La semaine dernière, quatre scientifiques ont ausculté l’îlet Coco, et en particulier les restes fossilisés d’un rongeur géant qui vivait dans les Antilles il y a quelques centaines de milliers d’années, avant l’apparition des premiers homo-sapiens.
En face de la plage de Saline, l’îlet Coco abrite un trésor inestimable. Les restes d’un rongeur qui était endémique du banc d’Anguilla, il y a quelques centaines de milliers d’années. Lointain cousin du chinchilla, ce mammifère appelé Amblyrhiza pesait la bagatelle de 200 kilos, environ. Il a été découvert en 2010 par Gilles Maincent, amateur éclairé, résident de Saint-Barth depuis une trentaine d’années. Sur l’île Coco, il fallait avoir l’œil sacrément aiguisé pour le repérer ! Ce n’est pas un rongeur que l’on voit, mais des dizaines de fragments d’os et de dents encastrés dans la roche. Les scientifiques, eux, lisent les fossiles d’un seul regard : « Tiens, une incisive » « Et là, une rotule ! »
Pierre-Olivier Antoine, paléontologue, Pierre-Henri Fabre, zoologue spécialiste des rongeurs, Laurent Marivaux, expert en fossiles de rongeurs, sont trois chercheurs de l’université de Montpellier. Pour cette seconde mission sur Coco, ils ont fait venir d’Australie l’un des trois spécialistes mondiaux de la datation des roches et des os, un Français, le géochronologue Renaud Joannes-Boyau. Il utilise un spectromètre gamma ; une machine en forme de micro qui capte les éléments radioactifs des sols pour en déterminer l’époque. Très pointue, cette technologie fournira aux scientifiques montpelliérains une datation plus précise du chinchilla géant. Notamment grâce à l’étude de morceaux de dents restés là depuis des millénaires. Pour l’instant, il est estimé qu’il aurait vécu aux Petites Antilles il y a environ 480.000 ans. L’émail de ses dents fournira en plus des éléments sur le régime alimentaire du rongeur, sans doute végétarien.
Une première campagne de sauvetage avait été réalisée en mai 2019 par les scientifiques. Ils avaient alors prélevé des blocs disloqués par l’ouragan Irma, contenant des os fossilisés d’ Amblyrhiza. Ces fragments ont été emmenés à Montpellier pour être étudiés, comme l’ont expliqué les scientifiques de ce vaste projet nommé GAAAranti, samedi 1er février, au cours d’une conférence organisée par Saint-Barth Essentiel (lire par ailleurs). D’autres fossiles de ce même animal avaient été découverts au XIXe siècle à Anguilla et Saint-Martin. Aujourd’hui, des fragments de crâne et mandibules sont visibles au musée d’histoire naturelle de New York et au musée Naturalis de Leiden, aux Pays-Bas.
« C’est un patrimoine exceptionnel »
« C’est le plus gros rongeur insulaire connu, un animal emblématique et endémique des Petites Antilles », explique Pierre-Olivier Antoine. « Les sites où il avait été découvert n’existent plus aujourd’hui. C’est un patrimoine exceptionnel, sûrement l’un des derniers gisements accessibles. » Coco abrite donc, face à la côte sauvage de l’île, un trésor unique de paléontologie. « Le paysage que l’on voit aujourd’hui ne ressemble en rien à celui dans lequel vivait l’Amblyrhiza. Il ne faut pas imaginer qu’il vivait sur Coco tel qu’on la connaît », ajoute Pierre-Henri Fabre. « Les Antilles sont une région très dynamique. » « Grâce aux récents résultats des géologues, on sait que Saint-Barthélemy était une île il y a 35 millions d’années. Entre-temps, elle a été submergée au moins en partie. Ces rongeurs ont pu être là à ce moment-là, disparaître ou revenir », complète le paléontologue Pierre-Olivier Antoine.
Les scientifiques tentent de déterminer comment le chinchilla géant est arrivé dans les Antilles, comment il y a vécu, comment il s’est éteint. « A partir d’une dent, on peut reconstituer une partie de l’histoire des Antilles. Et à l’heure où nous vivons une érosion de la biodiversité, il est très utile de comprendre le passé pour savoir ce qu’il pourrait se produire dans le futur. » Ainsi, ce mammifère pourrait avoir traversé l’Atlantique depuis l’Afrique, pour atterrir en Amérique du Sud, alors que les deux continents n’étaient séparés que de 800km. Et depuis l’Amérique du Sud, il serait arrivé jusqu’aux Antilles à une période où le niveau des océans était bas, et une bande de terre reliait l’arc caribéen au continent américain. L’Amblyrhiza n’est qu’une (grosse) pièce du vaste puzzle qu’essaient de reconstituer une équipe internationale de chercheurs. Ce projet intitulé GAAAranti est principalement financé par l’Agence nationale de la Recherche.
Les quatre scientifiques ont quitté Saint-Barthélemy lundi 3 février, pour Porto Rico. Là-bas, ils étudient d’autres fossiles, notamment un petit cousin d’Amblyrhiza, pour déterminer d’éventuels liens de parenté avec les rongeurs des Grandes Antilles. Les éléments de datation recueillis par Renaud Joannes-Boyau livreront leurs résultats à la fin de l’année 2020.
JSB 1362