La délégation sénatoriale aux Outre-Mer présidée par Michel Magras a organisé le 19 mai une table ronde sur le transport aérien, à laquelle ont participé les représentants d’une dizaine de compagnies ultramarines, dont Eric Koury pour Air Antilles et Bertrand Magras pour Saint-Barth Commuter. Comme leurs homologues, ils font face à une crise sans précédent.
Le secteur aérien est frappé de plein fouet par la crise, et la compagnie nationale Air France est l’arbre qui cache la forêt. Derrière elle, les nombreuses compagnies qui desservent les outre-mer en souffrent au moins autant. Le tableau qu’a dressé le 19 mai Eric Koury, président d’Air Antilles et Air Guyane, est édifiant : «Depuis le 20 mars notre flotte est clouée au sol. Nous effectuons trois ou quatre rotations par semaine, au lieu de 400 habituellement. Cela représente 1% ou 2% de l’activité normale », décrit le chef d’entreprise. Air Antilles transporte normalement un demi-million de passagers chaque année, et emploie 300 personnes, sans compter les prestataires. «Nous avons fait ce que nous pouvions pour préserver l’entreprise : report des charges sociales et fiscales, des échéances de crédit, chômage partiel… Malgré cela, chaque jour qui passe nous coûte 150.000 euros. Chaque jour nous jetons 150.000 euros par la fenêtre ! La situation est catastrophique. »
Même constat du côté de Saint-Barth Commuter, dont le gérant Bertrand Magras a rappelé le pedigree : « Depuis les années 80, pas moins de 140 compagnies ont été créées et ont disparu dans la région, avec une existence moyenne de 3,5 ans. Nous existons depuis 25 ans, c’est une grande fierté dans une zone aussi compliquée que les Antilles. Nous effectuons 9.000 vols par an, pour 40.000 passagers, et employons trente personnes. » Le quart de siècle de Saint-Barth Commuter sera marqué au fer rouge par la crise du Covid-19 : « Les conséquences financières sont très lourdes. Notre trésorerie a été divisée par trois depuis janvier ; on s’oriente vers une baisse de l’effectif de 15% à 20%. »
« On va exploser ! »
Comme leurs confrères de l’Atlantique Nord ou du Pacifique, les deux chefs d’entreprises antillais ont sollicité le prêt garanti par l’Etat, et sont en discussion pour l’obtenir. Mais cette solution d’urgence les inquiète : « Un prêt doit être remboursé, et avec les faibles marges du secteur, c’est peut-être creuser un peu plus notre tombe », indique Bertrand Magras. « Nous n’aurons jamais les marges suffisantes pour rembourser ce PGE ! On est tombés d’un immeuble, on plane, on se dirige vers le sol et on va exploser », renchérit Eric Koury. Il ne décolère pas contre le préfet de Guadeloupe Philippe Gustin, qui lui interdit de voler entre Pointe-à-Pitre et Fort-de-France, ce qu’Air Antilles avait déjà dénoncé dans un communiqué diffusé le 18 mai. « On nous refuse l’autorisation de vol, au motif que l’offre d’Air France est suffisante sur la desserte. La situation est inacceptable ! » Depuis, elle s’est améliorée : en levant la quatorzaine obligatoire entre les îles françaises, les préfets ont permis à Air Antilles de reprendre ses rotations. La compagnie effectue sept vols par semaine entre Pointe-à-Pitre et Fort-de-France, huit par semaine entre PTP et Saint-Martin Grand-Case, et huit également entre PTP et Saint-Barthélemy.
Les élus membres de la délégation sénatoriale aux outre-mer ont questionné les chefs d’entreprise sur leurs difficultés et leur vision de l’avenir. Stéphane Artano, sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon, s’enquiert des conséquences d’une éventuelle disparition des compagnies aériennes d’outre-mer. Viviane Artigalas, sénatrice des Hautes-Pyrénées, sollicite l’avis des professionnels sur la quatorzaine. Nassimah Dindar, sénatrice réunionnaise, s’inquiète d’une future hausse des prix des billets pour les voyageurs, et de la façon dont l’activité touristique va pouvoir reprendre.
« Nous sommes les seuls sur la desserte de Grand-Case », répond Bertrand Magras, quant à l’éventuelle disparition de la compagnie. « Ce serait un désastre, et je le dis sans exagération. Sur le plan économique, mais aussi sur le plan social ; je pense notamment aux habitants de Saint-Barth qui doivent se déplacer pour des rendez-vous médicaux ou judiciaires. » Quant au soutien de l’Etat, le Saint-Barth répond sans ambages : « Pour nous, il n’est pas à la hauteur. Je ne sens pas de la part de l’exécutif une réelle volonté de soutenir les compagnies aériennes. » Il regrette que les débats sur l’aérien tournent quasi-exclusivement autour de l’impact écologique des avions, et dénonce même un injuste «bashing ».
Le gérant de Saint-Barth Commuter, comme ses confrères, plaide pour un prolongement du dispositif de chômage partiel jusqu’à fin 2020, et une aide direct plutôt qu’un prêt et un moratoire, qu’il faudra rembourser un jour ou l’autre. Quant à la quatorzaine, « ce n’est pas possible », tout simplement. Quel touriste français (ou étranger) acceptera de se payer un voyage en Guadeloupe, en Martinique ou à Saint-Barth, s’il doit rester cloîtré dans sa chambre d’hôtel durant quatorze jours ?
Menant les débats, Michel Magras fait une rapide synthèse des trois heures d’échange, qui sera mise en forme avec des préconisations à destination du gouvernement, mais aussi des collectivités et des entreprises. « Je retiens que le soutien apporté par l’Etat n’est pas forcément adapté à nos territoires et pas toujours à la hauteur ; que la notion de moratoire est inadaptée ; que la lisibilité est nulle et que la réouverture de l’aéroport d’Orly est une nécessité absolue ; que les compagnies que vous dirigez feront le maximum pour maintenir les prix à leur niveau d’avant crise ; que vous avez quasiment tous sollicité un prêt garanti par l’Etat, et que vous êtes tous prêts à appliquer les protocoles sanitaires ; que la création d’un fonds de soutien est nécessaire, et que le réseau Caraïbe est particulièrement en danger », liste le sénateur de Saint-Barthélemy. « Nous ferons de notre mieux pour relayer ce que vous venez de nous dire. »
Michel Magras s’accorde avec les responsables des compagnies sur la cacophonie des ordres et contre-ordres des autorités durant la crise. « On sent une volonté de montrer les muscles, de montrer que ce ne sont pas les élus qui décident mais l’exécutif national », commente-t-il en conclusion, acerbe.
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Le Sénat formule 20 propositions face à l’urgence économique en outre-mer
La délégation sénatoriale aux outre-mer présidée par Michel Magras, a également publié vingt propositions à destination du gouvernement, qui vise à adapter les réponses à la crise dans les territoires ultramarins.
Un sénateur et deux sénatrices alertent sur la « menace d’effondrement » des économies locales « si des mesures appropriées et d’envergure ne sont pas rapidement adoptées. Les mesures nationales d’urgence économique s’appliquent en principe aux outre-mer. Cependant, les spécificités de leurs tissus économiques induisent un effet d’éviction pour une large partie de leurs entreprises. La forte proportion de très petites entreprises et d’entreprises unipersonnelles, la frilosité traditionnelle du système bancaire, le pourcentage d’entreprises déjà en grande difficulté et des différences statutaires tendent à exclure en pratique des pans entiers d’activités du bénéfice des mesures de solidarité nationale. »
Parmi les vingt propositions, les sénateurs demandent que toutes les entreprises sans salarié puissent bénéficier du second volet du Fonds de solidarité, et que la condition d’être fiscalement et socialement à jour soit supprimée. Il demande aussi l’annulation des cotisations des entreprises les plus fragiles.
Sur le prêt garanti par l’Etat (PGE), la délégation insiste sur la réduction nécessaire du délai d’instruction des demandes, sur la nécessité d’allonger la période de remboursement, notamment. Elle demande aussi le maintien du dispositif de chômage partiel jusqu’en fin d’année 2020 pour les secteurs vulnérables, de permettre à certaines entreprises de ne pas avoir à avancer la trésorerie pour ce dispositif, entre autres.
L’ensemble des recommandations est listé et détaillé sur le site du Sénat.