Petit retour sur l’historique des déchets ménagers à Saint-Barth, depuis les années 80. De tous temps, le sujet a fait débat, des élus ont investi de l’énergie et de l’argent, et de tous temps, les ordures et surtout les incivilités ont été un problème.
Jusqu’au début des années 80, on faisait peu de cas des ordures ménagères sur l’île : un camion les ramassait une fois par semaine et les transportait jusqu’à Gustavia, derrière l’hôpital De Bruyn, où elles étaient tout simplement balancées à la mer du haut de la falaise.
Souvenirs exhumés du bulletin municipal de bilan de mandat publié en 1983 par Charles Querrard, alors maire de Saint-Barthélemy. C’est sous sa mandature (1977-1983) que ce système de déchets jetés à la mer a été stoppé. Comme on le voit encore aujourd’hui à Sint-Maarten, les ordures ont d’abord été jetées près de l’étang de Saline, pour y être brûlées. « Certains ont cru bon d’y mettre fin en ouvrant les canalisations d’entrée de l’eau de mer, répandant ainsi dans tout le quartier les éléments brûlés », rapporte le bulletin municipal. Face à ce problème, les ordures ont été rapatriées sur un terrain en contrebas du fort Oscar. Elles étaient brûlées sur place, puis les restes carbonisés étaient déversés dans l’étang de Saint-Jean, à l’endroit où se trouve désormais la Plaine des Jeux.
La commune a ensuite investi dans un incinérateur d’une capacité de 750 kilos par heure, le premier de la région Caraïbe en 1989. Le système était à peu près le même qu’aujourd’hui, à une moindre échelle (en 1980 l’île comptait environ 3.000 habitants) : une société était chargée de collecter les ordures sur le territoire, et de les apporter à l’entreprise Sobea, qui faisait fonctionner l’incinérateur. Le conseil municipal a acté une taxe de 50 francs par mois pour ce service.
Mais l’instauration de cette redevance a fortement déplu à la population : plus de la moitié des habitants refusaient de payer, provoquant le déficit de la structure, indique le bulletin municipal de 1983. La mairie a donc remercié Sobea et créé sa propre régie de traitement des ordures ménagères, avec six employés et à sa tête Marceau Danet. Les tournées de ramassage ont été espacées. « Le problème constituera toujours, pour une petite île comme Saint-Barthélemy, une question d’adaptation, car nous sommes bel et bien devenus une société de consommation », commentait Charles Querrard, concluant ainsi : « Il faudra en payer la rançon ».
Containers dans les
quartiers, élus découragés
Saut dans le temps jusqu’au début des années 2000. Saint-Barth compte désormais 7.000 habitants et les déchets qu’ils produisent se voient de plus en plus au bord des routes. Sous les deux mandatures de maire de Bruno Magras (1995-2006), l’un de ses adjoints s’est battu bec et ongles sur cette question des déchets : Michel Geoffrin, décédé prématurément en 2005, dans un accident de voiture. En charge de l’environnement et de la qualité de vie, à partir de 2001, il a initié l’installation de plateformes de dépôts dans chaque quartier. De petits bâtiments en béton pour protéger les poubelles des bestioles, avec une séparation du verre et des canettes, les autres types de déchets devant être apportés à la déchetterie.
Le sénateur Michel Magras, élu municipal à l’époque, avait également travaillé sur ce sujet. Et en 1999, dans une tribune publiée dans le Journal de Saint-Barth (JSB 362), il faisait part de son indignation : « Que sont devenus les sites aménagés pour recevoir les conteneurs? De véritables petites décharges sauvages. A Vitet, le samedi 18 juillet, il y avait ventilateurs, ferrailles, sièges de voitures...débris en tout genre, en pleine nature, cachées derrière les poubelles. A la Pointe Milou, endroit sans doute plus discret où l’on peut déposer sans être vu, on trouve de tout et la commune est condamnée à faire nettoyer régulièrement. (…) A Saint-Jean, j’ai été contraint de faire enlever les poubelles situées dans le couloir menant à la plage. Inutile de vous dire pourquoi. Un conseiller municipal a tout simplement décidé, dans son quartier, de mettre la poubelle dans sa voiture et de la déposer au service propreté en affirmant: “ Je ne veux plus voir cette poubelle à tel endroit. “ (…) Vous ne serez pas surpris si je vous dis qu’il m’arrive de plus en plus souvent de me demander ce que je fais dans cette galère. C’est pourquoi, si je peux encore donner un conseil à l’équipe qui devra assurer la relève en 2001, il faut se préparer sans plus attendre, il faut réfléchir à des solutions plus innovantes, mieux appropriés, car manifestement, il y a encore du travail à faire et j’ai le sentiment que notre méthode et notre démarche ne sont pas la panacée. Quatre années de travail pour arriver à de tels résultats, c’est, vous en conviendrez, plutôt décourageant. »
Michel Geoffrin faisait le même constat en 2002, toujours dans nos pages : « On se rend malheureusement compte qu’en supprimant les points de dépôt, on a supprimé les problèmes ». Pas exactement, puisqu’en 2004, fâché de constater d’un commerçant de Marigot persistait à brûler ses déchets malgré l’interdiction, l’élu appelait le voisinage à porter plainte afin de décourager ceux qui souhaiteraient faire de même…
Des dizaines de millions d’euros plus tard
Depuis le début des années 2000, le traitement des déchets n’a cessé de se perfectionner sur l’île, et il est aujourd’hui sans doute le plus performant des Caraïbes. En 1998, Saint-Barth devenait la première commune de Guadeloupe à trier le verre et les canettes. En 2001, la commune achetait un incinérateur dernière génération, capable avec sa vapeur de produire de l’eau potable. C’est celui qui est encore utilisé aujourd’hui. En 2012, une filière spécifique pour le carton était créée : il est compressé puis envoyer chez un recycleur en métropole. Même chose pour les pneus, la ferraille, les véhicules… et depuis l’an dernier, les végétaux, transformés et revendus sous forme de compost. Alors qu’avant quasiment tout était brûlé, aujourd’hui à Public, trente-deux filières de retraitement de déchets sont distinguées.
Côté ramassage, l’île est aussi à la pointe puisque les camions arpentent les quartiers six jours sur sept, le tout pour une taxe d’ordures ménagères dépassant à peine 100 euros par an. La Collectivité investit des dizaines de millions d’euros dans la problématique des déchets. 16 millions en 2016 pour le site de propreté, 15,5 millions en 2019 pour une nouvelle usine d’incinération, sans parler des frais annuels de fonctionnement de l’infrastructure.
Et malgré tout cela, habitants et touristes continuent de voir les déchets et sacs poubelles éventrés joncher les routes... Alors où est le problème ?