Saint-Barth - Justice illustration

Un drame ordinaire de la cocaïne à Saint-Barthélemy

A Saint-Barthélemy, se procurer de la cocaïne se révèle d’une facilité presque déconcertante. Est-ce aussi simple que d’aller s’acheter une baguette de pain ? Sans doute pas. Bien qu’à écouter ses amateurs, la circulation comme la consommation de cette drogue sur l’île apparaissent d’une édifiante banalité. Ce qui n’est un secret pour personne. Le plus difficile, sans doute, est d’admettre le fait que cette substance illicite est indissociable d’un séjour festif à Saint-Barth pour une partie de ses visiteurs et de ses résidents, temporaires ou non. Avec parfois, à la clef, des dérives et des drames. Un travailleur saisonnier âgé de 34 ans en a fait l’expérience funeste le 4 juin dernier. L’affaire a été évoquée lors d’une audience du tribunal correctionnel qui s’est tenue le jeudi 28 novembre à Saint-Barthélemy.
 
Quatre prévenus ont été convoqués à la barre du tribunal pour répondre de la prévention d’usage illicite de stupéfiants. Trois femmes et un homme. Elles sont âgées de 28, 29 et 33 ans. Il a 32 ans. Tous étaient présents à la soirée festive du 4 juin organisée dans une résidence de l’île. En revanche, une seule prévenue s’avance dans le prétoire lorsque la présidente du tribunal appelle les convoqués à la barre. Les trois autres ont quitté Saint-Barthélemy à la fin de la saison touristique et, après avoir vu mourir leur ami d’une surdose de cocaïne sous leurs yeux, ils ont expliqué n’avoir pas l’intention d’y revenir.
 
Une première prise fatale
Le 4 juin dernier, la gendarmerie et les services de secours sont alertés. Un homme d’une trentaine d’années est en arrêt cardiaque dans une soirée qui se déroule dans une résidence de l’île. Lorsque les secours arrivent sur les lieux, ils prennent immédiatement en charge la victime. Pendant près de trois heures, selon les éléments dévoilés à l’audience du tribunal, de multiples tentatives de réanimation sont entreprises. Sans succès. Son décès est prononcé et les personnes présentes sont alors interrogées. Notamment les quatre poursuivies dans le dossier.
Toutes reconnaissent avoir consommé de la cocaïne pendant la soirée. Deux des femmes indiquent avoir acheté un gramme en prévision de la fête. Pour quarante euros. Une autre admet consommer régulièrement de la cocaïne depuis son arrivée sur l’île. Enfin, l’homme avoue avoir également acheté et apporté de la « coke » à la soirée du 4 juin. Quant à leur ami, décédé, il aurait «sniffé» pour la première fois cette substance pendant cette fête.
 
« La culpabilité est là »
Seule présente à la barre, la jeune prévenue fait face avec dignité aux questions de la procureure de la République. Même si transparaît dans sa voix une évidente souffrance. « C’était un ami très proche, c’est tragique, murmure-t-elle. Jamais plus je ne retoucherai à de la cocaïne. Si on ne l’avait pas achetée et rapportée… La culpabilité est là… » La procureure lui demande : « Avez-vous vu mourir la victime ? » La prévenue répond, dans un souffle : « Oui… »
 
« Les narco-trafiquants rigolent »
Aucun des prévenus n’a eu affaire à la justice auparavant. Pourtant, la procureure de la République qui explique ne pas apprécier l’absence de trois des quatre convoqués prévient avant ses réquisitions qu’elle a l’intention de « les charger ». De fait, la représentante du ministère public affiche la plus grande fermeté au moment de requérir. « Ici, les narco-trafiquants rigolent et s’amusent, gronde-t-elle en préambule. Sur les beaux bateaux, dans les beaux hôtels, ils rigolent ! Et puis arrive un moment où l’on voit un ami mourir sous ses yeux, sur les marches d’un escalier. Car la cocaïne tue tout le monde, quel que soit le milieu social. C’est rigolo ? C’est festif ? Les résultats le sont rarement. » La procureure fustige « un usage banalisé » de la cocaïne à Saint-Barthélemy. «Nous avons affaire à des gens intégrés dans la société mais qui ont des contacts, poursuit-elle. Et le drame, c’est qu’à Saint-Barthélemy comme à Saint-Martin, la cocaïne n’est pas chère. »
Déterminée à marquer les esprits, elle requiert une peine de six mois de prison avec sursis assortie d’une amende de 500 euros pour les trois absents et de trois mois avec sursis à l’encontre de la prévenue présente à la barre. Des réquisitions qui font bondir l’avocat de la défense.
 
Une « peine morale à vie »
D’ordinaire peu enclin à s’emporter lors de ses plaidoiries, maître Paul Cottin sort de ses gonds à l’écoute du réquisitoire. « Mes clients ne sont pas Pablo Escobar, s’exclame-t-il. Avant d’être un dossier pénal, c’est un événement tragique que tous ont vécu, dans des conditions atroces. Oui, à Saint-Barthélemy, on trouve trop facilement de la cocaïne pas chère. Mais ici, ce n’est pas le procès du trafic de cocaïne ! Les prévenus, tous inconnus des services de police et de justice, sont poursuivis pour usage illicite de stupéfiants. La peine prévue est de 200 euros d’amende. Alors quand j’entends six mois de prison avec sursis, je tombe des nues ! »
L’avocat de la défense poursuit : « On est sur des consommateurs occasionnels, bien éduqués, qui travaillent et qui ont tout de suite coopéré avec les gendarmes, rappelle-t-il. Ils ont été d’une transparence totale. Au moment des faits, rien n’indiquait que la prise de cocaïne était à l’origine du malaise de la victime. Les pompiers ont essayé de la ranimer pendant trois heures avant de porter son corps sur un canapé et de le recouvrir d’un drap. La peine morale, les quatre l’auront toute leur vie. Alors requérir de la prison avec sursis, je ne comprends pas. »
Tandis que son défenseur réclame du tribunal la plus grande clémence à son égard, assise sur une chaise, la prévenue s’efforce de rester droite et digne. Mais c’est d’une main tremblante qu’elle essuie les larmes qui coulent le long de son visage marqué par la douleur. Rappelée à la barre par la présidente du tribunal, elle n’ajoute pas un mot à ceux prononcés par maître Cottin.
Le tribunal condamne les quatre prévenus à une même peine : 200 euros d’amende. De plus, la présidente donne droit à la demande de l’avocat de la défense pour que cette condamnation n’apparaisse pas sur le bulletin numéro 2 du casier judiciaire. L’affaire est close. Un homme est mort. Quant à la cocaïne, elle continue de faire les « belles heures » de nombreux après-midi et autres soirées festives de l’île.

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« La cocaïne, c’est banal à Saint-Barth »
Lors de l’audience du jeudi 28 novembre, un autre prévenu est poursuivi pour usage illicite de stupéfiants (de cocaïne, en l’occurrence) alors qu’il circulait sur la route avec son véhicule. Quand il est contrôlé dans la soirée du 29 juillet dernier par la gendarmerie, il transporte encore un demi-gramme de cocaïne sur lui. Les examens toxicologiques montrent qu’il a également consommé des amphétamines. Lors de son audition, il a déclaré avoir acheté la drogue dans la fête à laquelle il participait. « La cocaïne à Saint-Barth, c’est banal quand on sort », affirme à la barre le prévenu âgé de 37 ans. Il a été condamné à une peine de 500 euros d’amende assortie de l’obligation d’effectuer un stage de sensibilisation à la sécurité routière et d’une suspension de son permis de conduire pour une durée de trois mois.,

Journal de Saint-Barth N°1594 du 05/12/2024

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