Après un recours gracieux auquel la Collectivité n’a pas répondu, l’association Saint-Barth Essentiel a lancé une procédure en justice contre le permis de construire pour l’hôtel qui remplacera feu l’Emeraude Plage, en baie de Saint-Jean.
L’Emeraude Plage n’existe plus, et le vaste terrain entre Lil’Rock et l’Eden Rock est en train d’être préparé pour le chantier d’un nouvel hôtel haut de gamme, qui doit durer trois ans.
Après un recours gracieux auprès de la Collectivité, resté sans réponse, Saint-Barth Essentiel porte l’affaire devant le tribunal. « La première procédure est un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation du permis de construire délivré le 19 décembre 2019 autorisant la construction d’un hôtel de seize bâtiments en R+1, de plusieurs piscines, d’un restaurant, d’un spa, d’une boutique et d’un parking, pour une Shob* de 5.575 m² et une Shon* de 3.902 m² sur la plage de Saint-Jean», détaille l’association dans un communiqué publié mardi 23 juin. « Ce recours est accompagné d’une requête en référé-suspension, devant la même juridiction, tendant à faire suspendre l’exécution du permis de construire dans l’attente que le juge statue au fond sur le recours en annulation. »
Le parking souterrain inquiète
Le projet avait déjà rassemblé contre lui plus de 2.600 signataires d’une pétition, qui demandait une révision à la baisse de ce futur hôtel de luxe. Saint-Barth Essentiel le rappelle, et fait part de son inquiétude quant aux « conséquences sur l’environnement de cette construction monumentale dont l’emprise au sol va quasiment doubler celle de l’ancien hôtel Emeraude, ainsi que la capacité d’accueil qui passera de 26 à 50 chambres. A cela s’ajoute l’aménagement d’un immense espace souterrain d’une superficie de 5.341 m² à proximité immédiate de la mer. »
L’association présidée par Hélène Bernier développe plusieurs arguments pour motiver sa demande d’annulation du permis.
Premièrement, elle souligne l’absence des pièces nécessaires, dans le dossier du porteur de projet, à l’obtention d’un permis de démolir pour l’ancien hôtel de vingt-six chambres. Elle s’inquiète également que le volume et la solution de traitement du déblai ne sont pas spécifiés dans le projet, contrairement à ce qu’impose le code de l’urbanisme qui était en vigueur au moment de la demande de permis de construire. « Si le dossier évoque un volume de déblais à évacuer de 34.500m3, rien n’est dit en revanche sur leur destination finale, ni sur l’impact de leur acheminement. Sachant que le PTAC autorisé est de 14 tonnes maximum, il faut pourtant s’attendre à des milliers de rotations de camions avec des conséquences directes sur la circulation, la poussière (et ce faisant la santé humaine) et l’état des routes. »
Ensuite, Saint-Barth Essentiel s’appuie largement sur l’avis défavorable rendu par le CESCE le 29 août 2019 (JSB 1353) à propos du projet qui viendra remplacer l’Emeraude Plage. Ainsi, elle considère que l’étude d’impact produite par le pétitionnaire comporte « des insuffisances et des omissions ».
Elle pointe un manque de précisions concernant la sécurisation du chantier durant les fouilles. En effet, le projet comporte un parking souterrain creusé sous la plage, ouvrage lourd dont la construction, si elle n’est pas correctement sécurisée, pourrait entraîner des mouvements de terrain. « Plusieurs techniques sont évoquées dans l’étude d’impact », note le CESCE, cité dans la requête de Saint-Barth Essentiel. « Le risque de décompression des sols voisins est détaillé. Certaines techniques d’injection envisagées sont potentiellement à risques. La question doit être méticuleusement étudiée et évaluée. Le projet d’étude final devra prévoir en détail les techniques retenues.»
Pendant la fouille, les eaux dans le sous-sol devront être pompées pour permettre aux ouvriers de travailler. Le pétitionnaire a indiqué qu’elles seraient stockées dans des bacs de décantation et filtrées avant d’être rejetées à la mer. Cela ne suffit pas à rassurer le CESCE ni Saint-Barth Essentiel, qui demandent plus de garanties sur le dimensionnement de ces installations, et suggèrent que l’ATE réalise des analyses de ces eaux avant qu’elles ne retournent à la mer. L’association précise que « c’est un problème environnemental et un enjeu technique majeur, comme nous avons pu récemment le constater sur la plage de Maréchal où l’hôtel Guanahani a construit un sous-sol de 70 m². Sept pompes de relevage fonctionnant en continu sont nécessaires pour évacuer les eaux chargées de sédiments vers des bacs de décantation qui ne suffisent pas à dépolluer totalement les eaux. Imaginons ce que les eaux de pompage d’une construction de plus de 5.000 m² risquent d’engendrer comme pollution… »
Une fois terminé,
quel impact sur la plage ?
Ensuite, une fois l’hôtel construit, Saint-Barth Essentiel s’interroge sur son impact sur la plage. Celle-ci se réduit déjà d’année en année, et les mouvements de sable d’un côté et de l’autre, selon les saisons, pourraient être empêchés selon le CESCE : « Le projet comporte une construction importante en sous-sol, avec un parking souterrain qui constituera un véritable barrage aux déplacements du sable risquant de créer une érosion de la plage et un déplacement vers la baie avec pour conséquence un ensablement des fonds et de la barrière de corail. » Ainsi une étude complémentaire est demandée par les détracteurs du projet actuel, pour apporter une vision sûre des conséquences du projet sur la baie. « Le projet risque de conduire à la disparition de la plage et à l’ensablement de la baie de Saint-Jean. De telles conséquences sur l’environnement sont extrêmement importantes et néfastes», souligne Saint-Barth Essentiel.
Selon l’étude d’impact fournie par le pétitionnaire, les effets des rejets d’assainissement en baie de Saint-Jean seront « négatifs voire faibles». Une affirmation réfutée par l’association, et jugée «improbable » par le CESCE, cité une nouvelle fois.
L’association pointe aussi les effets qu’aurait un cyclone sur la construction, tant par la houle que par les vents. «Quand bien même le PPRN n’a pas encore été adopté, la zone jouxtant le littoral dans laquelle s’installe le projet présente un risque pour la sécurité publique et aurait justifié le refus du projet en l’état », argue Saint-Barth Essentiel, qui penche pour une erreur manifeste d’appréciation de la part de la Collectivité. Même argument concernant l’implantation de bâtiments de 8,71 mètres de hauteur, plusieurs piscines, une boutique, un spa, etc. « Pour une île de faible dimension comme Saint-Barthélemy, ce projet présente un aspect monumental », insiste l’association. « Il est situé en bordure de plage, créant ainsi un impact visuel considérable depuis la mer comme depuis les différents points de vue permettant de voir la plage de Saint-Jean. (…) Il devait être refusé, dès lors qu’il est de nature à porter atteinte au caractère et à l’intérêt de la plage de Saint-Jean et au paysage environnant de l’île de Saint-Barthélemy. »
Pour finir, Saint-Barth Essentiel affirme qu’une partie des parcelles sur lesquelles est implanté le projet d’hôtel empiète sur le domaine public maritime. Et que donc, selon elle, les mesures de Shon et Shob constructibles sont inexactes, puisque les superficies des terrains devraient être revues à la baisse. Elle ajoute: « De même, le calcul a été fait sur la base de trois parcelles acquises par la SAS, alors que les constructions ne sont envisagées que sur deux d’entre elles.»
Le tribunal administratif devait étudier le dossier mardi 23 juin.
Par ailleurs, un second recours gracieux a été envoyé à la Collectivité par une société de l’île, ce qui pourrait ouvrir à terme un nouveau litige autour du permis de construire du futur Emeraude.
* Shob : surface hors oeuvre brute. Shon : surface hors oeuvre nette.
JSB 1381