Jeudi dernier, l’hôtel de la Collectivité accueillait une conférence sur le risque tsunami, qui inquiète bien des résidents de Saint-Barthélemy
Que faire en cas de tsunami ? Eprouvés par l’ouragan Irma, effarouchés par les séismes ressentis ces derniers mois, les habitants de Saint-Barth sont venus inquiets et nombreux écouter les préconisations de deux experts, jeudi dernier à l’hôtel de la Collectivité.
Les docteurs Frédéric Leone et Matthieu Péroche, de l’Université Montpellier 3, travaillent sur le risque tsunami aux Antilles françaises depuis plusieurs années. C’est le projet Exploit, mené en collaboration avec les autorités de Guadeloupe, Martinique et des Îles du nord.
Seule solution, l’évacuation
Aucune construction n’a réellement fait ses preuves contre un tsunami, même au Japon. Pour s’y préparer et éviter les pertes humaines, une seule chose à faire : un plan d’évacuation et des exercices réguliers. Les membres du projet Exploit préconisent « la prévention et l’auto reconnaissance de signes précurseurs ». Exemple : un séisme. « Si vous êtes en zone à risque et que vous sentez une forte secousse, il faut évacuer vers les hauteurs, à pied. »
Mais ne partez pas en courant à la moindre vibration. Les scientifiques estiment qu’un séisme peut déclencher un tsunami à partir d’une magnitude de 7 sur l’échelle de Richter. Pour vous donner un exemple, celui du 24 décembre 2017 à Saint-Barthélemy était de 5,8, tout comme celui du 9 février dernier.
Un fort séisme de l’autre côté de l’Atlantique peut provoquer un tsunami qui déferlera jusqu’aux Caraïbes. L’énergie traverse les océans à la vitesse d’un avion de ligne. « Il lui faut 20 heures pour traverser le Pacifique, environ 6 heures pour traverser l’Atlantique », explique Frédéric Leone. En pleine mer, un bateau sentira seulement une grosse vague, les marins ne s’en rendront même pas compte. Au-delà de 100 mètres de profondeur, ce sont eux qui seront le plus en sécurité, puisque le tsunami revêt son caractère dévastateur à l’approche des côtes.
Si ce scénario est possible, le plus probable pour Saint-Barthélemy reste une source régionale : séisme local, glissement de terrain sous-marin ou aérien (par exemple un flanc de volcan qui s’effondre en mer), éruption volcanique, voire « impact d’une météorite en pleine mer. » Hormis le séisme ressenti, un autre signe avant-coureur du tsunami : avant qu’il ne déferle sur les côtes, la mer se retire. Un mouvement marin anormal peut attirer votre attention.
Comportements à adopter
Pour résumer, si vous sentez un puissant séisme, que vous voyez la mer se retirer, ou que vous recevez une alerte tsunami par SMS, médias, sirène:
- Ne prenez pas votre voiture, vous risquez d’être pris au piège à l’intérieur et d’encombrer les accès
- N’allez pas chercher vos enfants à l’école, ils sont pris en charge par l’équipe pédagogique
- Montez à pied à au moins 15 mètres de hauteur.
« L’évacuation est différente de la fuite », affirme Matthieu Péroche, images à l’appui. Sur la vidéo enregistrée au Japon, on voit une personne tenter d’échapper à la vague, mais qui erre de droite à gauche, sidérée par le spectacle qui s’offre à elle, sans savoir où aller. C’est pour éviter cela qu’il faut se préparer et effectuer des exercices. Aux Antilles françaises, 160.000 personnes vivent en zone à risque tsunami. A Saint-Barthélemy, les scientifiques ont déterminé une liste de sites refuges, à au moins quinze mètres de hauteur. Chaque habitant doit avoir un tel site à moins de 800 mètres et moins de 15 minutes de marche de chez lui.
Le projet Exploit a créé trois panneaux de signalisation différents qui seront installés sur notre île. Ils indiquent les zones à risque, flèchent les itinéraires pour rejoindre le refuge le plus proche, et délimitent la position de ces derniers.
Un site internet, et bientôt une application, permettent de voir sur la carte les zones à risques et les sites refuges, à Saint-Barthélemy.
Comment sera-t-on prévenu ?
Le centre météorologique d’Hawaï est en charge de la surveillance du bassin caribéen. S’il détecte l’imminence d’un tsunami, il transmet l’information à Météo France, qui informe la préfecture des Îles du nord. Avec ce processus, vous serez informés environ 12 minutes après la détection du phénomène par les Américains.
Tous les moyens possibles sont utilisés : la radio, les médias, les réseaux sociaux, les alertes SMS et messages vocaux… Le chef de la sécurité civile, Clémenceau Magras, travaille à l’installation d’une sirène qui serait offerte à la Collectivité par le ministère de l’Intérieur. Elle émettrait dans un rayon de 3 kilomètres. « On nous a annoncé ça, mais rien n’est écrit », précise-t-il. Il préconise davantage l’utilisation de haut-parleurs, via le réseau fibre optique de la Com. Ils alerteraient Gustavia, les établissements scolaires, le port et l’aéroport, dans un premier temps. A Public, une sirène différente, spécialement dédiée aux accidents industriels serait installée. Ces haut-parleurs permettraient de diffuser, outre l’alarme, des messages vocaux et consignes à suivre. Comment seront prévenus les habitants des quartiers Grand Fond ou Saline, menacés en cas de tsunami ? La mise en place de systèmes d’alerte devra attendre le déploiement du réseau fibre optique.
L’association Hand (Hackers against natural disasters) travaille également sur le sujet pour les Îles du nord, avec le soutien de la Fondation de France. Pascal Peuchot, responsable de l’aménagement numérique à la Collectivité, milite pour la mise en place d’un système d’alerte sur smartphone, conçu par cette association.
Au niveau mondial, le dernier drame d’ampleur remonte à 2011, « un scénario catastrophe », rappelle Frédéric Leone. Un vigoureux séisme, de magnitude 9 sur l’échelle de Richter, secoue le Japon, sans faire de réel dégât puisque le pays est construit pour résister à ce type de tremblement de terre. Mais le tsunami qu’il engendre est puissant. Il cause la mort de 18.500 personnes et provoque une fusion nucléaire à la centrale de Fukushima. Frédéric Leone rassure tout de suite : «Aux Antilles, on n’est pas dans ces situations asiatiques. Toutefois, il faut se souvenir et se préparer, car un tsunami peut se produire à n’importe quel moment. »
> Toutes les informations et la carte interactive sont disponibles sur le site http://exploit.univ-montp3.fr/
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Ce n’est pas la taille qui compte
Nous avons tous en tête l’image d’une vague géante déferlant sur les côtes asiatiques en 2011 ou 2004. Pourtant, ce n’est pas la taille de la vague qui fait le tsunami, mais sa force. Ainsi, une vague de 50 centimètres peut déjà faire des ravages dans un territoire non préparé. « La vague d’un tsunami n’est pas plus haute que celle de la houle », indique le Dr Frédéric Leone. « Mais elle pénètre dans les terres, et fait autant de dégâts en entrant qu’en se retirant. Elle peut rester longtemps sur terre, jusqu’à deux heures. Un tsunami d’un mètre peut paraître modeste, mais il faut compter avec l’effet de surprise. Ce n’est pas la hauteur mais la vitesse de la vague qui fait des dégâts. Un tsunami de 50 centimètres peut vous emporter. »
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Un exercice en avril
Le 15 mars devait se tenir à Saint-Barthélemy l’exercice Caribwave, qui vise à préparer les populations des Caraïbes à l’éventualité d’un tsunami. La simulation a bien eu lieu à Saint-Martin, mais pas sur notre île. C’est la coupure du réseau de la semaine précédente qui a conduit les autorités à annuler l’exercice, a expliqué Clémenceau Magras, chef de la sécurité civile, jeudi soir. Pour autant, certains établissements l’ont tout de même effectué, comme l’aéroport. Mais leurs haut-parleurs, qui devaient diffuser l’alerte, étaient en panne ce jour-là… L’exercice Caribwave devrait être reprogrammé au cours du mois d’avril.
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Précédents dans les Antilles
En travaillant sur les archives et la mémoire locale, les scientifiques ont listé entre 21 et 44 tsunamis dans la région caribéenne, dont 24 aux Petites Antilles. Le plus connu a submergé la Martinique en 1755. Il est né d’un séisme au large du Portugal, qui a détruit Lisbonne, causé plus de 100.000 morts, et provoqué un tsunami qui a traversé l’Atlantique en six heures environ pour frapper les Antilles. Le plus meurtrier remonte à 1946, en République Dominicaine. Un séisme de magnitude 8 sur l’échelle de Richter provoque un tsunami qui tue 1.800 personnes. En 2006, la phase éruptive du volcan de Montserrat avait aussi entraîné un tsunami, qui n’avait pas fait de victime. Plus récemment, lors du séisme meurtrier d’Haïti en 2010 (magnitude 7), le tsunami qui avait suivi avait tué sept habitants. En étudiant les archives, les Dr Frédéric Leone et Matthieu Pléroche, avec leur équipe, tentent d’établir des fréquences et surtout réalisent des simulations. Ainsi, ils ont pu établir qu’un tsunami venant de la Barbade mettrait deux heures à atteindre nos côtes.
JSB 1271