Saint-Barth -

“Clause de revoyure” pour Saint-Barth : une recommandation qui fait polémique

Sur les trente recommandations du rapport concernant l’avenir institutionnel des Outre-mer, trois d’entre elles concernent Saint-Barthélemy. Mais une ligne en particulier a fait bondir les politiques de l’île. Dans ce rapport de plus de 300 pages, les rapporteurs préconisent de « mettre en place une « clause de revoyure » permettant une évolution pragmatique et souple du statut de Saint-Barthélemy à intervalles réguliers ».

Bruno Magras en désaccord
Le président honoraire de la Collectivité, Bruno Magras (appelé Didier Magras dans le rapport), a repris la plume pour exprimer son désaccord profond vis-à-vis de cette recommandation : « Après tant d’années de lutte pour parvenir à obtenir une évolution institutionnelle et politique adaptée à nos réalités historiques et géographiques, comment expliquer que dans le contexte actuel d’une France en faillite, il faille faire inscrire dans la loi, le réexamen du Statut de Saint-Barth ? »

Une clause «inutile»
Ses héritiers politiques ont aussi exprimé leur incompréhension face à une telle préconisation. « Cela reviendrait à rouvrir le statut régulièrement, ce qui est parfaitement inutile puisque l’évolution des compétences relèvent de la volonté politique locale et peut se faire par un projet ou une proposition de loi organique », a déclaré le groupe Saint-Barth d’Abord sur un réseau social. Le groupe d’opposition rappelle que Michel Magras a déjà fait évoluer le statut en 2011 et 2015. Comme l’explique ce dernier, pour modifier la loi organique statutaire de Saint-Barth, il faut d’abord une délibération du Conseil territorial, puis un travail de concertation entre le conseil territorial et les parlementaires. Ces derniers peuvent à leur tour rédiger une proposition de loi organique qui sera soumise à la navette parlementaire pour une éventuelle adoption. L’ancien sénateur indique qu’il est préférable que cette loi passe d’abord par le Sénat puisque c’est l’assemblée des territoires. « Une loi organique qui concerne le statut d’une collectivité commence au Sénat  et se termine au Sénat », explique Michel Magras. Ainsi pour qu’une modification de la loi organique soit adoptée, elle doit d’abord passer entre les mains de Micheline Jacques, sénatrice et conseillère territoriale du groupe d’opposition. «Le statut actuel permet aux élus locaux d’intervenir à tout moment, à l’unique condition de travailler en concertation entre le président de la collectivité (sa majorité), le sénateur et le député », insiste l’ancien sénateur.

L’audition du président
Mais d’où vient cette idée de proposer une clause de revoyure ? Dans le rapport, il est mentionné que les députés ont auditionné Vincent Berton, ancien préfet de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, Michel Magras et Xavier Lédée. Dans nos colonnes, ce dernier déclarait en novembre concernant son audition : « C’(était) aussi le moment de montrer les limites de ce statut, par exemple on n’a pas prévu de clause de revoyure pour s’assoir autour de la table et regarder ce qui fonctionne ou pas. » Recommandation reprise telle quelle par les députés dans leur rapport. Contacté par téléphone, Davy Rimane, co-rapporteur, affirme que cette “clause de revoyure” permettrait à la ­Collectivité de Saint-Barth, si elle souhaite faire évoluer son statut, de faire la demande au gouvernement d’activer cette clause de revoyure. Et non l’inverse. « Ça part toujours des territoires et non du gouvernement lui-même», déclare le député guyanais.

«Un risque pour l’avenir de notre statut»
Cependant, selon Michel Magras, cette définition ne s’applique pas à Saint-Barth régie sous l’article 74 de la Constitution. Si une clause de revoyure est réellement inscrite dans la loi, elle est obligatoire et « l’exécutif s’engage devant le Parlement à réexaminer des dispositions législatives ou réglementaires, au terme d’une période d’expérimentation fixée par la loi ». Lors du réexamen, les parlementaires peuvent alors modifier ou supprimer des dispositions législatives relatives au statut de l’île. « Les parlementaires peuvent être parfois très inspirés, surtout lorsque la France se trouve elle-même dans une période de grande instabilité politique et des difficultés financières insurmontables », ajoute Michel Magras. « Introduire une clause de revoyure serait un aveu de faiblesse politique incompréhensible et représenterait un risque pour l’avenir de notre statut actuel », prévient l’ancien sénateur. Plusieurs élus comme Micheline Jacques, Alexandra Questel, ou Marie-Hélène Bernier ont exprimé publiquement leur opposition à une telle demande, tout comme Bruno Magras : « Inscrire dans la loi, une “clause de revoyure“ qui permettrait à n’importe quel groupe politique de l’Assemblée nationale de demander le réexamen de notre statut institutionnel, relève d’un amateurisme dangereux qui m’inquiète et me bouleverse. »

Un processus parlementaire jugé trop long
Manque de connaissance de la part du président de la Collectivité ou volonté affirmée de court-circuiter les parlementaires locaux ? Xavier Lédée assure qu’une réouverture du statut n’était pas le sens de ses propos. Le président de la Collectivité se dédouane des conclusions du rapport en affirmant qu’il ne l’a pas lu : «Je n’ai pas vu le rapport donc je ne sais pas exactement ce qu’il y a écrit dedans ». Pourtant, le président de la Collectivité a repartagé sur plusieurs de ses réseaux sociaux notre article de l’édition du JSB 1603 qui décrit les conclusions de cette mission d’informations. L’aurait-il partagé sans le lire ? Dans ce post, Xavier Lédée déclare qu’il est « nécessaire de simplifier les procédures d’ajustement et d’évolution tout en garantissant à la population de Saint-Barthélemy que rien ne lui sera imposé ». Une position qu’il maintient au téléphone. Xavier Lédée affirme que la procédure actuelle qui passe par les sénateurs et les députés est un «process long ». « Ce sont des choses qui doivent pouvoir se discuter beaucoup plus simplement, se justifie Xavier Lédée. Et justement éviter de se retrouver bloqué avec un Parlement où il est très difficile aujourd'hui d'aller amener quoi que ce soit, parce que la composition du Parlement est ce qu'elle est. » Le président de la Collectivité aimerait donc échanger directement avec le gouvernement pour discuter des compétences de l’île en cas de désir d’évolution. Or, comme expliqué plus haut, donner la main à l’exécutif national est un pari risqué et le terme de clause de revoyure a un sens bien précis. Une définition que le président de la Collectivité n’a pas jugé bon de vérifier, avant d’être ­auditionné à l’Assemblée nationale.

 

 

Journal de Saint-Barth N°1604 du 20/02/2025

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