Saint-Barth - 1575-Expo Albane André Delpuech

Conservateur général du patrimoine français, André Delpuech présente l’exposition « Taïnos et Kalinagos des Antilles » au musée du Quai Branly jusqu’au 13 octobre.

« Je suis sûre que si on faisait des fouilles sous l’aérodrome, on trouverait des vestiges amérindiens »

Conservateur général du patrimoine français, André Delpuech présente l’exposition « Taïnos et Kalinagos des Antilles » au musée du Quai Branly jusqu’au 13 octobre. Spécialisé dans l’histoire amérindienne des Caraïbes, le chercheur s’est rendu à Saint-Barth à plusieurs reprises en tant que conservateur régional de l’archéologie. Entretien.

À quelle période les Taïnos et les Kalinagos se sont-ils installés dans les Antilles ?
C’est un peu flou, mais on sait que c’est vers le premier ou deuxième, troisième siècle avant Jésus Christ que ces agriculteurs, qui viennent du Venezuela et de l’Orénoque, vont petit à petit coloniser les îles. Ils vont apporter avec eux des plantes comme le manioc, la patate douce et le maïs, mais aussi le tabac et les poteries. On ne sait pas forcément pourquoi ils ont fait cette migration, mais de tout temps, les humains ont marché, exploré, navigué. En plus dans les Antilles, c’est une navigation plutôt facile où vous passez d’une île à l’autre.

Votre exposition distingue différents secteurs habités par les Taïnos classiques, les ­Taïnos orientaux ou encore les Kalinagos.
Lesquels d’entre eux peuplaient Saint-Barth ?
On est sans doute dans une zone frontière. Il devait y avoir des Taïnos qui s’y installaient puisqu’on a découvert des sites archéologiques Taïnos à Saba et Saint-Martin. Mais il est aussi fort probable que les Kalinagos, qui étaient des grands guerriers, aient fait des incursions à Saint-Barth. Ils vivaient en Guadeloupe et on sait qu’ils menaient des raids guerriers jusqu’à Porto Rico.

Il faut donc plutôt imaginer Saint-Barth comme un point de passage ?
Comme il y a un problème d’eau et d’exiguïté du territoire, l’île pouvait être un lieu occupé de manière saisonnière pour pêcher, ou tuer des tortues. Il faut garder à l’esprit que ce sont des gens qui bougent beaucoup, donc ils peuvent avoir un village à un endroit et se déplacer dans une île à un certain moment de l’année en fonction des animaux qui sont disponibles. Mais le climat a changé au cours du temps, et pour une île comme Saint-Barth ça peut jouer énormément. Il n’est pas impossible qu’il y ait eu des habitats permanents, c’est là les limites de l’archéologie.

Est-ce que les différents peuples se mélangeaient ?
À priori, ils étaient des ennemis irréductibles. Les ennemis traditionnels des Kalinagos étaient justement les Taïnos. Régulièrement, les Kalinagos qui pratiquaient le cannibalisme, menaient des raids pour capturer des femmes, des biens de prestige et des guerriers qu’ils sacrifiaient pour manger. Le cannibalisme était quelque chose de très ritualisé. Ce n’était pas pour se nourrir mais pour se venger de son ennemi, et prendre sa force et son esprit.

Comment s’organisaient leurs sociétés ?
On a souvent une vision trop simpliste et condescendante de ces peuples là, mais les Taïnos en particulier, étaient des populations très développées. Il faut imaginer des villages de plusieurs milliers d’habitants, des grandes plaines cultivées, des canaux d’irrigation. C’était une société très hiérarchisée et très densément peuplée. La grande île d’Hispaniola était divisée en cinq grands royaumes (caciquats), avec à sa tête un grand chef qui était porté sur des litières. Le chef pouvait aussi s’asseoir sur un siège cérémoniel, une sorte de trône. Ensuite, il y avait une sorte d’élite, les nitaïnos, et puis la masse des travailleurs qui obéissaient à cette hiérarchie. Et à côté de ça il y avait les chamans.

Contrairement aux Taïnos, les Kalinagos ont survécu à l’arrivée des colons, notamment à la Dominique. Comment vivent-ils aujourd’hui ?
Ce sont des populations qui ont perdu leur culture amérindienne, ils parlent anglais ou créole et ils sont christianisés. Le Kalinago Territory, territoire qui leur a été octroyé en 1903, est en expansion démographique. Ils sont 3.000 habitants aujourd’hui et sont en pleine revendication identitaire. En octobre 2023, Sylviane Burton a été élue présidente de la Dominique. C’est la première fois dans l’histoire de la Caraïbe qu’une femme amérindienne est nommée cheffe d’état.

Pourquoi les Taïnos et les Kalinagos sont-ils beaucoup moins connus que d’autres peuples amérindiens ?
C’est notamment parce que toutes leurs constructions étaient en bois, à l’inverse des Mayas où il reste des temples en pierre. Pour les Kalinagos malheureusement, il ne nous reste pas beaucoup d’objets conservés. On a par exemple des haches, qui étaient des objets de prestige, ou encore des calebasses décorées ou des vanneries. Malheureusement, beaucoup de pièces qui étaient en matière organique ont disparu à cause du climat tropical.

Est-il possible de trouver de nouvelles traces archéologiques à Saint-Barth ?
Malheureusement dans les Antilles, et Saint-Barth ne doit pas y échapper, il y a eu beaucoup de destructions des vestiges parce qu’on construisait sans vérifier. Mais je suis sûre que si on faisait des fouilles sous l’aérodrome à Saint-Barth, on trouverait des vestiges. C’est un endroit grand et plat, donc il devait y avoir des installations. Tout comme à Gustavia, cette baie naturelle est tellement favorable qu’il devait y avoir des peuplements amérindiens. Je suis persuadé qu’il y a plus de vestiges à découvrir à Saint-Barth, notamment grâce à l’archéologie préventive. Il faut aussi les chercher, et se donner les moyens de les chercher.

 

 

Journal de Saint-Barth N°1575 du 12/07/2024

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