L’audience correctionnelle du jeudi 22 février ne semblait présenter aucune singularité qui puisse lui permettre de se démarquer de toutes celles qui se tiennent habituellement devant les magistrats de Saint-Martin. Pourtant, avant même que les débats ne s’engagent, la quinzaine d’avocats présents ont exprimé leur intention de ne pas plaider. Une démarche peu fréquente qui n’avait qu’un seul but : celui de dénoncer les comportements et les procédés d’une vice-procureure. Epaulés de trois confrères venus de Guadeloupe pour représenter l’Ordre des avocats et l’Union des jeunes avocats, les “grévistes” ont dénoncé « des atteintes graves à la dignité » de leur profession. Ils se sont indignés du « mépris » dont la représentante du parquet visée par leur courroux fait preuve à leur égard depuis sa prise de poste, il y a deux ans.
Mais c’est un incident survenu le 15 février qui a définitivement mis le feu aux poudres. En effet, dans une motion signée par l’Ordre des avocats de Guadeloupe, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, il est indiqué que la vice-procureure « a refusé le 15 février 2024 de poursuivre l’audience correctionnelle en présence d’un avocat qui participait à la composition du tribunal au mépris des lois, des justiciables, des avocats, des magistrats et du greffier ». Un incident qui n’est pas isolé, comme il est précisé dans la motion.
De fait, la même vice-procureur avait été au centre d’un esclandre magistral lors d’une audience foraine du tribunal correctionnel à Saint-Barthélemy (JSB 1514). Pas moins de 27 dossiers avaient dû être renvoyés à une date ultérieure après une altercation entre la présidente du tribunal et la vice-procureure. Altercation qui avait – déjà – été suivie d’une mobilisation des avocats appelés à plaider lors de cette audience.
« Faire cesser cette situation intolérable »
Jeudi, maître Marie-Michelle Hildebert, membre du conseil de l’Ordre mandatée par le bâtonnier du barreau pour le représenter à l’audience, a présenté la motion qui, en substance, réclame le départ de la vice-procureure. « Rappelons que les avocats participent à une œuvre de justice », est-il écrit dans le document. Les auxiliaires de justice « déplorent » que « de tels agissements aient cours au sein de la juridiction correctionnelle de Saint-Martin d’autant qu’ils violent le droit à un procès équitable prévu par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ». Ils s’indignent « contre ces atteintes graves à la dignité de notre profession garante de la défense des justiciables » et «exigent » que « toutes les mesures soient prises pour permettre un retour à une justice sereine, respectueuse et de qualité ». Les avocats précisent qu’ils « mettront en œuvre tous les moyens nécessaires pour faire cesser cette situation indigne et intolérable » et refusent « catégoriquement » de plaider devant la vice-procureure actuellement en poste à Saint Martin.
« La justice est un combat »
Sur les marches du palais de justice, maître Veyrac de Saint-Martin a déclaré à notre consœur du Soualiga Post : «Nous avons eu jusqu’à présent un certain nombre de vice-procureurs à Saint-Martin, mais jamais nous avons eu un procureur qui s’est comporté de la sorte vis-à-vis des avocats, qui ne dit bonjour à personne, qui n’a que des mots désagréables lors des audiences. C’est une personne qui a saboté l’audience à laquelle je participais et qui a fait perdre du temps à tout le monde. » Maître Marion Tillard a ajouté : « La justice est un combat et nous continuerons de nous battre. À chaque audience, nous lirons la motion et demanderons le renvoi des dossiers. Ça dure depuis trop longtemps, c’est récurrent et ce n’est pas faute d’avoir prévenu. » Quant à maître Marie-Michelle Hildebert, elle précise : « Même si nous avons conscience des conséquences de cette action et de ce que cela pourrait engendrer, comme on dit souvent, on ne fait pas d’omelette sans casser les œufs. Si on veut une situation beaucoup plus apaisante, il faut qu’il y ait une justice sereine. Mais, comment la donner face à une procureure méprisante envers les avocats, en les traitant d’incompétents, en leur disant d’aller revoir leurs cours de première année de droit, etc. Elle nous rabaisse et ce devant nos clients, c’est indigne. »
Le lundi 26 février, une réunion a été organisée en présence du procureur général, de la présidente du tribunal de grande instance, du bâtonnier et des membres du conseil de l’Ordre des avocats de Guadeloupe, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin. Pour l’heure, il semble que la décision a été prise de ne plus laisser siéger à aucune audience la vice-procureure désignée par les avocats. La prochaine étape devrait être la mutation de la magistrate vers une autre juridiction. A la plus grande satisfaction des avocats.