Le temps d’une journée, la salle des mariages de l’hôtel de la Collectivité territoriale s’est muée en salle d’audience. Le 30 janvier, les magistrats du tribunal judiciaire de proximité ont ainsi pris leurs quartiers dans cette grande pièce aux couleurs chaudes pour y examiner une série de dossiers qui concernent Saint-Barthélemy. A défaut de « barre », c’est donc quasiment à l’autel que les prévenus défilent face aux magistrats.
Un homme de 41 ans est appelé par la présidente. Le 17 avril 2024, il circule au volant de sa voiture sur la route de Saint-Jean. Il suit un véhicule banalisé d’une patrouille de la gendarmerie qui remarque que l’automobiliste ne respecte pas les distances de sécurité. Les militaires décident de procéder à un contrôle. Trois tests d’alcoolémie plus tard, l’homme est placé en garde à vue. Il avoue avoir bu du Pastis. « A 2,2 grammes par litre de sang, à mon avis, c’était des flans vos Ricard, gronde la procureur. On n’est pas là pour vous empêcher de faire la fête ou de boire. Mais quand on a bu, on ne conduit pas. » Elle requiert une peine de 6 mois de prison avec sursis, l’homme ayant déjà été condamné pour des faits similaires en 2019. L’avocate du prévenu, qui a soulevé une nullité de la procédure en préambule (en raison de la non homologation présumée de l’éthylotest), souligne que son client n’a « aucun problème d’addiction » et « reconnaît qu’il n’aurait pas dû prendre le volant ». Le délibéré sera rendu le 22 mai.
« Le casse-pied du quartier »
Le buste droit, la démarche martiale, cet homme âgé de 53 ans se plante face à la présidente du tribunal. «Avez-vous rêvé d’être shérif ? », lui demande la procureure. Car l’homme arbore une grosse boucle de ceinturon et une pochette qui lui bat la hanche est attachée par une lanière nouée autour de sa cuisse. Le 8 décembre 2023, les gendarmes sont appelés à minuit dans un quartier de l’île pour intervenir sur un conflit de voisinage. Un homme, le prévenu, aurait menacé son voisin avec un couteau. « J’avais un peu bu mais je n’étais pas en état d’ivresse », affirme-t-il devant le tribunal. Il explique être sorti de chez lui car « des gens » faisaient du bruit dans la rue. S’en est suivie une altercation avec un voisin qui serait entré sur sa propriété. « Il m’a donné trois coups dans le ventre, affirme le prévenu. Je ne suis pas quelqu’un qui fait du cirque. » Le 14 novembre 2024, nouvelle intervention des gendarmes, vers 20h30. Des résidents leur ont signalé qu’un « homme agité se balade dans le quartier avec deux sabres qu’il frappe sur le sol ». Quand les militaires arrivent, l’homme en question, le prévenu, est assis sur un muret et fume une cigarette. Lors de son audition, il assure qu’il est sorti avec sa machette pour faire de l’exercice, « un peu comme de l’escrime ». Au tribunal, il assure : « Je nettoyais juste ma propriété. » La procureure s’emporte : «Monsieur ne supporte rien ni personne. C’est le casse-pied du quartier et tout le monde en a assez ! » Le tribunal le condamne à quatre mois de prison avec sursis et à une interdiction de porter une arme pendant trois ans.
Alcool, cocaïne et cannabis
Le 26 août 2024, un jeune homme de 24 ans est contrôlé au volant de sa voiture vers 00h45 par des gendarmes. Ces derniers procèdent aux examens toxicologiques habituels. Le dépistage se révèle positif à l’alcool (1,04 gramme par litre de sang), mais aussi à la cocaïne et au cannabis. Face au tribunal, le prévenu confirme qu’il avait consommé du CBD (cannabidiol, un composant du cannabis dont la vente et la consommation sont autorisées par la loi) et affirme qu’il a dû être en contact avec de la cocaïne dans le cadre de son travail de voiturier, en touchant les poignées, les clefs et les volants des véhicules. « Je n’en consomme pas », assure-t-il. La procureure n’en est pas convaincue et lance : « Vous êtes positif au THC (autre composant du cannabis, interdit par la loi), pas au CBD, et vous avez plus d’un gramme d’alcool dans le sang. » Déjà condamné en 2017, 2018 et 2020 pour des faits de détention de stupéfiants et d’outrages, le prévenu écope d’une peine de trois mois de prison ferme mais aménageable. Ce qui signifie qu’il n’effectuera pas de séjour en détention.
« Je me suis vu mourir »
Le visage fermé, un autre prévenu est appelé à se présenter devant le tribunal. Le 12 novembre 2024, cet employé d’une entreprise de l’île s’est violemment emporté envers un des clients de sa « boîte ». Les deux hommes ne s’apprécient guère et, quand le client lui fait une réflexion méprisante en passant devant lui, le salarié âgé de 35 ans « dégoupille ». Il se jette au cou de sa victime et l’étrangle. Seule l’intervention d’un autre employé permet de lui faire lâcher prise. « Je me suis vu mourir », a témoigné la victime lors de son audition. Devant le tribunal, il complète : « qu’on ne s’entende pas est une chose. Qu’il me tape dessus, c’en est une autre. » Si elle insiste sur le fait qu’elle ne légitimerait jamais la violence, la procureure souligne toutefois : « Dans la vie, certaines personnes ont une capacité à vous énerver, comme une rage de dent, jusqu’à l’explosion. » Elle s’adresse au prévenu : « le problème, monsieur, est que vous n’avez pas eu la bonne réponse. Il faut vous maîtriser. Si vous ne savez pas garder vos nerfs, prenez vos distances. » L’homme est condamné à trois mois de prison avec sursis et 800 euros d’amende au titre du préjudice moral.