Il y a 35 millions d’années, Saint-Barth, Saint-Martin, Anguilla, Saba et Porto Rico ne formaient qu’un seul et même grand territoire, une vaste île baptisée Granola. Les études géologiques qui l’ont prouvé sont une nouvelle étape dans l’avancée des recherches du projet GAAAranti, lié entre autres à la découverte des restes du rongeur géant de l’île Coco, en face de Saline.
Pourquoi Granola ? «Pour GReater Antilles NOrtherne Lesser Antilles », répond Mélody Philippon, géologue à l’université des Antilles. Elle publie un point d’étape sur ses recherches, qui ont notamment porté sur l’étude géologique de la pointe de Toiny, à l’Est de Saint-Barth, et sur les fonds marins des alentours de Saba. Ceux-ci avaient été sondés à l’aide du bateau de recherche scientifique L’Atalante, en mai 2017. « Sur le même principe que le sonar, cela permet d’avoir une imagerie du sous-sol, sous la mer. Or, il y a une corrélation entre ce que l’on voit à la pointe de Toiny et au sud du banc de Saba. Ce sont les mêmes structures. » Ainsi, il y a 35 millions d’années, une île baptisée Granola, « comparable en taille à celle des Grandes Antilles actuelles, devait exister et permettre les communications entre Grandes et Petites Antilles. Cela pourrait accommoder un changement majeur du mouvement des plaques tectoniques, correspondant à l'immobilisation de la plaque Caraïbe et le changement de direction de déplacement du Sud vers l’Est de la plaque nord-américaine. »
La définition de Granola est un nouvel élément dans la grande enquête du projet GAAAranti (JSB 1331 et 1362). Ce dernier vise à prouver, grâce à une approche scientifique pluridisciplinaire, que les îles des Antilles furent un seul et même bras de terre, relié au continent sud américain, il y a quelques dizaines de millions d’années. Une langue de terre baptisée GAAArlandia par les chercheurs.
Un chinchilla de 200 kg...
et son aïeul de 30 gr
Les premiers éléments de cette thèse sont biologiques. Sur l’îlet Coco, situé en face de la plage de Saline au Sud de Saint-Barth, les restes d’un rongeur géant, l’Amblyrhiza, ont été découverts en 2010 par un résident de l’île, Gilles Maincent. Dix ans plus tard, après des études pointues, on sait que cet animal est “récent”, daté d’environ 120.000 ans. Les chercheurs ont découvert, à Porto Rico, un autre rongeur beaucoup plus ancien, autour de 28 millions d’années. Les analyses de biologie moléculaire démontrent que le petit rat portoricain d’une trentaine de grammes est l’ancêtre de celui de l’île Coco, sorte de chinchilla plus proche des... 200 kilos. Sur de telles durées de temps l’insularité provoque chez certaines espèces animales un phénomène de gigantisme ; il est probable que ce soit le cas de notre Amblyrhiza de Coco.
Le petit rat portoricain de 27 millions d’années, comme le chinchilla Saint-Barth, sont eux-mêmes descendants d’espèces nées en Amérique du Sud. D’où l’hypothèse d’une presqu’île terre sortie de ce continent, utilisée comme passerelle par ces animaux, avant que les Caraïbes ne deviennent des îles où ils se sont retrouvés coincés. L’émergence de Granola au-dessus des mers correspond à un épisode d’épaississement de la croûte terrestre, sur un temps long (très long), combiné à un mouvement des plaques et une période où le niveau de l’océan était beaucoup plus bas qu’aujourd’hui. Cette terre s’est ensuite transformée en multitude d’îles. «La fin de Granola aurait commencé il y a 30 millions d’années. Ce sujet fera l’objet d’une prochaine publication. Nous n’en sommes qu’au début des recherches », détaille Mélody Philippon. «La connexion avec l’Amérique du Sud n’est pas encore démontrée et nous espérons que la suite de nos travaux permettra de répondre à cette question. »
Ces recherches alimentent la connaissance du monde, et permettent aussi d’éclairer la situation de réchauffement climatique que nous vivons. En effet, la planète connaît des cycles de chaleur et de froid, qui s’étalent sur 11.000 à 100.000 ans. Les écosystèmes s’y sont toujours adaptés, millénaire après millénaire, comme l’Amblyrhiza à Coco en devenant un géant. Mais aujourd’hui l’activité humaine empêche le déroulement normal de ces cycles et le climat évolue trop vite, ne laissant plus aucune possibilité à la nature de suivre le rythme.
> Cette recherche a reçu le soutien de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR), programme GAARAnti (ANR-17-CE31-0009), porté par Philippe Münch (Géosciences Montpellier, Université de Montpellier) [INSU] et de l’INSU-IFREMER pour la partie marine du projet : la campagne GARANTI en 2017 à bord de l’Atalante (chefs de mission : JF Lebrun et S Lallemand).