Saint-Barth - Murets Grand Fond © DR

Les murets de Grand Fond en 1970, en 2014, puis en cours de reconstruction la semaine dernière, et aujourd'hui.

Bruno Magras aux jeunes : « Je suis moi aussi le représentant d’un collectif, la population de St Barthélemy »

Photo > Les murets de Grand Fond en 1970, en 2014, puis en cours de reconstruction la semaine dernière, et aujourd'hui.

Suite de notre article de la semaine dernière (JSB 1377) : Bruno Magras, président de la Collectivité, souhaite diffuser sa réponse, point par point, au courrier du collectif Ouanalao’s Guardians. Ces vingtenaires natifs de Saint-Barth s’opposent à la reconstruction avec béton des murets de Grand Fond. Plus généralement ils s’inquiètent pour l’avenir de leur île, jugeant l’urbanisation trop intense et condamnant la taille de certains projets.

 

OUANALAO’S GUARDIANS : Monsieur le Président, nous souhaitons tout d’abord vous indiquer que nous ne sommes liés à aucun parti et/ou élu. Nous ne sommes ni manipulés, ni aux ordres d’une autre entité que le Collectif en lui-même.
Pour commencer, il semblerait que le projet de réfection des murets ait été soumis à la population en 2015 afin de lui faire prendre connaissance de la nature des travaux. Il fut ensuite modifié en 2019, cette fois-ci sans concertation préalable de cette dernière.
En résulte la surprise de certains quant à la modification du cahier des charges du chantier en question.
Notre première interrogation sera donc celle-ci : Pourquoi ne pas vous être assuré de l’accord de la population concernant la modification de son patrimoine ?

BRUNO MAGRAS : Mesdames, Messieurs. Je suis moi aussi, le représentant d’un collectif qui s’appelle la population de Saint-Barthélemy. Vous connaissez mon nom et mon prénom et je suis certain que mon visage ne vous est pas inconnu. Or, me voilà face à un collectif dont j’ignore tout de  ceux qui s’y cachent. Vous admettrez je l’espère que dialoguer dans de telles conditions, relève d’une démarche un peu incongrue.
Pour autant, n’ayant rien à cacher, je vais vous faire l’honneur de donner suite à vos interrogations.

Il est exact qu’une présentation du projet de réfection de la route Toiny-Grand Fond a eu lieu le 27 novembre 2015 dans la salle du Conseil territorial. Le maître d’œuvre et les services techniques y ont exposé les objectifs et orientations du projet. Il ne s’agissait pas d’une concertation préalable mais d’une présentation du projet au public. La concertation avait eu lieu avec les propriétaires des parcelles riveraines pour cerner leurs besoins et attentes. A ce moment précis, personne ne s’était renseigné sur la propriété des murets côté Grand-Fond et ceux-ci étaient toujours debout.

Lors du lancement de la deuxième tranche de travaux, (la première phase concernant Toiny s’est parfaitement déroulée et les riverains sont globalement satisfaits) il nous a fallu engager des discussions avec les voisins, sur la propriété desquels nous devions empiéter et auxquels appartenaient les murets.
 
Après le passage du cyclone, les murets ont été totalement détruits sur une grande longueur et la bande littorale nettement rognée sur de larges portions. A plusieurs endroits c’est carrément la route qui a failli être engloutie par la mer.  Dans le cadre de la négociation avec les riverains propriétaires, nous leur avons proposé de  reconstruire leurs murets aux frais de la Collectivité pour compenser la bande de terrain cédée. D’autant que le projet devait aussi être mis à jour du fait de l’impossibilité d’aménager une promenade piétonne dans de bonnes conditions en contrebas de la route, côté mer, comme cela avait été envisagé initialement.
Il n’y avait aucune obligation de représenter le projet mis à jour au public. Les propriétaires riverains étaient parfaitement au courant et les modifications apportées par rapport à 2015 ne remettaient nullement en cause les principales orientations du projet. Il ne ne s’agissait que de tirer les conséquences de l’expérience historique du cyclone Irma. Expérience qui devrait se répéter, si l’on en croit les scientifiques du GIEC.

OUANALAO’S GUARDIANS : Un nombre conséquent de vos élus sont inquiets, de même que nombreux de vos citoyens. En témoignent les réseaux sociaux ainsi qu’une récente manifestation. Au vu des désaccords, pourquoi ne pas avoir relancé la discussion ?

BRUNO MAGRAS : En effet, sans réfléchir à leur propre décision et aux conséquences d’une remise en cause du processus engagé, sept élus m’ont adressé un courrier me demandant de revenir sur la décision qui avait été actée et à laquelle trois d’entre eux avaient pourtant été partie prenante. Je n’ai pas donné suite puisque devant la Chambre territoriale des Comptes, le seul responsable  de la bonne gestion des deniers public, c’est le président de la Collectivité.

Pour rappel, les travaux avaient démarré depuis le mois de janvier et étaient strictement conformes  au cahier des charges, contrairement aux allégations erronées du courrier. Il n’y avait donc aucun élément nouveau susceptible de me conduire à les faire arrêter. J’ajoute que la Collectivité est aussi engagée vis-à-vis des propriétaires des dits murets. Quant aux réseaux sociaux, ils n’ont jamais été ma boussole. Les urnes et le suffrage universel sont mon seul juge de paix.

OUANALAO’S GUARDIANS : L’impact d’Irma est indéniable, néanmoins il nous semble essentiel de souligner la durée de vie ainsi que la robustesse dont ont fait preuve les murets construits de la main de nos anciens.
Nous ne vous apprenons rien en vous affirmant que l’île est soumise à un risque de destruction à chaque période cyclonique, les murets de Toiny en ont d’ailleurs fait les frais. Sachant cela, pourquoi ne pas opter pour une reproduction à l’identique qui rendrait hommage au savoir-faire des générations passées ?

BRUNO MAGRAS : Comme je l’ai précédemment indiqué : Non seulement nous n’avons aucune pièce démontrant l’âge de ces murets, mais d’autre part, leurs propriétaires auraient pu très bien décider de les reconstruire eux-mêmes en béton. Nous aurions eu bien des difficultés pour nous opposer puisque pour en avoir discuté avec Monsieur François Derudder, le directeur régional des Affaires Culturelles de la Guadeloupe, rien ne se serait opposé à leur reconstruction en béton ou leur remplacement par une simple clôture En décidant de les reconstruire à ses frais, (contre une cession de terrain) la Collectivité préserve au contraire ce patrimoine. Il convient aussi de signaler qu’il n’existe pas un modèle type unique de murets. Une promenade à Grand-Fond montre que chaque “bâtisseur” faisait à sa manière et avec les moyens dont il disposait à chaque époque.

OUANALAO’S GUARDIANS : Pourquoi les murets, si ils sont reconnus par autant d’entre nous comme inhérents à l’ADN de l’île, ne sont-ils pas tout simplement classés?

BRUNO MAGRAS : Parce qu’il y a une procédure à mettre en place et que certains propriétaires ne souhaitent pas que leurs biens soient classés puisque cela leur impose des contraintes importantes, même si parallèlement ils peuvent obtenir des aides de la DAC pour l’entretien. Ce sont là des discussions qui ont eu lieu depuis fort longtemps, en particulier sur certains bâtiments à Gustavia. Par ailleurs, le classement d’un bien en métropole est souvent motivé par la possibilité qu’il offre à son propriétaire de bénéficier de fortes réductions d’impôt sur le revenu. Dans le contexte de Saint-Barthélemy cet intérêt est inexistant.
J’ajoute qu’en 2016, j’avais déjà reçu plusieurs membres d’un collectif de Grand-Fond. A la suite de leurs réclamations relatives à un projet de construction de logements, je leur avais indiqué par écrit que j’étais parfaitement disposé à faire adopter dans la carte d’urbanisme des règles nettement plus strictes pour ce quartier, notamment en matière densité, si une majorité de ses habitants le demandait. J’attends encore la réponse.

OUANALAO’S GUARDIANS : Vous avez évoqué vendredi (22 mai) en conseil le fait qu’il fallait cesser de regarder le futur avec les yeux du passé. Nous sommes au fait de ce que vous avez pu faire pour l’île, contrairement à ce que vous semblez insinuer, nos parents au-delà de nous transmettre les valeurs que nous défendons aujourd’hui, ont également pris soin de nous apprendre d’où nous venons. Néanmoins, nous considérons que les réussites d’antan ne justifient pas les ratés d'aujourd’hui.

BRUNO MAGRAS : J’ai effectivement dit que nous ne pouvions pas tout le temps regarder l’avenir avec les yeux du passé. Je le confirme. Car  pour avoir vécu l’époque où il fallait manger de la viande et du poisson salé et apprendre mes leçons à la lumière de la lampe à pétrole, parce qu’il n’y avait pas d’électricité, qui n’a fait son apparition dans l’île qu’au mois de juin 1962, qu’ayant du m’expatrier à l’âge de 16 ans pour entrer dans la vie active et en ayantcontribué depuis 38 ans au développement de mon île, je pense  ->  -> en effet, que tout en se fixant des limites à ne pas dépasser, le développement de l’île a fait sortir de la misère les habitants, a permis aux jeunes d’accéder aux études et d’offrir à la jeunesse d’aujourd’hui, un parc scolaire digne de ce nom, des équipement sportifs que beaucoup de collectivités de même taille n’ont pas, et pour tout un chacun, une fiscalité qui n’existe dans aucun autre territoire français. Je rappelle qu’en métropole, pour payer leurs droits de succession, les familles sont obligées de vendre une partie de leur patrimoine. A Saint-Barth les enfants héritent de tout, sans payer quoi que ce soit.

OUANALAO’S GUARDIANS : Poursuivons sur vos affirmations quant à l'urbanisation de l’île: vous l’avez dit nous sommes effectivement effarés. Effarés de constater que la majorité en place, malgré le fait qu’elle a depuis le changement de statut en 2007 les compétences en termes d’urbanisme, laisse des projets dont nous ne citerons pas les noms voir le jour tandis qu’elle en freine d’autres. Ce débat n’est pas celui à l’ordre du jour, nous ne souhaitons pas nous éparpiller là où tant de discussions pourraient avoir lieu. Résumons notre pensée en disant que ce n’est pas parce que nous sommes meilleurs que les derniers de la classe, dans certains domaines, que cela fait de nous de bons élèves.

Le sujet de l’urbanisme relève du droit et le transfert de la compétence urbanisme à la Collectivité ne règle pas tout. Le tribunal administratif regorge de recours. Retenez quand même que je suis le premier à avoir réussi à doter l’île d’un document d’urbanisme opposable aux tiers, validé le 7 novembre 2019 par la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux. Tous les projets antérieurs avaient été contestés devant les tribunaux par des spéculateurs qui à tour de rôle ont gagné en faisant annuler les documents adoptés par les élus. Saint-Barthélemy n’est pas une île indépendante et les lois de la République s’y appliquent.
Enfin, il suffit de voyager un peu pour s’apercevoir que nous sommes plus proches de la tête de la classe que des bonnets d’âne. Pour ne prendre que la métropole, malgré tous les documents d’urbanisme successifs adoptés par les Communes, voyez le massacre des zones commerciales et des entrées de ville. Saint-Barthélemy, malgré son formidable essor économique, a conservé une certaine unité de son bâti.

OUANALAO’S GUARDIANS : Nous n’avons pas pour volonté de rentrer dans les querelles personnelles qui à notre sens ralentissent bon nombre de débat. Il nous semble que notre jeunesse ne fait pas de nous des personnes assujetties aux façons de penser de nos parents, nous croyons au fait que nous sommes capables de développer une pensée critique, vous en conviendrez peut-être.
Disons le une bonne fois pour toutes: Nous ne sommes pas responsables des actions de nos aïeux. À contrario, nous sommes entièrement responsables des actions qui détermineront notre futur.

Mes propos je les assume, et mes écrits je les signe. L’anonymat a toujours été un signe de lâcheté qui n’honore pas ceux qui s’y prêtent. Cependant, j’observe que vous déformez les propos que j’ai tenus lors de la dernière réunion du Conseil territorial au cours de laquelle, j’ai clairement indiqué qu’il n’était pas question d’incriminer les jeunes pour ce qu’ont fait ou qu’ont pu faire leurs parents et grands-parents, mais qu’il me semblait important de les informer sur leur passé et que c’était le rôle de leurs parents. Je reconfirme : Les jeunes doivent être informés sur l’héritage moral et matériel qu’ils reçoivent de leurs parents et grands-parents.

Journal de Saint-Barth N°1378 du 03/06/2020

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