Les territoires ultramarins s’organisent à l’aune d’une révision de la Constitution. Ils espèrent saisir l’occasion pour faire évoluer leurs statuts vers davantage d’autonomie et de pouvoir décisionnaire local. Ils ont échangé leurs expériences lundi au cours d’une webconférence inédite réunissant les collectivités à statuts spécifiques.
Saint-Barthélemy souhaite laisser à l’Etat ses fonctions régaliennes (droit, justice, sécurité...), et pour le reste, choisir et exercer à la carte ses compétences, localement. Pour les domaines fondamentaux comme la santé, une consultation de la population serait organisée ; pour les thèmes plus pointus comme le contrôle phytosanitaire, cela relèverait d’une simple décision des élus.
Une révision constitutionnelle étant dans les tuyaux, Saint-Barth, comme les autres territoires d’outre-mer, se tient prête. En cette rentrée les débats sont ouverts.
Il y a le rapport de Michel Magras (lire page suivante), qui en tant que président de la délégation sénatoriale des outre-mer, milite pour des statuts à la carte pour les outre-mer ; et lundi à l’initiative de la Martinique s’est tenue une webconférence des collectivités à statut spécifique, réunissant Saint-Martin, la Martinique, la Guyane, la Corse, la région Guadeloupe et Saint-Barth, représentée par Bruno Magras et plusieurs de ses vice-présidents.
Les collectivités ultramarines s’organisent pour faire front commun et obtenir de l’Etat les délégations de compétences qu’elles souhaitent. Stéphane Diémert, qui a été le technicien de l’évolution statutaire de Saint-Barth, est chargé de la synthèse.
Les freins à l’autonomie
Pour lui une révision audacieuse de la Constitution est nécessaire pour satisfaire la volonté d’agir des territoires. « Mais le système devra être souple et ouvrir de larges possibilités d’évolution, différenciées. Prévoir ces possibilités dans la Constitution n’implique nullement de les attribuer systématiquement à toute demande. Une fois que le cadre institutionnel est assoupli, on entre ensuite dans le champ politique », plaide Stéphane Diémert.
Il liste les freins à l’évolution statutaire : « conformisme », «appareil administratif enclin à une recentralisation rampante », « crainte de l’effet domino », « peur de l’atteinte au principe d’égalité », «conservatisme de l’administration »… Des blocages plus théoriques que pratiques donc, mais « extrêmement forts », qu’il convient pour les territoires désireux de prendre leur destin en main de dépasser.
Aujourd’hui Saint-Barth et Saint-Martin sont celles qui disposent de la plus grande latitude législative nécessaire pour avancer.
« Le chantier est ouvert », déclare le Président de la Collectivité de Saint-Barthélemy en préambule de la conférence. « Nos préoccupations vont bien plus loin que la décentralisation. Comme je le dis souvent, ce n’est pas dans un bureau chauffé d’un ministère que l’on peut savoir mieux que nous ce qui convient ou pas pour nos territoires éloignés de la métropole. Nos singularités institutionnelles ne sont pas des fantaisies, mais la simple reconnaissance de ce que nous sommes et de là ou nous voulons aller. »
Retour d’expérience
Andy Laplace, 4e vice-président, prend également la parole pour détailler le fonctionnement de la Collectivité, en exposer les atouts et les limites. Pour ces dernières il cite notamment le droit au séjour et au travail des étrangers, ou la mise en place de sanctions pénales pour répondre aux législations locales. Nils Dufau, 2e vice-président, s’exprime aussi, sur le thème des transferts des compétences. « Tout ne s’est pas fait du jour au lendemain. Plusieurs compétences étaient déjà exercées avant 2007. » Il cite le Service territorial d’incendie et de secours, dont la gestion est devenue locale en 2017 grâce à un amendement voté au Parlement. Et évoque la gestion du cadastre, que la Collectivité souhaite reprendre, avec quelques difficultés. « En synthèse l’Etat transfère les compétences mais n’assure pas toujours le service après-vente », conclut Nils Dufau.
C’est au tour de Nicole Gréaux, 1re vice-présidente de la Collectivité. « Nous incarnons au quotidien l’aspiration à la différenciation », dit-elle, avant de citer des exemples des évolutions souhaitées par Saint-Barth : « En matière d’éducation, permettre aux jeunes enseignants de bénéficier d’une formation de proximité ; certaines parties du code rural, du code de la santé publique ou du code du patrimoine mériteraient d’entrer dans le champ exécutif local. En matière de santé la crise que nous vivons a démontré l’importance d’une co-décision entre l’ARS et la Collectivité. La plupart des principales avancées en matière de santé, ces dix dernières années, l’ont été à l’initiative ou avec le soutien de la Collectivité. Il faut en tirer les conclusions institutionnelles. (…) Il est indispensable que notre Caisse de prévoyance sociale, qui n’est qu’un guichet de la MSA Poitou, devienne une caisse de prévoyance à part entière. » Elle appelle l’Etat à s’ériger en « partenaire, qui laisse aux collectivités la liberté d’explorer la différenciation. »
« Saint-Barthélemy est dite dotée de l’autonomie. Les termes sont très forts, mais les effets juridiques attachés à l’autonomie sont très faibles», regrette Bruno Magras. « Il me semble essentiel de réduire le décalage entre les mots et la réalité, pour donner toute sa portée à ce mot magnifique d’autonomie. C’est le chantier qui est devant nous pour aller plus loin dans la différenciation. »
Contrat de confiance
Il plaide pour un nouveau pacte de confiance entre Etat et collectivités, afin que le désir d’autonomie ne soit pas assimilé à un désir de rupture avec l’Etat central. « Je n’ai jamais été un indépendantiste, je suis Français et fier de l’être. Mais je crois profondément que confier des responsabilités aux élus des collectivités qui le désirent, c’est marquer un certain respect. Il revient aux élus de se montrer après à la hauteur des enjeux auxquels ils font face. »
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