L’audience a duré près de quatre heures, jeudi 17 juin à Saint-Martin. Un homme âgé de 47 ans a comparu devant le tribunal de proximité pour deux séries de faits. L’une liée à la détention et la revente de produits stupéfiants, l’autre à des agressions sexuelles.
Le dossier épais d’une vingtaine de centimètres a nécessité plusieurs années d’instruction. Les premiers faits ont été commis en 2013 mais l’enquête n’a démarré qu’en mars 2014 lorsqu’un jeune homme se rend à la gendarmerie pour dénoncer le prévenu. Il l’accuse de trafic de stupéfiants et de l’avoir agressé sexuellement. Il cite plusieurs personnes qui seraient aussi des victimes et qui gravitent autour du prévenu. Entendues par les enquêteurs, elles confirment - à l’exception d’une – les propos du jeune homme.
Durant l’enquête, le prévenu a été placé huit mois en détention provisoire puis sous contrôle judiciaire pendant cinq ans.
Cocaïne, ecstasy, cannabis: la drogue était pour ses amis
Les auditions des jeunes ont montré que le prévenu organisait des soirées lors desquelles il leur proposait de la drogue. A la barre le prévenu reconnaît ces soirées, la consommation de produits stupéfiants mais modère en précisant « qu’il y avait au maximum dix personnes ». Ce qui interpelle le tribunal est la déclaration d’un jeune aux enquêteurs : « Tout le monde en prenait sauf lui. Il nous disait qu’il voulait pouvoir gérer en cas de problème. »
Les jeunes ont aussi décrit un trafic de stupéfiants. « On le voyait avec des sacs poubelles remplis de cannabis », a dit l’un. Un témoin a confirmé avoir acheté 18.000 euros de drogue auprès de lui. Face aux juges, le prévenu se justifie : «Ça a commencé par opportunité... A Saint-Barth, tout le monde fume. » Lors d’une perquisition à son domicile et à celui de sa mère, les gendarmes retrouvent 6,5 kilos de cannabis. Mais le prévenu nie la revente de l’herbe. « Quand la marchandise arrivait à Saint-Martin, on m’appelait pour savoir si j’en voulais. Mais c’était pour en faire profiter mes amis », explique-t-il.
Perplexes, les juges le sont aussi au moment d’évoquer les drogues plus dures. Le prévenu avoue que 5 grammes de cocaïne étaient consommés au maximum dans les soirées. Il reconnaît aussi avoir acheté une fois 400 pilules.
«- Comment avez-vous pu financièrement acheter 400 pilules ? », lui demandent les magistrats. « Mais vous savez combien ça coûte ? », leur répond-il. « Non, excusez-nous, on n’est pas consommateurs ! », répliquent les juges. « Ça coûte un euro le cachet », affirme le prévenu.
Les jeunes interrogés durant l’enquête affirment qu’ils étaient « sous son emprise », qu’il leur proposait de la drogue avant d’avoir des relations sexuelles avec certains. Consenties ou non. Les agressions sexuelles sont le deuxième volet de l’affaire.
Les agressions sexuelles : « Ai-je été capable de le faire ? »
Le prévenu ne reconnaît en revanche pas ces faits. Plusieurs jeunes hommes ont pourtant affirmé qu’il leur avait demandé de se teindre les cheveux en blond platine «pour assouvir ses fantasmes», de lui faire des fellations, de se masturber, etc. Et il y a la jeune cousine du prévenue, âgée à l’époque de 17 ans. Elle l’accuse de lui avoir touché la poitrine et d’avoir mis sa main sur son sexe. Lui ne s’en souvient pas et prétend « un black out ».
« Est-ce que je suis capable d’avoir fait ce qu’elle dit ? » Il se pose encore la question. «Je voulais pas croire ce qu’elle disait… Soit mon cerveau est dans le déni, soit elle ment… Elle est quelqu’un de bien, si elle le dit, cela doit être vrai », rapporte-t-il aux enquêteurs puis aux juges. «C’est moi qui devient fou ! », dit-il, des sanglots dans la voix. Parce que « tout le monde dit du mal de [lui] », il en déduit que les actes dont il est accusé, ont pu se passer. Mais, à la barre, il n’en est pas convaincu. Il se dit « trahi ». «J’ai quasiment peur des gens maintenant. Je prouve tout ce que je fais », confie-t-il.
La partie civile fait référence à La Familia grande
La jeune cousine et son frère de trois ans son aîné, sont les seules victimes à s’être constituées partie civile. Ils sont présents à l’audience aux côtés de leur avocate, maître Céline Carsalade pour qui cette affaire ressemble à celle décrite par sa consœur dans le livre La Familia grande.
Le prévenu est « le cousin gentil dans une famille explosée». Sa cliente qui a été placée en foyer depuis son enfance et séparée de son frère voit en le prévenu « un homme providentiel ». « Il a créé cette image aux yeux des enfants ».
A la barre, la jeune femme le confirme : « Il était la seule personne en qui j’avais confiance. » En 2013, elle a 17 ans et ne veut plus être en foyer en métropole. Elle est fragile, consomme des stupéfiants. Elle décide alors d’aller vivre chez son cousin à Saint-Barth, qui lui avait rendu plusieurs visites. L’agression qu’elle a décrite, s’est déroulée en juillet 2013. Elle a pensé qu’il avait « dérapé » et n’en a pas parlé. Elle repart en métropole et revient avec son frère qui sera victime en novembre de la même année, d’agression. Mais lui non plus, ne parle pas « pour ne pas faire de peine à leur mère ». La vérité éclate quelques mois plus tard lorsqu’ils comprennent qu’ils se cachent quelque chose.
« C’est cet environnement d’amour qui a créé ce dossier», commente l’avocate. «Il est manipulateur et a su parler aux victimes », assure-t-elle. Son jeune client le confirme au tribunal. D’un ton posé, il avoue avoir été «manipulé». «Il a indirectement fait en sorte que je vide mon compte bancaire, qu’on lui soit redevable », confie-t-il.
Le frère et la sœur veulent que leur statut de victime soit reconnu. Ils demandent respectivement 8.000 et 6.000 euros au titre du préjudice moral et 5.000 euros au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale.
La défense regrette l’absence d’arguments juridiques
Maître Lorenza Bourjac se dit stupéfaite. « On se contente de relire l’ordonnance de renvoi de la juge d’instruction. Or j’attendais du droit. On n’est pas venu avec des arguments juridiques », martèle-t-elle avant de demander la relaxe sur le volet des stupéfiants car « il n’y aucune preuve de cocaïne ou d’ecstasy » dans le dossier. Quant au cannabis, elle indique que le code de santé publique qualifie le cannabis de produit stupéfiant lorsque son taux de THC est supérieur à 30 %. Or dans le dossier, le taux n’apparaît pas. Elle fait remarquer que la hausse du train de vie de son client dénoncée, n’est pas non plus prouvée. « Ses comptes bancaires ont été analysés et rien n’a été constaté », remarque l’avocate.
Sur le volet des agressions sexuelles, elle demande aussi la relaxe car d’un point de vue juridique « la contrainte et la violence », qui caractérisent ce type de fait, ne sont pas non plus rapportées. Ni le caractère intentionnel. Toujours d’un point de vue juridique, les aveux de son client intervenus 30 heures après le début de sa garde à vue, ne constituent pas une preuve de sa culpabilité.
Maître Lorenza Bourjac se demande aussi pourquoi la jeune cousine est revenue chez son client s’il l’avait agressée quelques semaines plus tôt, pourquoi elle a dit à son frère de venir avec elle - « elle le jette dans la gueule du loup ! » - pourquoi le frère a emmené sa petite amie chez son client s’il l’avait agressé. « Dans une famille où il y a de l’amour, on ne fait pas ça ! », lâche-t-elle.
Pour le parquet, le prévenu a profité « de gamins sans repères »
« Le prévenu se présente comme une victime, mais qui sont vraiment les victimes ? », interroge le parquet en précisant que le premier jeune homme à déposer plainte à dû suivre une cure de désintoxication à la drogue et que pour compenser il s’est réfugié dans l’alcool. « Aujourd’hui nous avons deux autres jeunes en souffrance qui ne sont pas venus là pour faire du cinéma», estime-t-il.
Pour le représentant du ministère public, les faits de détention, cession de produits stupéfiants sont caractérisés. « Le premier jeune homme a reconnu que le prévenu lui demandait de couper et mettre la drogue dans des sachets », indique-t-il. Un fait qui d’ailleurs a interpellé maître Bourjac : « S’il y a trafic, pourquoi le jeune n’a-t-il pas été poursuivi puisqu’il avoue y avoir participé ? » L’enquête a montré « qu’au cours des deux premières années, 200 kg d’herbe ont été vendus et qu’ensuite les quantités ont été réduites à 60 kg par an et qu’entre 1000 et 1500 cachets d’ecstasy ont été livrés ».
Concernant les agressions sexuelles, le parquet souligne que le prévenu a profité de la faiblesse de ses victimes : « on a des gamins à l’époque de 17-20 ans, sans repères, sans famille. » Tout comme l’avocate des parties civiles, le procureur s’appuie sur le rapport d’expertise psychologique du prévenu pour fonder ses réquisitions. Le médecin le décrit «comme quelqu’un ayant une intelligence supérieure à la moyenne, comme étant un manipulateur mais qui n’a pas d’anomalies mentales. » Il a noté « un aménagement pervers de la pensée susceptible de créer une emprise y compris dans les relations sexuelles ». Il a aussi rapporté que le prévenu était « immature ».
Le vice-procureur a requis une peine de quatre ans de prison dont un an assorti du sursis et laissé à l’appréciation du tribunal le décernement ou non d’un mandat de dépôt.
Une peine supérieure aux réquisitions
Après trente minutes de délibération, le tribunal reconnaît coupable le prévenu de tous les faits et prononce une peine de cinq ans de prison ferme ainsi qu’un mandat de dépôt. Il reçoit les constitutions de partie de civile des deux victimes. Le mis en cause doit les indemniser à hauteur de 5.000 euros chacune et de 2.500 euros au titre de l’article 475-1 du code pénal.
Le prévenu, dont le casier judicaire était jusqu’alors vierge, sera également inscrit au fichier des auteurs d’infractions sexuelles, comme la loi l’exige. Son avocate a aussitôt fait appel du jugement et demandé sa remise en liberté. Son client, qui était soutenu par sa mère, a quitté le palais de justice escorté par les gendarmes qui devaient le transférer en prison en Guadeloupe.