Une eau saumâtre, des odeurs peu avenantes, une végétation moribonde et une faune clairsemée. Au premier coup d’œil, ou presque, il est aisé de mesurer la dégradation du site de l’étang de Grand-Cul-de-Sac. Une déchéance progressive qui s’est amorcée depuis des décennies. Par la faute des activités humaines, bien évidemment, mais aussi par les différents assauts de la nature. Notamment les tempêtes et autres cyclones qui ont fini de balayer la beauté du lieu. Pourtant, depuis des années, la Collectivité n’a pas caché son intérêt pour le site et sa volonté de lui redonner sa flamboyance perdue. Celle-ci s’est toutefois heurtée aux intérêts privés qui prévalaient sur ceux des élus. Une différence de vue qui a considérablement changé depuis l’acquisition des étangs salés et des terres adjacentes par un nouveau propriétaire, Dimitrios Pilitsis, en 2021. Né à Saint-Martin et de nationalité étasunienne, il séjourne régulièrement à Saint-Barth et porte un projet de restauration des étangs qui entre dans sa phase active en ce mois de mai.
Une longue série d’études
Dès 2018, alors qu’il n’est pas encore le propriétaire des lieux, il lance avec la société Brosnan et associés une première étude très détaillée pour évaluer l’état des étangs. Il enchaîne avec une autre étude en 2019 qui porte sur une analyse de la température de l’eau, sa profondeur, etc. Rebelotte en 2020 avec une nouvelle série de relevés et d’analyses diverses et variées sur la santé du site. L’entreprise d’ingénierie Egis, spécialisée notamment dans les secteurs de l’aménagement, de l’eau et de l’environnement, est engagée cette même année pour travailler sur des projections à moyens et long terme des mouvements de l’eau. Parallèlement, une étude sur la fréquence et les directions des précipitations est menée tandis qu’une autre est consacrée à la faune et à la flore. Avec un constat formulé par Dimitrios Pilitsis : « Dans les prochaines années, si on ne fait rien, la situation ne fera que s’aggraver et l’environnement va se détruire progressivement. Donc, il faut agir. »
Tout au long de l’année, 2022, une équipe de scientifique a travaillé sur place, effectuant de nouveaux prélèvements et préparant la première phase active de restauration. Active, car en réalité des spécialistes s’affairent déjà depuis des mois aux abords de l’étang. A l’image de Nicole Firing qui multiplie les plantations en pots - Plus de mille pousses de mangrove s’y développent sous surveillance - dans la pépinière installée entre les deux parties de l’étang. Un lieu régulièrement visité par les écoliers de l’île, bien souvent en présence d’un représentant de l’Agence territoriale de l’environnement. De fait, le propriétaire entend travailler en étroite collaboration avec l’ATE et les services de la Collectivité. Comme le confirme le président, Xavier Lédée, qui s’est déjà entretenu à plusieurs reprises avec Dimitrios Pilitsis au sujet de son projet de restauration. « L’étang et la mangrove sont en très mauvais état, constate Xavier Lédée. Le propriétaire a la volonté de restaurer le site, ce qui ne peut être qu’une bonne chose. Il existe des obligations environnementales et d’urbanisme à respecter et il travaille en relation avec l’ATE. Par conséquent, un contrôle se fait. De plus, j’ai suggéré qu’un comité de suivi soit mis en place. Même s’il n’en a pas l’obligation, le propriétaire a accepté de le faire. » Pour Dimitrios Pilitsis, cette collaboration est essentielle. « On veut que le projet soit le meilleur possible, donc pour ça il nous faut une diversité d’opinions et l’implication des meilleurs organismes, déclare-t-il. On a affaire à un écosystème vivant. Nous devons être certains d’être dans les meilleures dispositions. Car cela implique de s’adapter en permanence aux évolutions de l’étang. Je ne pense pas que les gens soient conscients de tout le travail que ça représente et qui a commencé avant que je ne sois propriétaire. On veut vraiment ramener cette zone à la vie. » Pour ce faire, une première étape concrète a été lancée en début de semaine dernière.
Une restauration au long cours
En l’occurrence, le ramassage de tous les déchets et métaux lourds qui jonchent les abords des étangs depuis des années. Une opération qui a toutefois été ralentie par une autre lourdeur : celle des procédures administratives. Rien qui ne puisse empêcher, à court terme, l’enlèvement des épaves de bateaux identifiées et la destruction des autres. « Pendant quarante ans, il ne s’est rien passé, remarque Dimitrios Pilitsis. J’ai la capacité de contribuer à une infime partie de l’histoire de cette terre, mais avec le soutien de la Collectivité et de l’ATE. » Dans un premier temps, le propriétaire prévoit d’injecter une somme supérieure à trois millions d’euros dans le projet. Pour nettoyer le site, le revégétaliser, restaurer la frange de mangrove et l’habitat de plage. Puis viendra le temps de la restauration du débit de l’eau en installant une communication propre et moderne entre les deux parties de l’étang, le rétablissement de la configuration naturelle des terres grâce à la pousse des mangroves et, enfin, l’ouverture d’un canal sur le lagon. Ce, pour redonner fluidité et vie à l’étang salé de Grand-Cul-de-Sac. Comme à l’origine. « Je suis jeune, j’ai du temps devant moi, sourit Dimitrios Pilitsis, déterminé. La restauration profitera à l’écosystème mais aussi à la communauté dans son ensemble. Et la beauté du site ne pourra qu’être attractive, en y ajoutant aussi une valeur culturelle et éducative. »