Saint-Barth -

Irma le 8 septembre, au dessus de Cuba

Saison cyclonique : « Une année qui restera dans les mémoires »

Jeudi 30 novembre : aujourd’hui se termine officiellement la saison cyclonique 2017. Une saison qui restera gravée dans la mémoire de ceux qui l’ont vécue sur les Îles du Nord. On fait le bilan avec Météo France, représenté par Thierry Jimonet, chef du centre météorologique de Guadeloupe, et Alain Muzellec, prévisionniste.

Peut-on considérer que la saison cyclonique 2017 fut exceptionnelle ?

L’année 2017 se démarque sur pas mal de points. C’est une année plus active que la normale. Le nombre de phénomènes recensés par an, en moyenne, depuis les trente dernières années, est de 12 phénomènes nommés, c’est à dire au moins des tempêtes tropicales. Cette année, il y en a eu 17. En moyenne, six tempêtes sur douze se développent en ouragan. Cette saison, on en a observé 10 sur le bassin Atlantique.

Ces cyclones étaient plus nombreux que la normale, étaient-ils également plus puissants ?

On parle d’ouragan majeur à partir de la catégorie 3. En moyenne, on en compte trois par an. Cette année, on en a le double : six ouragans majeurs. C’est donc bien supérieur à la normale.

Les Antilles ont été très touchées…

Jusque-là, les aléas de référence étaient Hugo en 1989 pour la Guadeloupe, et Luis en 1995 pour les Îles du Nord, tous deux de catégorie 4. Depuis l’ère moderne de l’observation, soit depuis les années 50, il n’y avait jamais eu d’ouragan de catégorie 5 qui avait touché terre dans les Antilles.

Avez-vous été surpris par la série aussi resserrée de cyclones majeurs ?

L’enchaînement de phénomènes extrêmement violents est étonnant. Il y a eu un démarrage avec Irma en catégorie 5, suivi de très près par José en catégorie 4, qui n’a jamais touché terre, et Maria, passé de la catégorie 1 le matin à la catégorie 5, la plus puissante, le soir. Maria a doublé sa force de vent en quelques heures, c’est du jamais vu dans l’Atlantique.

Irma s’est formé dans un lieu de naissance traditionnel, à l’ouest des îles du Cap Vert. Il est devenu rapidement un ouragan majeur. José a pris sa naissance quasiment au même endroit, et a eu la même configuration d’évolution, relativement progressive. Maria est très atypique. C’est un ouragan barbadien ; en général, il leur faut du temps pour se développer, acquérir de l’énergie et s’intensifier. Ce qui est remarquable, c’est la rapidité avec laquelle celui-ci s’est renforcé.

L’ouragan Ophelia (lire page 9), en Europe, est lui aussi inhabituel…

Ophelia est tout à fait atypique par sa trajectoire. Classé en catégorie 3, c’est donc un ouragan majeur, mais dans des latitudes tempérées.

On a d’autres saisons qui ont été peut-être plus remarquables encore. En 2005, année de l’ouragan Katrina (qui a notamment dévasté la Louisiane, ndlr), on a dénombré 28 phénomènes dans l’Atlantique! Mais pour l’arc antillais, c’est une année exceptionnelle, qui restera dans les mémoires par l’importance et le nombre des phénomènes.

Venons-en à Irma. On entend que ce cyclone a battu des records, et des chiffres très différents sont évoqués sur la vitesse du vent. Qu’en est-il exactement ?

Irma s’est démarqué sur plusieurs points. C’est l’ouragan le plus puissant observé à l’Est de l’arc antillais. C’est aussi le plus puissant à toucher terre dans cette région. On considère que c’est l’un des 5 ouragans les plus puissants ayant touché terre sur l’ensemble de la planète.

Les vents estimés, pour ne pas dire mesurés (grâce aux avions envoyés par les Américains au cœur même du cyclone), atteignent 295 km/h de moyenne sur une minute. En rafales, on était sur des valeurs proches de 350 km/h, mesurées par avion; sachant que ce n’est pas en altitude que l’on trouve les vents les plus forts.

L’aéroport Princess Juliana a expliqué que son appareil de mesure avait été détruit par une rafale dépassant 375 km/h. Quelles vitesses de vent Météo France a enregistré, sur terre ?

Il faut être méfiant avec les valeurs annoncées, et se cantonner aux valeurs officielles. A Saint-Martin, nos instruments de mesures sont à l’aéroport de Grand Case. Ils avaient été démontés avant Irma. De toute façon, le capteur aurait forcément été détruit, d’ailleurs le mât a été cassé.

A Saint-Barthélemy, nous avons un point de mesure à l’espace météo (près du phare, ndlr). Au moment de l’approche d’Irma, il a enregistré une montée en flèche de la valeur des vents. En quelques minutes, ils sont passés de 180 à 244 km/h. La valeur s’arrête là car l’appareil s’est cassé à ce moment là. Mais on sait que la mesure à 244 km/h n’a pas été enregistrée au plus fort de l’ouragan. Au vu des dégâts, on est certains que le vent a dépassé 300 km/h.

Avez-vous des données en ce qui concerne la pluviométrie ?

Nous n’avons pas de mesures directes, pour la même raison que la mesure du vent. Les pluviomètres n'ont pas apprécié la violence de l'évènement.

Par contre, nous avons une estimation grâce au radar situé en Guadeloupe. Estimation, car le radar est situé trop loin de Saint-Barth pour que cela soit très précis.

Toutefois, compte-tenu des valeurs obtenues par le radar lors du passage d'Irma à proximité de la Guadeloupe, et de l'hypothèse que l'intensité reste à peu près constante, on estime un cumul à plus de 150 mm en 6h. Ces quantités s'additionnent à la submersion marine anormale (vagues et marée de tempêtes avec une surcote de 3m) entraînant des inondations majeures.

Après les Iles du Nord, Irma est allé dévaster d’autres contrées. Est-il habituel qu’un ouragan dure aussi longtemps ?

Irma est exceptionnel car il est resté en catégorie 5 pendant 75 heures d’affilée. C’est un record pour le bassin Atlantique. Je vous parlais des vents à 295 km/h de moyenne sur une minute ; cette intensité extrême a été maintenue pendant 37 heures. Cela constitue un record mondial. Il est à noter que les Îles du Nord ont été confrontées à l’intensité maximale d’Irma.

Sa vitesse de déplacement était-elle particulièrement lente ou rapide ?

Quand il a touché Saint-Martin et Saint-Barth, il se déplaçait à 24 km/h. C’est une vitesse habituelle, moyenne.

Au vu des dégâts très aléatoires, certains habitants de Saint-Barth parlent de phénomènes de mini-tornades, au sein même d’Irma. Est-ce possible ?

Les dégâts sont liés à la force de l’ouragan lui-même. Quand on arrive à des rafales qui dépassent les 300 km/h ou 350 km/h, c’est proche des vents que l’on observe dans une tornade. Mais il ne faut pas expliquer les dégâts par la présence de tornades. Il y en a peut-être eu, mais la grandeur inédite d’Irma est due à l’entièreté de la structure nuageuse.

Un phénomène propre à tous les ouragans peut aussi expliquer cette impression : on a la première partie durant laquelle les vents viennent d’un sens, et après l’œil, la même chose dans la direction opposée. Selon la disposition des maisons, cela peut expliquer certaines choses.

On entend dire qu’une nouvelle catégorie pourrait être ajoutée à l’échelle de Saffir-Simpson, Irma dépassant le niveau 5…

Il y a eu des débats là-dessus au sein de la communauté scientifique mondiale, et des météorologistes. Je ne pense pas qu’Irma va déclencher la création d’une catégorie 6. Maintenant, si d’autres phénomènes aussi puissants qu’Irma sont recensés, pourquoi pas.

Cette saison cyclonique hors-norme peut-elle s’expliquer ?

Il y avait différents éléments, cette année, pour que la saison cyclonique soit importante. D’abord, la température de l’eau était plus élevée que la normale sur le bassin Atlantique. Deuxièmement, l’activité cyclonique dans l’Atlantique dépend de l’activité du Pacifique, en particulier de ce qu’on appelle El Niño ou La Niña. Un phénomène El Niño dans le Pacifique réduit les conditions favorables de développement d’ouragan dans l’Atlantique. Et inversement. Début 2017, on était encore dans El Niño. Sa chute a été plus rapide que prévue, et a favorisé le développement des cyclones. Ces deux événements de grande échelle ont donné une saison cyclonique intense.

De plus, au mois de septembre particulièrement, les facteurs étaient réunis : les eaux chaudes en surface, les conditions atmosphériques favorables, l’humidité… Il faut toutes ces conditions pour que le cyclone puisse fonctionner.

Beaucoup attribuent cette recrudescence de phénomènes au réchauffement climatique. Faut-il s’attendre à des saisons cycloniques toujours plus intenses ?

Ce n’est pas parce qu’on a une année très active en termes de cyclones que l’on aura toujours la même intensité. 2017 a été une année particulière, elle le restera encore. Le réchauffement climatique est un phénomène lent. Par ailleurs, les études de projection montrent que le réchauffement provoquera des cyclones moins nombreux, mais plus puissants.


JSB 1255

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