Depuis plusieurs mois, le prix du carburant n’a de cesse d’augmenter à Saint-Barthélemy. Une hausse supérieure à dix centimes (pour le sans-plomb 95) en moins de huit mois pour s’afficher aujourd’hui à la pompe à 1,68 euro. Une inflation constante qui n’a échappé à personne et certainement pas au Conseil économique, social, culturel et environnemental (CESCE). Lors d’une assemblée plénière, le 3 juin dernier, l’organisme a soulevé la question de la hausse du prix du carburant qu’il considère désormais comme « rapide et installée en tendance ». La présidence du CESCE a donc pris la décision, encouragée en cela par le président de la Collectivité territoriale, Bruno Magras, de trouver des explications à ce phénomène. Pas une mince affaire, à en croire le président du CESCE, Pierre-Marie Majorel, qui peste : « On a du mal à se faire entendre. »
Le dossier « carburant » n’est pas une nouveauté sur l’île puisqu’il a régulièrement été évoqué depuis de nombreuses années. Notamment en séance du conseil territorial puisque le statut de PTOM (Pays et territoire d’outre-mer) acquis en 2012 permet, en théorie, à la Collectivité de s’affranchir des normes européennes en terme d’approvisionnement en produits pétroliers. Une option qui n’a toutefois pas été privilégiée et qui contraint donc Saint-Barthélemy à continuer de s’approvisionner auprès de la Sara, la société de raffinage qui alimente les Antilles et la Guyane. Avec néanmoins un inconvénient dont le CESCE n’avait pas connaissance.
Prix non réglementés
En effet, contrairement aux autres territoires français de la région, les prix des carburants pour les îles du Nord ne sont pas réglementés par la préfecture. En Martinique, en Guadeloupe et en Guyane, l’Etat fixe un prix plancher qui ne peut être dépassé. A Saint-Barthélemy, les opérateurs que sont le raffineur (la Sara), le grossiste (la Compagnie pétrolière du port franc, qui gère le dépôt à Public) et les détaillants (les stations-service) ne sont pas tenus de respecter un prix ou une marge maximum. Une explication qui émane du Pôle de la concurrence, de la consommation, de la répression des fraudes et de la métrologie basé en Guadeloupe.
Dans un courrier adressé au CESCE puis transmis à Bruno Magras - qui en a donné lecture en Conseil territorial, vendredi 5 novembre - le chef du Pôle, Eric Eberstein, explique : « Contrairement à la Guadeloupe, le coût d’acheminement des produits pétroliers distribués à Saint-Barthélemy est entièrement supporté par les opérateurs de la Collectivité et sont donc répercutés au prix de vente à la pompe. En Guadeloupe, Guyane et Martinique, le coût d’acheminement est mutualisé entre les trois territoires, au bénéfice donc des deux premiers territoires cités. Par ailleurs l’étroitesse du marché renchérit les coûts fixes supportés par le grossiste pour le financement des infrastructures de stockage. D’autres coûts supportés par le grossiste peuvent aussi impacter le prix à la pompe comme le financement des indemnités de fin de gestion des gérants de station-service ou la contribution aux certificats d’économie d’énergie (C2E). Ces conditions d’exploitation sont compensées par une fiscalité plus avantageuse à Saint-Barthélemy. » Des remarques qui n’ont pas manqué de faire bondir le président du CESCE.
La Sara silencieuse
« Doit-on comprendre que le prix du litre à la pompe à Saint-Barthélemy est en grande partie dépendant du coût de l’acheminement et des surcoûts d’exploitation sur l’île ? », s’interroge Pierre-Marie Majorel. Pour le président du CESCE, même une distribution spécifique pour Saint-Barth ne peut expliquer un tel tarif. « J’ai connu un prix au litre moins élevé que celui-ci alors que le cours moyen du baril de Brent frôlait les 200 dollars, affirme-t-il. Or, aujourd’hui, il est à 83 dollars (83,46 dollars précisément, soir 72,08 euros, ndlr). Il va falloir nous expliquer leur péréquation. » Seule difficulté : pour l’heure, la Sara n’a répondu à aucune des sollicitations du CESCE.
Lors de la séance du conseil territorial de vendredi, l’élu d’opposition Maxime Desouches a fait référence aux tarifs appliqués à Porto-Rico, nettement moins élevés qu’à Saint-Barth. Il aurait également pu évoquer ceux pratiqués à Saint-Martin. Sur l’île voisine, si les prix fluctuent en fonction du distributeur, ils oscillent entre 1,05 et 1,15 euro le litre pour l’essence. Comme la majorité des îles de la région, Saint-Martin s’approvisionne en produits pétroliers caribéens. Des carburants qui ne répondent pas aux normes européennes et qui ne présentent donc pas la même qualité de raffinage. « A peine plus de un euro contre 1,68 à Saint-Barth, juste parce que la teneur en benzène est de 3% au lieu de 1%, ça mérite des explications », insiste Pierre-Marie Majorel. Si le CESCE éprouve des difficultés à obtenir des réponses, la Direction du Pôle CCRFM y parviendra peut-être.
En effet, dans son courrier, Eric Eberstein conclut en assurant que « compte tenu du contexte haussier du cours des produits pétroliers et de la concentration du marché, mon service étudie actuellement l’état de la situation concurrentielle dans ce secteur sur Saint-Barthélemy ». Néanmoins, dans ce même document, le chef du pôle affirme que le premier constat effectué par ses services « ne permet pas de suspecter une pratique commerciale abusive de la part du grossiste ou des distributeurs de carburant de Saint-Barthélemy ». Une « pratique abusive » qui pourrait notamment se manifester par des marges excessives. Or, selon le Pôle concurrence, tel n’est pas le cas. Une affaire à suivre, comme il est coutume de dire en pareil cas.
Un « surcoût » à élucider
Le CESCE reste dubitatif quant à la méthode de fixation du prix de l’essence à Saint-Barth. « Les surcoûts ont toujours existé mais comment expliquer les augmentations récentes ? », s’interroge le Conseil qui délivre une hypothèse de calcul. Il est le suivant, basé principalement sur les données publiées par la Sara : 0,72 euro/litre (matière première), 0,22 euro/litre (Sara), le tout multiplié par le coût (inconnu à cette heure) de l’acheminement à Saint-Barth auquel s’ajoute les 5% de droit de quai et les 0,08 euro/litre de taxe locale sur les carburants ainsi que la part - également non communiquée - du grossiste et des détaillants. Le tout pour arriver à un total de 1,68 euro par litre. « Cela signifie qu’une part de 39% du détail du prix final reste inexpliqué », constate Pierre-Marie Majorel.
Les acteurs de l’alimentation en carburant
Comme mentionné plus avant, ils sont quatre à ordonnancer la distribution du carburant à Saint-Barthélemy. La raffinerie de la Sara (Société anonyme de la raffinerie des Antilles) est située au Lamentin, en Martinique et compte des dépôts en Guadeloupe et en Guyane. Elle raffine essentiellement du pétrole Brent de la mer du Nord. Le distributeur est Rubis Antilles Guyane, qui est une filiale de Rubis Energie. La société achète le carburant raffiné à la Sara et le revend au grossiste. A Saint-Barth, ce dernier est la Compagnie pétrolière de Port Franc (CPPF). Elle gère le dépôt implanté à Public mais ne devient propriétaire du carburant que lorsqu’il est chargé dans ses camions de distribution. Enfin, les détaillants ne sont autres que les deux stations de l’île : celle basée à Saint-Jean et celle de Lorient.