Saint-Barth -

L’île commence juste à livrer ses secrets enfouis

Quatre-vingt dix personnes ont découvert samedi soir les premières trouvailles archéologiques réalisées à Saint-Barthélemy, au cours d’une conférence organisée par l’association Saint-Barth Essentiel.

 

«Quand on pense archéologie, vient tout de suite l’image d’Indiana Jones, d’objets fantastiques… Mais c’est surtout un outil qui permet d’acquérir des connaissances scientifiques sur l’histoire et la préhistoire », prévient Christian Stouvenot, responsable de l’archéologie préventive à la Direction des affaires culturelles de Guadeloupe (Dac), dont dépend Saint-Barth. En effet, dans la liste des découvertes décrites samedi soir, au cours de la conférence organisée par Saint-Barth Essentiel, pas de coffre au trésor ou de cité engloutie.

L’archéologie préventive n’a débuté sur l’île qu’en 2015. Depuis cette date, vingt-neuf opérations ont été réalisées. Un seul chantier de fouilles préventives a été ouvert, à l’été 2018 sur la plage de Toiny (JSB n°1298). Les archéologues de l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives) avaient découvert des murs de soutènement anciens, beaucoup de céramiques, et une énorme quantité d’ossements de poissons sur ce site précolombien. « L’étude n’est pas encore réalisée, mais elle pourra nous en apprendre plus sur les espèces consommées à l’époque et les techniques de pêche utilisées », indique Christian Stouvenot.

L’an dernier à Lorient, c’est un amas de lambis exploités par l’homme qui a été révélé, à un mètre de profondeur. L’étude des couches sédimentaires et le carbone 14 permettent de déterminer que ces coquillages, certains percés et d’autres brûlés, datent de l’époque mésoindienne (500 à 3500 avant J.-C.). « Probablement le vestige d’un campement temporaire voué à l’exploitation de lambis », déduit Jean-Georges Ferrié, archéologue à l’Inrap. « Sur un autre diagnostic à Lorient, nous avons découvert une meule de cinquante centimètres de diamètre. La datation est indéterminée, mais elle ressemble à un objet similaire trouvé à Saint-Martin. » Elle est donc possiblement de la même ère, également appelée âge archaïque.

Un peu plus proche de nous, à l’âge dit céramique (-500 à 1.500 ans après J.-C.), débute une nouvelle colonisation des îles caribéennes, par des peuples venus d’Amérique du Sud. « Ces populations importent la poterie et l’horticulture. On a découvert des sites à l’aéroport, des outils à Gustavia, notamment des haches… » A Gouverneur, ce sont des ersatz de feux de bois qui ont été trouvés, « pas évidents à détecter avec une pelle mécanique, mais on y arrive ! On pense que ce sont des petits foyers qui servent à chauffer des pierres, utilisées ensuite comme grills. »

 

Des hameçons en burgos ?

Sur la plage de Grand-Cul-de-Sac, deux trouvailles sous le sable. Un regroupement de dizaines de coquilles de burgos, tous brisés de la même manière. « Cette récurrence de frappement n’est pas uniquement alimentaire, elle pourrait être liée à la recherche de la confection d’un objet », indique Jean-Georges Ferrié. Christian Stouvenot complète : « Il s’agirait d’hameçons. On a trouvé, à Saint-Martin et en Guadeloupe, des hameçons fabriqués à partir de ces coquillages. » Enfin, une dizaine de découvertes issues de la période moderne ont été sorties de terre, notamment à Gustavia où l’occupation suédoise a laissé des vestiges un peu partout. Avant que la Collectivité n’entame les travaux au fort Gustav III, les archéologues de l’Inrap sont venus sonder le terrain. « Le fort a été édifié en 1786-1787 », rappelle Jean-Georges Ferrié. « Nous n’avons pas découvert beaucoup de vestiges, mais sur le versant, on a dégagé cette structure pavée qui pourrait être un chemin. » Un peu plus loin, un mur de l’époque suédoise a été mis au jour. « Il correspond à l’emplacement d’un mur dessiné sur une carte datée de 1801. » Pour confirmer leurs hypothèses, les archéologues de l’Inrap font appel aux historiens locaux, plusieurs fois remerciés samedi soir : Arlette Margas, Elise Magras et Richard Lédée.

 

Le défunt de Flamands

Parmi les 90 spectateurs attentifs, le premier doigt à se lever s’enquiert de la toute dernière découverte des archéologues, sous le sable de Flamands. La semaine dernière, ils ont trouvé une tombe et son occupant, un squelette entier. « Cela reste un peu énigmatique », répond Christian Stouvenot. « Une histoire circule chez une partie de la population, un événement survenu dans les années 30. Il y aurait au moins un pêcheur mort dans un naufrage, qui aurait pu être enterré dans ce secteur. Mais nous n’avons aucune certitude à ce sujet. » Les ossements ont été emmenés à Saint-Martin où ils seront étudiés. S’ils correspondent au malheureux noyé de fin 1930, ils seront restitués à la famille.

 

La mémoire de l’île

« On n’a pas de bel objet à montrer, mais tout ce qu’on trouve participe à la compréhension de l’histoire et du passé de l’île. On mène des opérations depuis 2015, et elles commencent à fournir des résultats », argue l’archéologue Jean-Georges Ferrié. L’Inrap a fouillé fin août à Saint-Martin d’importants sites mésoindiens. Ils cachaient notamment des objets conçus dans des roches qui n’existent qu’à Saint-Barthélemy, un calcaire noir et une pierre verdâtre. Voilà qui prouve que les contacts entre les deux îles sont millénaires.

« Le patrimoine archéologique est unique et non reproductible. Ce qui veut dire que lorsqu’on le détruit, c’est définitif. Cette prise de conscience date d’il y a une trentaine d’années », rappelle Christian Stouvenot. « C’est un bien commun, qui doit être protégé des atteintes de style aménagement du territoire. Je ne sais pas si, dans 50 ans, on fera encore de l’archéologie ; tout simplement parce qu’il n’y aura plus rien à fouiller, au rythme ou vont les aménagements. Pourtant c’est capital, car c’est la mémoire de l’humanité. »


JSB 1340

Journal de Saint-Barth N°1340 du 05/09/2019

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