Saint-Barth -

La Collectivité projette de rassembler les tombes de l’époque suédoise à Public

Photo > La tombe d’Eugénie Beaugédoi, née en Guadeloupe en 1789 et morte en 1835. Son époux Jean Simon Beaugédoi, né en Martinique en 1781, a perdu la vie en 1837 dans un cyclone et a été enterré avec elle dans cette sépulture de Saint-Jean. 

 

Les sépultures anciennes de Lorient et Saint-Jean pourraient être déplacées dans le carré suédois du cimetière de Public. L’idée de la Collectivité est de donner de la superbe à ce dernier et, pragmatisme oblige, de faire de la place dans les cimetières précités.

 

Le projet né en octobre 2018 avance, mais la décision finale n’est pas encore prise : le conseil territorial tranchera. La Collectivité envisage de déménager les tombes anciennes dispersées dans les cimetières de Saint-Jean et Lorient (côté cabane de surf), pour les installer dans le cimetière de l’époque suédoise, à Public. Pour l’instant, elle en est au stade du recensement et de l’identification de ces sépultures.

 

« Logique » selon l’Asbas

Sans descendant qui se serait manifesté, ni entretien, l’exhumation et le déplacement des personnes enterrées là depuis plus de 200 ans ne pose a priori aucune difficulté juridique : le vice-procureur de Saint-Martin a rassuré la Collectivité. L’Asbas (Association Saint-Barth des Amis de la Suède) n’y voit rien à redire, selon son président Nils Dufau, qui est aussi vice-président de la Collectivité : «Bien que cela n’ait pas été sujet de discussion à l’Asbas, regrouper les tombes suédoises au cimetière suédois me paraît être une démarche logique », indique-t-il. Pas d’obstacle, donc, de ce côté-là non plus.

 

Si tout ce qui relève des cimetières dépend du pouvoir de police du Président, en l’espèce, un aspect patrimonial et culturel entre aussi en compte. « Les autorités suédoises sont consultées sur cette opération », indique la Collectivité, sans préciser quelles autorités ont été contactées pour le moment et quel est leur avis sur la question.

 

Redorer le carré suédois et libérer de l’espace

Pourquoi ce déménagement maintenant ? Deux explications sont données : la première est l’allure du cimetière suédois de Public. Quelques sépultures éparses, peu ou pas entretenues, abîmées par le temps et par Irma. Un décor un peu morne qui accueille chaque année depuis 1978 les commémorations franco-suédoises, et qui, pour la Collectivité, gagnerait à être rénové.

 

Autre argument, l’espace. Le carré suédois de Public est loin d’être envahi par les sépultures. A côté, les Saint-Barths disparus sont plus à l’étroit. Même problème à Lorient, et dans une moindre mesure à Saint-Jean. De toute façon, à terme, l’espace pour enterrer les résidents viendra mathématiquement à manquer. Pour retarder cette échéance, plusieurs mesures ont été prises : aucune concession ne peut plus être vendue avant le décès. Et des ossuaires et columbariums sont en cours de construction dans trois cimetières. à Public, l’aménagement est déjà terminé, en lieu et place de l’ancienne morgue, et dispose de 88 niches. Saint-Jean et Lorient en seront aussi équipés. Les arrêtés pour la création de ces trois espaces ont été signés par le Président le 5 juillet.

Les familles qui en font la demande pourront utiliser ce mode de sépulture, qui reste moins répandu que l’enterrement à Saint-Barth. Dans le cas de tombes qui seraient complètement abandonnées, ce qui est plutôt rare à Saint-Barth, le Président pourra décider de la reprise de la sépulture. Les restes du défunt concerné seront alors transférés dans l’ossuaire, et un espace sera libéré en terre.

 

Qui repose dans ces tombes anciennes ? 

Pour en revenir aux tombes anciennes, qui sont ces défunts dont le repos éternel sera troublé ? Des Suédois, et surtout des personnes de toutes origines, décédées dans le courant de l’année 1800 : Français, Américain, Vénézuélien, Irlandais, Maltais, Hollandais, Portugais, etc.

à Lorient par exemple, une petite tombe commune à aucune autre, marquée d’un symbole franc-maçonnique, abrite les restes de José Francisque Dias, Vénézuélien. à Saint-Jean, on peut lire sur un marbre brisé en plusieurs morceaux, l’épitaphe laissé par un veuf éploré à sa défunte compagne : “Oh, épouse vertueuse, ton âme sacrée / Me rends l’hommage, à moi réservé / D’un amour très grand et du sort / C’est ainsi que j’attends la mort / Sans la désirer ni la craindre / Il ne reste qu’à moi à m’en plaindre.” Plus bas, sur le même marbre, on apprend que le veuf, Jean Simon Beaugédoi, est mort dans un ouragan avant d’avoir pu terminer de graver cet épitaphe à son épouse ; les enfants l’ont enterré avec elle, sous la même plaque de marbre. 

Tous n’ont pas des histoires aussi épiques, mais tous ont une histoire, plus ou moins connue. La Collectivité est actuellement en train de recenser ces personnalités, grâce aux mots gravés sur les sépultures (mais beaucoup sont illisibles ou ont disparu) et aux quelques sources écrites. Elle s’aide d’un drone pour une vision d’ensemble des cimetières concernés. Ce travail servira de base à la confection d’une « liste de tombes transférables » à Public. L’un des critères de sélection pour intégrer l’espace suédois est « l’absence de descendance connue, de réclamation et de concession.»

 

Le gouverneur Norderling ne sera pas concerné

Une seule décision est déjà prise : les tombes du gouverneur Johan Norderling et d’une partie de sa famille, encadrées de fer forgé à Lorient, ne bougeront pas. La raison avancée est que cet espace a été offert par l’église catholique au gouverneur suédois de l’île, en remerciements de dons.

 

L’écho de ce projet non encore officialisé ne fait pas l’unanimité sur l’île. Les commentaires vont bon train. D’ailleurs, le site internet Saint-Barth Islander (“Histoire, culture et généalogie d’une île”) déplore même «une trahison à l’histoire. »



JSB 1335

Journal de Saint-Barth N°1335 du 18/07/2019

Les Saint-Barths entrent au musée
Coups de machette
Tombes de l'époque suédoise

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