Une « reprise spectaculaire » de l’activité après Irma. C’est ce que démontrent les chiffres de l’Observatoire du tourisme, présentés lors d’une conférence mercredi dernier. Et au-delà de cette remontée éclair, tout laisse à penser que l’attraction exercée par Saint-Barth devrait encore s’accentuer dans les années qui viennent. Trop ?
Du jamais vu : moins de deux ans après avoir été dévasté par Irma, le territoire a retrouvé toute sa santé économique. Chaque chambre disponible a été remplie pendant cette saison 2018-2019. Une reprise qualifiée de « spectaculaire » par le professeur Olivier Dehoorne, en charge de l’Observatoire du tourisme de Saint-Barthélemy, chiffres à l’appui. Elle a été boostée, selon lui, par une communication positive vers l’extérieur et grâce aux événements nautiques phares de l’île, la Bucket et les Voiles, qui se voient clairement sur les chiffres de fréquentation de l’aéroport.
Aux côtés de Nils Dufau, président du Comité du Tourisme, Olivier Dehoorne a présenté ses statistiques devant une vingtaine de personnes, mercredi soir à la Capitainerie. Comme annoncé fin mars (JSB 1321), le niveau d’activité est quasiment revenu à celui de l’année de référence, 2016, la plus prospère. Alors que de grosses unités manquent à l’appel : l’Eden Rock, le Guanahani, ainsi que le Tropical et le Taïwana. Les villas ont pris le relais. En 2016, elles représentaient 46,6% de la taxe de séjour, contre 78% en 2018 (19,7 millions d’euros).
+20% de touristes en 2020 par rapport à 2016
Avec une projection des chiffres de ce début 2019 et les réouvertures annoncées, Olivier Dehoorne table sur une fréquentation, en 2020-2021, qui serait à 120% de celle connue en 2016-2017, une année record. Or, Nils Dufau n’a de cesse de répéter que l’objectif est déjà atteint en terme de quantité de visiteurs. « C’est vital pour les habitants comme pour les touristes qu’il n’y en ait pas davantage en quantité », nous disait-il en avril 2018, à l’occasion des dix ans du CTTSB (JSB 1274). Parmi les défis à venir listés par Olivier Dehoorne, le premier était donc «la maîtrise de l’offre». Il l’estime actuellement à 2.100 chambres en villa et 550 en hôtels. Et puisque la demande est forte, les investisseurs n’ont aucun intérêt à délaisser l’île. Des villas destinées à la location saisonnières sont en construction, sans parler des importants projets Autour du Rocher (villa douze chambres) et Flamands (dix villas avec spa et salle de sport), entre autres.
Dès lors, comment Nils Dufau compte-t-il contenir le nombre de chambres ? « Il nous faut étaler le flux de touristes dans le temps, le plus possible, pour que cela continue jusque juillet et août. Avant, la saison se terminait fin avril. Les vases communicants vont se faire avec le temps. Et puis, nous avons la quantité, mais il faut aussi garder le choix. Aujourd’hui, l’île compte une trentaine d’hôtels... »
Nouveau discours du président du CTTSB, dans un e-mail sur le même sujet, quelques jours après la conférence : « Il me semble que notre Président a dit que le principe de limiter le nombre de “résidents permanents” était logique. Mais il ne me semble pas que le CTTSB ou la Collectivité a dit que nous ne pouvons pas accueillir davantage de touristes. Nous avons effectivement de la marge pour accueillir les 15 - 20% de plus (probable) pour notre prochaine saison, dans le cadre d’un étalement de la saison », écrit Nils Dufau. «Ce que je dis depuis 2016 et que je continue à dire pour le futur, c’est que nous avons atteint le “sweet spot” : la quantité de touristes est actuellement agréable, équilibrée et suffisante pour soutenir l’économie actuelle de la Collectivité. Et 15% de touristes de plus par rapport à 2016, étalé sur l’année, ne casseront pas à mon sens cet équilibre. »
Selon lui, si l’offre des chambres en villa tend à augmenter, ce n’est pas le cas des hôtels. « Depuis quelques années nous avons perdu un grand nombre d’hôtels : Baie des Flamands, le Filao, les Castelets, le PLM, le Yuana, Autour du Rocher, les Trois Forces, le Normandie, le Manoir, l’Hibiscus, Chez Cocotte, le Sea Horse, la Banane... », énumère-t-il. « D’ailleurs, certains de ces établissements se sont transformés en logements pour les habitants et/ou en logement pour les saisonniers. Les quelques chambres de plus ajoutées par certains hôtels actuels suite au cyclone Irma, ne compensent pas toutes celles perdues au niveau de ces 13 hôtels disparus. S’agissant des établissements actuellement en travaux de rénovation, le nombre de chambres ne varie pas ou à peine : Carl Gustaf, Guanahani, Tropical, Eden Rock et ex-Taiwana. »
Villas de location,
stop ou encore ?
Sur les villas, estimées à 800 sur le territoire (les nouvelles modalités de paiement de la taxe de séjour devraient permettre d’avoir des données plus précises prochainement), Nils Dufau « pense effectivement qu’il devient de moins en moins pertinent d’augmenter le nombre de villas destinées aux touristes. Mais, de manière générale, est-ce que la Collectivité peut interdire à un propriétaire à construire, alors qu’il dispose d’un terrain avec un droit à construire ? J’en doute fort. Cela serait probablement considéré comme un abus de pouvoir et la Collectivité n’aurait aucune chance de gagner face à la justice. Nos règles d’urbanisme et la fiscalité sont moins favorables qu’avant. La plus-value a été fortement augmentée afin de limiter la spéculation. Les modifications en cours de la carte et du code de l’urbanisme tendent à encadrer plus encore les droits à construire et la façon de construire. Notons aussi, que 66% du territoire a été classé en zone naturelle inconstructible !» Pour conclure : « Nous ne sommes pas dans un raisonnement où il s'agit de courir derrière la demande. Nous avons un positionnement sur le marché du haut de gamme et nous devons avoir une offre très compétitive sur ce segment. »
Quand les infrastructures saturent
Dans son rapport “Promouvoir le tourisme durable outre-mer”, la conseillère du CESE Inès Bouchaut-Choisy évoquait cette question épineuse de capacité de charge d’un territoire, “c’est à dire le seuil de fréquentation d’un territoire au-delà duquel apparaissent d’une part des dysfonctionnements relatifs à la saturation des infrastructures, et d’autre part des problèmes sociétaux et environnementaux.”
Accès routiers saturés, production d’eau et d’électricité insuffisantes pour répondre à la demande en haute saison, site de propreté débordé par les déchets, crise aiguë du logement, sont autant de pistes qui devraient permettre de calculer la capacité de charge de Saint-Barthélemy.
Le CESE avait recommandédans ce rapport à chaque observatoire du tourisme ultramarin d’effectuer ce calcul avec l’appui d’Atout France. Ceci pour éviter qu’un territoire ne se tire une balle dans le pied en perdant son attractivité tant pour les touristes que pour les locaux.
« Oui, il y aura davantage
de saisonniers »
« Entièrement d’accord, c’est un dilemme », commente Nils Dufau. Qui revient également par écrit sur cette question : « Les grands établissements cinq étoiles portent la destination, les investissements qu'ils ont effectués s’inscrivent dans un engagement durable. L’établissement qui investit des millions dans ses travaux doit avoir un retour sur investissement : cela peut passer par quelques agrandissements (modestes), tout en restant à taille humaine. Nous sommes loin et serons toujours très loin des structures du tourisme de masse. Oui, il y aura davantage de saisonniers ; les grands hôtels se penchent sur cet aspect en achetant des logements pour les uns ou en construisant leurs propres structures d'hébergement pour d’autres. L’île est petite, la surface limitée. Mais faut-il pour autant restreindre notre économie touristique et laisser d’autres îles récupérer ce marché et nos emplois ? »