. Dans les secondes, un partage des compétences entre exécutif local et Etat a été instauré. C’est finalement ce que préconise Michel Magras pour chacun des territoires ultramarins. « S’agissant de Saint-Barthélemy, il est paradoxal de s’apercevoir que l’État n’a jamais été aussi présent que depuis qu’elle est devenue une collectivité d’outre-mer (Com), son changement de statut ayant été l’occasion d’une clarification de ses responsabilités et d’un dialogue direct avec l’État », souligne-t-il à propos de notre île. Avec son statut unique, Saint-Barthélemy, à l’instar des autres Com, fait office de « laboratoire institutionnel » mais aussi de « preuve de l’indivisibilité de notre République ».
Onze territoires,
onze projets
Michel Magras liste ensuite les constats et aspirations de chaque territoire en matière statutaire. Pour Saint-Barthélemy, il cite son frère le Président Bruno Magras, « partisan d’un élargissement des compétences sur le modèle de la Polynésie. » Considérant que la « valeur constitutionnelle de la notion d’autonomie est assez virtuelle », Bruno Magras appelle à renforcer dans la Constitution la singularité des collectivités régies par l’article 74. À cet effet, il plaide pour qu’une révision de la Constitution facilite les transferts de compétences aux Com « laissant à chacune la possibilité de les solliciter à son rythme, selon des procédures souples ».
Le rapport d’information retranscrit les auditions très riches menées entre Michel Magras et les représentants de onze collectivités d’outre-mer, d’Edouard Fritch, président du gouvernement de la Polynésie Française, à Alfred Marie-Jeanne, président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Martinique, en passant par Atoloto Kolokilagi, président de l’assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna, Thierry Santa, président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie… Chacun représente un territoire bien particulier, avec sa propre situation institutionnelle. « Nous faisons face à onze collectivités, onze expressions politiques ; il n’est pas aisé d’opérer une synthèse », commente Michel Magras au cours de l’une de ces auditions. Ce qui illustre la nécessité de ne pas décréter un statut pour l’ensemble des outre-mer, mais au contraire, d’approfondir les spécificités institutionnelles de chacun.
Dom-Tom, Drom-Com,
et bientôt Pom ?
Stéphane Diémert, président assesseur à la Cour administrative d’appel de Paris, ancien conseiller juridique au ministère de l’outre-mer (2002-2006), énarque, fait office de technicien juridique.
Michel Magras l’interroge : «La notion de pays d’outre-mer ne pourrait-elle pas permettre d’introduire une nuance matérialisant un degré d’autonomie plus avancé, en remplacement de la notion de collectivité dotée de l’autonomie ? »
Stéphane Diémert, qui fut l’artisan à Paris de l’évolution statutaire de Saint-Barth, acquiesce : « Le terme de collectivité est sans doute moins séduisant politiquement, et ne prend pas assez en compte les spécificités de l’outre-mer : on a pu écrire que la France constitue avec son Outre-mer “une fédération qui s’ignore”: le terme de pays rend mieux compte de cette réalité politique », dit-il.
Véronique Bertile, maître de conférence en droit public, renchérit. Pour elle la notion de « pays » pourrait être préférée. Elle souligne que les appellations ne sont pas anodines : « La question de la terminologie est hautement symbolique et très sensible. Dans le cadre de l’Union européenne, les collectivités d’outre-mer peuvent être des régions ultrapériphériques. Plusieurs élus d’outre-mer critiquent les termes de métropole, centre, périphérie, etc. »
Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur de droit public spécialiste de l’outre-mer, est « séduit par la qualification de pays d’outre-mer, qui me semble être la plus appropriée dans une recherche de clarification et une préoccupation que les populations locales s’approprient le statut et les normes applicables sur le territoire. » « Il serait symboliquement et politiquement très fort d’accompagner les modifications assez largement techniques dont nous débattons aujourd’hui d’une modification de ce second alinéa du Préambule, en réaffirmant clairement que les pays d’outre-mer sont dans la République et ne peuvent en sortir sans l’accord de leur population », conclut Stéphane Diémert. Alors, Saint-Barth passera-t-elle bientôt de Com à Pom ?
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