S’il est une transaction immobilière qui mérite d’être évoquée, il s’agit sans nul doute de celle qui a été conclue aux alentours du 7 avril dans un cabinet notarial de l’Hexagone. Celle-ci concerne le domaine Rockefeller de Colombier, propriété de Linda et Steve Horn depuis le milieu des années 1990. Les quelques 52 hectares, sur lesquels David Rockefeller a fait construire une villa au début des années 1960 après avoir acquis le terrain pour 32.500 dollars en 1957, ont été achetés pour près de 136 millions de dollars (un peu plus de 124 millions d’euros) par Adam Sinn. Installé à Porto Rico depuis le début des années 2010, l’homme d’affaire étasunien est à la tête d’une société de négoce de matières premières (Aspire Commodities) implantée au Texas.
C’est le Wall Street Journal qui a dévoilé l’information dans un article publié le mardi 18 avril. L’auteur, E.B. Solomont, y décrit le domaine et la résidence et en retrace l’historique à travers des informations glanées dans un ouvrage daté de 2014. Il rappelle que la maison a été grandement endommagée par le passage de l’ouragan Irma en septembre 2017 et évoque rapidement le fait qu’une grande partie du domaine se trouve désormais en zone naturelle, donc protégée. Ce qui implique des nombreuses restrictions en matière d’aménagements.
« Préserver la beauté, l’esprit et l’histoire du site »
Lors de la transaction, il semble qu’aucun agent immobilier n’ait été impliqué. Toutefois, le Wall Street Journal mentionne le propriétaire de Wimco Real Estate, Douglas Foregger, comme ayant été «un conseiller » lors de la vente. De fait, après que le couple Horn et Adam Sinn aient personnellement négocié l'achat de la propriété, ils ont demandé l'aide de leurs avocats étasuniens et de l'avocat français de Adam Sinn, Charles-Hubert Vanoverberghe, pour mener à bien les premières parties de la transaction. Le futur acquéreur a ensuite contacté Douglas Foregger, propriétaire de Wimco Real Estate et partenaire de X Real Estate of St. Barths, pour intervenir en qualité de conseiller. Douglas Foregger précise qu’il a été le consultant immobilier mondial de Adam Sinn dans le passé et qu’il a « également pris une participation minoritaire dans tout futur concept commercial potentiel, dans le cas où Sinn ne conserverait pas la propriété comme sa résidence privée ».
Dans un communiqué adressé au JSB, Douglas Foregger remarque : « Cette propriété est unique en son genre. Ce n'est pas seulement la plus grande propriété des Caraïbes, comme David Rockefeller le pensait à l'époque, c'est l'une des propriétés de vacances les plus emblématiques de la planète. » Selon le propriétaire de Wimco Real Estate, Adam Sinn « incarne la prochaine génération de propriétaires car il reconnaît l'importance de la propriété pour la communauté de Saint-Barthélemy ainsi que la nécessité de préserver sa beauté, son esprit et son histoire ». Il ajoute : « J'ai travaillé avec Adam sur un certain nombre de transactions. Il est le parfait intendant pour la restauration et l'avenir d'une propriété aussi légendaire. »
« Je prévois de garder les deux sentiers ouverts »
Selon son conseiller, Adam Sinn est « honoré et ravi de l'opportunité de restaurer et de revitaliser la propriété ». L’homme d’affaires installé à Porto Rico assure : « Jusqu'à présent, j'étais très concentré sur la réussite de cet achat très important et personnel. Compte tenu de cela, il n'y a pas de plans actuels pour la propriété autre que le désir de la restaurer à sa gloire pendant les années Rockefeller. Je suis ravi d'avoir acquis un morceau d'histoire aussi emblématique qui fait partie du paysage et de la communauté de Saint-Barth depuis si longtemps. » Manifestement soucieux d’apaiser les éventuelles inquiétudes liées à cette acquisition et à ses projets, il précise : « Bien sûr, je prévois de garder ouverts les deux sentiers menant à la plage, comme ils l'ont été dans le passé. Je tiens évidemment à conserver la tradition du camping générationnel sur la plage du Colombier dans la limite immédiate des arbres pendant la semaine de Pâques une partie importante du tissu de cette grande île. »
« Pas de grands changements »
Pour Christian Wattiau, président de Sibarth Real Estate, la vente du domaine de Colombier va « donner un coup de projecteur » sur Saint-Barthélemy. Il explique : « Si le prix que j’entends est bien celui de la transaction, il s’agit du plus élevé pour une résidence unique (à Saint-Barth, ndlr). Pour un site qui est extraordinaire, c’est quand même très élevé. On a pu voir les effets de telles ventes dans le passé. Celle de Colombier à Rockefeller a entraîné un intérêt pour l’île. Des gens du monde entier sont venus pour voir ce qu’était Saint-Barth. Mais après la vente de Gouverneur à Roman Abramovitch (en 2009 pour 90 millions d’euros) ou quand, derrière, on a eu une opération commerciale à Flamands avec Le Cheval Blanc Isle de France, il y a eu ce même effet avec d’autres groupes hôteliers qui se sont intéressés à l’île. Aujourd’hui, cette vente fait déjà beaucoup parler. Mais je ne pense pas qu’elle affecte le développement de l’île. En revanche, elle renforce la solidité du marché à Saint-Barth. »
Par ailleurs, Christian Wattiau suppose « qu’il n’y aura pas de grands changements au niveau de la propriété » et précise : « Le projet du nouveau propriétaire devrait s’adapter à celui de la Collectivité territoriale quant à la carte d’urbanisme qui a été créée. Il y a déjà eu des modifications dans le passé même si, quand on proposait la propriété à des acquéreurs potentiels, on faisait toujours face à ces règles d’aménagement. Depuis, la Collectivité a su adapter la réglementation. » Une adaptation qui n’avait pas manqué de soulever des protestations de la part de certains élus lors du vote de la nouvelle carte d’urbanisme en décembre 2020 (JSB 1401).
Une carte d’urbanisme contestée en 2020
Ainsi, Marie-Hélène Bernier, actuelle 1ère vice-présidente mais qui siégeait alors en qualité de conseillère territoriale d’opposition, avait regretté que la nouvelle carte « ouvre la voie à l’urbanisation de Rockefeller ». Marie-Angèle Aubin, alors élue de la majorité et membre du conseil exécutif, avait dénoncé un « favoritisme » avant de lancer : «Peut-on m’expliquer pourquoi, sous prétexte que la famille Horn veut vendre, on donne des droits de construire en zone naturelle ? » La carte avait été adoptée à la majorité, malgré les voix « contre » de Marie-Hélène Bernier, Marie-Angèle Aubin et Maxime Desouches, également conseiller d’opposition à l’époque. Quoi qu’il en soit, le domaine Rockefeller de Colombier avait bénéficié d’un traitement particulier dans le cadre de la mise en place de la nouvelle carte d’urbanisme. Un zonage spécifique qui ne permet toutefois d’envisager que des aménagements restreints sur de petites surfaces. Reste désormais à connaître dans son ensemble le projet d’Adam Sinn, qui vient quand même d’investir 136 millions de dollars dans cette transaction historique.