Dans le cadre de la réfection de la route de Grand Fond, la Collectivité a démonté les murs en pierres sèches et coraux qui la borde. Elle compte les reconstruire autour d’une semelle et d’un mur en béton, afin de les solidifier, tout en conservant leur aspect. Sept élus ont signé une lettre, le 24 avril, demandant au Président de revoir sa copie.
Ils sont tout le charme de la côte sauvage : les murs en pierre sèche de Grand Fond sont au cœur d’une division entre élus, cette semaine. Dans le cadre de la réfection de la route, ils ont été démontés afin d’enfouir les réseaux et couler la chaussée. La Collectivité a mis de côté les pierres et coraux morts. Elle compte construire une semelle et un muret en béton, et les recouvrir de ces cayes de façon à solidifier l’ouvrage. Leur physionomie sera inchangée, promet la directrice des services techniques, Sophie Durand Olivaud. Elle affirme « qu’il a toujours été demandé de la part des élus des construire les murets en cayes à chaux de façon à conserver l'aspect identique, mais de les rendre plus solides pour éviter de devoir les reconstruire à chaque pluie. Les murs en béton seront créés quand il s’agit de murets de soutènement avec des poussées de terre. Pour les simples murets, il y aura du béton au milieu qui viendra sceller les deux côtés des cayes mais ce sera monté en même temps, et non un mur coffré puis habillé. »
Des élus d’opposition, mais pas seulement
Plusieurs élus sont contre ce projet, et ont décidé de le faire savoir en signant un courrier destiné au Président de la Collectivité. Hélène Bernier et Maxime Desouches (Saint-Barth Autrement) en sont, Xavier Lédée et Patrick Bordjel (Unis pour Saint-Barthélemy) aussi, tout comme Bettina Cointre (Tous pour Saint-Barth). Toute l’opposition réunie, et des élus de l’équipe de Bruno Magras ont également signé : Corinne Gréaux Fébrissy, et Marie-Angèle Aubin.
Ils citent le cahier des charges dicté au maître d’oeuvre lors de l’appel d’offres, qui comprend ces termes : “La reprise des murs en pierre/coraux,... existants et conservés. Démontage partiel, remontage à l'identique, apport de nouveaux coraux si nécessaire. Scellement invisible des pierres ou ciment et pour les murs en coraux ou ciment blanc ou à la colle blanche. Aucune taille de coraux ne sera acceptée.”
Les signataires de la lettre réfutent l’argument du manque de solidité de ces ouvrages traditionnels : «L’ouragan Irma a fait son oeuvre et si certains murets centenaires ont résisté, d'autres ont été abîmés. Vous conviendrez que d’autres murs prétendument plus sophistiqués ont également souffert, à Grand Fond comme ailleurs », écrivent-ils au Président. « Si ni vous ni nous ne sommes experts sur le sujet, l’âge de ces murets et leur résistance aux nombreux aléas climatiques qu'a connu l’île suffisent à prouver que ce type d’ouvrage n'a pas besoin de ce genre de fortification. » Les sept élus mettent en avant les atouts des murs en pierres sèches tels qu’ils ont été construits au départ : du cachet pour le quartier Grand Fond, un témoignage de la vie d’antan et du savoir-faire des anciens Saint-Barth, et un ouvrage qui laisse s’écouler naturellement les eaux de pluie et sert d’abri ou de lieu de passage pour la faune.
Bruno Magras ne s’est pas ému outre mesure de cette lettre. « La polémique que tentent de développer certains repose sur le mot identique ! Pour des raisons de solidité et compte tenu du volume de coraux qu'il faudrait si nous devions tout faire en corail, j’ai demandé à la Direction des services techniques de faire réaliser une semelle en béton armé, et de construire un petit mur en béton qui sera au centre du muret et donc vu d'aucune façon. Le muret sera quant à lui reconstruit avec des bouts de corail sans béton apparent. Je ne veux pas qu’au premier nouveau cyclone, on retrouve les murets dans la savane. »
Un débat de longue date
Ces murs, témoignages du patrimoine local et typiques de Saint-Barthélemy, ont souvent été l’objet de débats. Il y a un an, déjà, le sénateur Michel Magras lui-même publiait dans nos colonnes une longue tribune qui leur était consacrée (JSB 1281). Il appelait à trouver « un juste milieu » entre préservation du patrimoine et nécessité, concluant ainsi : « Qu’ils soient en pierres sèches ou en béton habillé, les murets de soutènement sont indispensables ». Quelques semaines plus tard, Nathalie Ruffin, architecte du patrimoine, membre de la Commission Régionale du Patrimoine et des Sites de la collectivité de Saint-Barthélémy, publiait aussi un texte dans nos colonnes, en lien avec l’association Saint-Barth Essentiel (JSB 1286). Son opinion était sans appel : « Choisir de remplacer des murets en pierres sèches par des ouvrages en béton fussent-ils habillés de pierres, c’est décider d’effacer du paysage, une partie du patrimoine bâti. C’est faire fi du legs de nos ancêtres, priver les générations actuelles de l’apprentissage de la notion de patrimoine. »