Après le passage de l’ouragan Irma en septembre 2017, la délégation sénatoriale aux outre-mer, présidée par Michel Magras, s’est mise au travail. Le premier volet de son rapport sur les aléas climatiques vient d’être publié, avec soixante recommandations.
Ouragan, séisme, tsunami, glissements de terrain, volcans, sargasses… Les outre-mer français sont exposés à toutes sortes de fléaux. Au Sénat, la délégation outre-mer, que préside le sénateur de Saint-Barthélemy Michel Magras (LR), a lancé au lendemain d’Irma une étude sur le sujet. Il faudra deux ans de travail pour arriver à un rapport complet sur « les risques naturels majeurs dans les outre-mer. »
Plus de 300 personnes ont déjà été auditionnées, dans l’Hexagone et au cours de plusieurs déplacements, dont Saint-Barthélemy fin avril. Trois sénateurs ont été désignés rapporteurs de l’étude : Guillaume Arnell (Rassemblement Démocratique et Social Européen, Saint-Martin), Mathieu Darnaud (Les Républicains, Ardèche) et Victoire Jasmin (Socialiste et républicain, Guadeloupe).
Il reste plus d’une année de travail avant de boucler l’étude, mais un premier volet de 224 pages a déjà été publié. Il se concentre sur l’identification des risques, la vigilance et l’alerte, et enfin la gestion de crise. Le second volet sera consacré à la reconstruction, la résilience des territoires à long terme et à la question des indemnisations des assurances.
Les sargasses catastrophe naturelle
La synthèse de ce premier volet du rapport tient en son titre : « Urgence déclarée outre-mer ». Les sénateurs ont listé 60 recommandations à l’attention de l’Etat et des institutions. Dès la première recommandation, ils prennent position contre l’avis d’Emmanuel Macron : « Aux Antilles et en Guyane, reconnaître les algues sargasses comme un risque naturel à part entière et permettre la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle. » Ce n’est pas vraiment une surprise, la Guadeloupéenne Victoire Jasmin étant militante de cette mesure depuis le début de la crise sargasses.
Le rapport préconise également de soutenir la recherche scientifique sur ces algues brunes, au niveau national mais aussi par le biais de coopérations internationales.
PPRN, où en sommes-nous ?
Le Sénat recommande d’accélérer les procédures d’adoption des PPRN des territoires d’outre-mer. Ce document, le Plan de prévention des risques naturels, définit les zones à risque d’un territoire. Et par ricochet, il peut influer sur les normes de construction selon que le bâtiment se situe en partie inondable, à risque d’éboulement, etc. Saint-Barthélemy n’en a pas encore, mais une délibération votée en novembre 2017 a lancé le processus de conception du PPRN. Il sert aussi de base au Plan de sauvegarde, c’est-à-dire à l’organisation des protocoles d’évacuation et de secours.
Des exercices d’ampleur
L’étude de la délégation sénatoriale pointe l’efficacité des simulations grandeur nature de catastrophe naturelle. Récemment, Saint-Barthélemy a réalisé un exercice d’évacuation tsunami, mais il ne concernait que les écoles, le collège et la Collectivité. Le Sénat milite pour de plus vastes opérations effectuées chaque année, et pour la mise en place dans chaque territoire ultramarin d’une « semaine des risques naturels », à l’instar des semaines Réplik ou Sismik existantes en Guadeloupe, pour sensibiliser l’ensemble de la population.
Pour une meilleure formation des autorités locales, l’étude préconise un séminaire annuel rassemblant les élus, la préfecture, et les représentants de la sécurité civile, de la protection de l’environnement et des services médicaux.
Rumeurs, renforts, état d’urgence
Ces thèmes semblent directement sortis de la crise Irma, notamment à Saint-Martin. De nombreuses rumeurs, notamment sur les réseaux sociaux, avaient été prises au sérieux par la population, et même par des officiels. Pour lutter contre ce phénomène, la promotion de l’écoute des messages de l’exécutif local et national doit être assurée. Le Sénat imagine également la mise à disposition des préfectures d’une équipe de communication de crise.
A Saint-Martin, l’absence de renforts dans les premières heures voire les premiers jours qui ont suivis l’ouragan, avait été dénoncée par nombre d’élus à l’échelle territoriale et nationale. Le rapport conseille de renforcer le pré-positionnement de moyens d’urgence durant les saisons cycloniques, et d’établir à l’avance des plans de mobilisation rapide de moyens humains et matériels.
L’idée
de la création d’un statut « d’état d’urgence calamité
naturelle » (pour le différencier
de l’état d’urgence tout court, trop lié à la situation post attentats et à la
privation de liberté), qui n’aurait rien à voir avec la question assurantielle,
découle aussi de la situation post-Irma à Saint-Martin. Cet état d’urgence
permettrait à l’Etat d’asseoir son autorité en prenant des mesures de
restriction de la circulation, d’ordres d’évacuation, de confinement ou de
couvre-feu, des entraves à la liberté
d’un caractère exceptionnel en France.
Télécom et numérique
Un dialogue avec les opérateurs télécoms pourrait aboutir au pré-positionnement de moyens humains et techniques afin de répondre plus rapidement à l’urgence. Dans le même esprit, le rapport suggère d’encourager les différentes sociétés à établir des conventions ou des partenariats pour qu’elles puissent mener des actions communes en temps de crise.
Le Sénat appuie les initiatives numérique de gestion de crise, avec l’exemple de l’association HAND (Hackers against natural disasters). Il suggère à l’Etat de lancer un appel à projets pour étudier toutes les innovations du genre.
Plus de moyens pour Météo France
Il est recommandé de doter Météo France de matériel plus précis, notamment en ce qui concerne les mesures de houle. Elle ne dispose que de huit radars pour l’outre-mer, zéro dans îles du Nord, par exemple. Des collaborations entre l’institution et divers organismes de recherche doivent aussi être mises en place.
Autres recommandations du Sénat : des partenariats à l’échelle régionale, avec d’autres pays, pour mener des opérations conjointes en cas de catastrophe.
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Certains conseils déjà mis en œuvre à Saint-Barth
Dans la liste de recommandations déterminée par la délégation sénatoriale, un certain nombre sont déjà appliquées (ou leur mise en œuvre a commencé) à Saint-Barthélemy.
Les points provisoires de fourniture d’électricité et d’accès internet avaient été mis en place avec le « wi-fi Irma ». Le prêt par la Collectivité de terrains à Saline et Saint-Jean pour que Tiru puisse stocker les déchets en attendant de les traiter est un exemple de coordination réussie.
L’engagement de moyens pour éviter les coupures de communication (satellite, fibre optique, radios…) a été renforcé en 2018.
Pour Irma, le COT (centre opérationnel territorial) avait dû quitter l’espace Météo pour l’aéroport. Mais il a pu fonctionner, regroupant tous les acteurs en un même lieu. Ensuite, la mise en place des accueils à la Collectivité (social, assurances…) avait facilité les choses. Cette année, le COT sera de nouveau installé à l’espace Météo en cas de cyclone. Mais si jamais le bâtiment devait ne pas tenir, comme pendant Irma, il a été décidé d’utiliser le fort des gendarmes comme « COT bis ».
La prévention contre les tsunamis commence aussi à avancer à Saint-Barth, avec les premiers exercices cette année, et le déploiement d’une signalétique pour l’évacuation tsunami (les panneaux ont été posés un peu partout il y a quelques mois). Notre île est citée dans le rapport du Sénat pour s’être dotée de sirènes d’alerte nouvelle génération. Outre l’alarme, elles diffusent un message vocal dictant les consignes à suivre. Pour l’instant, la mise en place de ces sirènes tsunami est très limitée ; mais tous les quartiers concernés par le risque de submersion devraient être dotés peu à peu.
> Le texte complet du premier volet du rapport de la délégation sénatoriale à l’outre-mer est à lire sur www.senat.fr.
JSB 1291