On a retrouvé les déchets des anciens habitants de Saint-Barth. A quelques mètres sous la surface du sol, sur le terrain d’un chantier à Saint-Jean, un diagnostic préventif a dévoilé des vestiges de la période précolombienne.
Imaginez, vers 1700-1500 ans avant Jésus-Christ, un groupe de personnes, probablement des nomades, peut-être en famille élargie, qui fait chauffer des lambis sur le cordon sableux situé entre l’étang et la plage de Saint-Jean. Le groupe reste quelques temps (on ne sait pas vraiment combien) sur cette plage, laisse des restes de sa consommation sur place (des coquilles de lambis brûlées, des burgos, du charbon, des pierres polies) puis repart, sans doute vers d’autres îles des Caraïbes.
Quelques siècles plus tard, vers le septième ou huitième siècle après Jésus-Christ, d’autres groupes s’installent, presque au même endroit, dégustent des coquillages, transforment les coquilles en outils, créent peut-être un village et jettent là leurs déchets, des coquilles vides.
C’est parce que des hommes décident de construire une maison sur ce même secteur au XXIe siècle qu’on retrouve les restes de ces détritus. Et qu’on les fait raconter leur histoire...
Diagnostic archéologique
Lorsqu’un permis de construire a été demandé pour une villa à Saint-Jean, la direction des affaires culturelles (DAC) de Guadeloupe a immédiatement demandé à pouvoir réaliser un diagnostic archéologique avant que ne débutent les travaux, susceptibles de remuer le sol et les vestiges qui s’y cachent. « L’emplacement de la parcelle entre le littoral et l’étang de Saint-Jean présentait un double intérêt : on sait que c’est dans ce genre de contexte géographique que des amérindiens se sont installés, c’est un environnement qui leur convient pour vivre en raison de la proximité de la mer et de ses ressources alimentaires. Par ailleurs, sur tout le cordon de Saint-Jean on a déjà trouvé des vestiges amérindiens », déclare Nathalie Sellier-Segard, chargée d’étude et d’opération archéologique à l’Institut national de recherches préventives (INRAP). C’est elle qui a mené le diagnostic.
L’opération est rapide : trois jours seulement. Mais elle montre une trace très bien conservée du passage des hommes. Une fouille préventive plus poussée pourrait être demandée avant le début des travaux de construction de la villa. « On peut s’attendre à ce que le site soit assez riche au niveau du mobilier. », développe Nathalie Sellier-Segard.
En creusant le terrain, les archéologues mettent au jour des vestiges de deux époques précolombiennes distinctes, la période mésoindienne (environ 4000 à 500 av. J.-C.) et la période néoindienne (de 500 av. J.-C. -environ 1500 ap. J.-C.). Ils le savent notamment après avoir daté certaines coquilles de lambis au carbone 14.
Spécimens brûlé de lambis dans le foyer du sondage (© N. Serrand, Inrap)
Un site structuré
Les plus anciens coquillages trouvés sur le site mésoindien, proviennent d’une période estimée entre 1751 et 1314 av. J.-C. Les restes de lambis brûlés qui s’y trouvent sont la marque d’un mode d’extraction du coquillage sur un brasero, déjà observé à Saint-Martin. Les équipes de l’INRAP découvrent aussi des bris de coquilles, qui ont pu être transformées en outils (pointes, hâche ou récipients) et des burgos systématiquement brisés pour une raison qu’on ignore. Ils ont peut-être servi à la fabrication d’hameçons. Les éléments recueillis sur le site sont encore trop réduits pour préciser l’usage exact des galets polis trouvés sur place.
L’intérêt de ses fouilles, c’est d’accumuler de plus en plus de connaissances sur ces populations de chasseurs-cueilleurs, en comparant les éléments déjà découverts sur cette période à Saint-Barthélemy, Saint-Martin ou ailleurs aux Antilles.
« Chaque site peut avoir une spécificité. Ici cela peut être un site d’habitat comme une halte de pêche », détaille Nathalie Sellier-Segard. S’il doit encore révéler ses secrets, Dominique Bonissent, conservateur régional de l’archéologie Guadeloupe nous explique que cet espace de fouille est « le site mésoindien le plus structuré découvert à Saint-Barthélemy. »
Un village ?
Dans la couche stratigraphique néoindienne, les archéologues découvrent des restes de lambis et burgos percés, un mode de cuisson caractéristique de la période néoindienne. La datation carbone d’un lambi confirme que ce coquillage provient d’une période entre 636 et 770 ap. J.-C.. Ces vestiges, combinés à d’autres découverts le long du cordon sableux laissent supposer aux archéologues une occupation plus vaste des lieux. « Une fouille préventive pourra affiner fourchette chronologique, rappelle Nathalie Sellier-Segard. Elle pourrait permettre de savoir si on est sur un village ou une halte de pêche. »
Carte synthétique des sites d’occupation Mésoindien et Néoindien de Saint-Barthélemy trouvés en archéologie préventive. © Inrap