L’Agence territoriale de l’environnement a mis en place un protocole inédit d’identification pour enrichir les connaissances sur les tortues marines qui vivent dans les eaux de Saint-Barthélemy. A terme l’ensemble de la population pourra se saisir de ce projet.
L’animal est emblématique et pourtant son mode de vie est très peu connu. Combien de tortues marines vivent dans les eaux de Saint-Barth ? Voyagent-elles d’une baie à l’autre? Où sont-elles le plus menacées et par quoi ? Pour répondre à ces questions l’Agence territoriale de l’environnement a mis sur pied un protocole d’identification des tortues vertes (espèce la plus fréquemment observée) autour de l’île.
« L’agencement des écailles de chaque individu est unique, c’est comme une signature génétique », explique Sébastien Gréaux, directeur de l’ATE. Ainsi en comparant la forme et les dessins de la carapace et de la tête, chaque individu photographié est recensé dans l’inventaire, et doté d’un numéro. Un outil imaginé par Karl Questel, agent de la réserve, permet d’entrer les caractéristiques de l’animal dans le système qui les compare à la base de données. Peu à peu le répertoire s’enrichit et permet une estimation fiable du nombre de tortues.
Les blessures éventuelles sont aussi mentionnées (morsure de requin, coup d’hélice de bateau, etc.). Cela permettra de déterminer ce qui les menace le plus. La base servira aussi à étudier la santé de la population de tortues. Elles sont notamment touchées par une maladie, la fibropapillomatose, une sorte d’herpès provoqué par une mauvaise qualité des eaux, et contagieux. Plusieurs tortues porteuses de cette maladie de peau ont été observées à Corossol.
Déjà 200 tortues
identifiées
Karl Questel a déjà identifié environ 200 tortues, dont la fiche d’identité a été intégrée à la base de données. Pendant le confinement, il a arpenté la baie de Saint-Jean, rencontré une soixantaine d’individus, pris des centaines de photos. La poursuite de ce travail permettra de savoir si elles y vivent à l’année, ou si elles s’étaient concentrées ici. Petit à petit l’inventaire pourra être complété grâce à la science participative : les observateurs amateurs du monde sous-marin pourront photographier les tortues croisées en mer afin de nourrir la base, en suivant les consignes que l’ATE prodiguera.
Pour que le plus grand nombre s’approprie cet outil, et dans un but de sensibilisation, plusieurs idées sont évoquées : réaliser un trombinoscope en ligne, nommer chaque tortue, faire participer les enfants de l’île, et pourquoi pas un système de parrainage… « C’est le début d’une grande histoire », sourit Karl Questel.
Elle reste mystérieuse
Avant l’interdiction au début des années 90, les tortues étaient un mets convoité et traditionnel de Saint-Barth. Elles étaient pêchées massivement dans toutes les Antilles (la carapace servait à confectionner des bijoux ou des objets, et on lui prêtait également des vertus aphrodisiaques). Certaines îles la consomment encore aujourd’hui. Au niveau mondial la tortue verte est classée en danger par l’UICN (union internationale pour la conservation de la nature), et la tortue imbriquée en danger critique d’extinction. « C’est une espèce à enjeux », indique Sébastien Gréaux. Pourtant elle reste très mystérieuse. En effet, une fois les tortillons éclos et partis en mer, on ignore tout de leur mode de vie jusqu’à ce qu’ils atteignent une taille respectable. Leur âge est impossible à déterminer. Ainsi, dans l’inventaire, Karl Questel distingue cinq catégories : «Massive, grosse, moyenne, petite et minus. » Autre inconnue, le sexe, quasiment impossible à définir avant la maturité sexuelle de l’animal. Or, cette maturité, la tortue verte ne l’atteint qu’à 20 ou 25 ans. On sait aussi que les tortues ne pondent pas là où elles vivent. Ainsi, une balise posée sur une tortue imbriquée il y a quelques années a révélé qu’elle pondait à Barbuda, mais vivait et se nourrissait près de Fourchue.
«Saint-Barthélemy est un lieu de résidence pour les tortues, plus qu’un site de ponte », explique Sébastien Gréaux, qui estime une moyenne de 9 à 15 pontes par an sur les plages de notre île. « Les îles où elles pondent beaucoup tentent de préserver leurs zones de pontes ; nous le faisons aussi, mais l’enjeu est surtout de préserver l’espèce en elle-même et son milieu, puisque Saint-Barth est d’abord un site d’alimentation. » Mieux les connaître permettra de mieux les protéger.