Saint-Barth -

A La Main Verte, Jean-Michel Vial veut glisser la clef sous la porte

Le regard embué de larmes, Jean-Michel Vial tente de contenir ses émotions. Le 3 juin, dans un long texte publié sur un réseau social, il a annoncé la fermeture de sa pépinière de Grand-Cul-de-Sac qu’il a baptisé La Main Verte lors de sa création en 2017, après le passage de l’ouragan Irma. « On est parti de rien, souffle-t-il. Mais aujourd’hui, je n’arrive plus à vivre de ma passion. » Alors il a décidé de glisser la clef sous la porte. Même si, dès l’annonce de la fermeture, des centaines de messages de soutien lui sont parvenus. Sans oublier, le lendemain de la publication de son message, dimanche 4 juin, le débarquement inattendu de dizaines de personnes à la pépinière. Une sollicitude à laquelle il ne s’attendait absolument pas. Pourtant, malgré les propositions qui affluent pour lui venir en aide, il ne parvient pas à s’imaginer poursuivre l’aventure.

« Le fric, pas mon moteur »
Petit îlot de nature et de cultures, La Main Verte avait pour vocation d’être un lieu d’échange et de production locale en plantes fleuries, en fruits, palmiers, cactus, plantes médicinales mais aussi des salades composées très appréciées des fidèles du lieu. «L’idée était pourtant prometteuse et pleine de bon sens, à savoir recycler les nombreux pots plastiques noirs ainsi que tout ce qui pouvait être réutilisé plutôt que de le brûler à la déchèterie, écrit Jean-Michel Vial. Cette initiative avait aussi pour but de produire localement des variétés endémiques qui disparaissent de l’île peu à peu suite aux ouragans et aux constructions toujours plus grosses et plus nombreuses. Ce défi un peu fou que de lancer une production horticole sur une île qui manque d’eau, et bien c’était ma façon de remercier l’île et ses habitants pour tout ce qu’elle m’a apporté au cours de ces 30 dernières années. Le fric n’a jamais été mon moteur de vie. »

« Vivre mon rêve »
A l’heure d’annoncer la fermeture de La Main Verte, son créateur se dit partagé entre tristesse, honte et colère. « Je ne suis pas fier de moi, se flagelle-t-il. J’ai un sentiment d’échec. Mais j’ai quand même cette fierté d’avoir pu relever ces défis et vivre mon rêve. » Qui était notamment de pouvoir accueillir les enfants de l’île pour partager ses connaissances et son enthousiasme. « Je voulais leur faire comprendre qu’avec de la patience et de la passion on peut tout faire par nous-même », assure-t-il. Ainsi, pendant six ans, il n’a eu de cesse de recevoir les écoliers et de leur faire arpenter la pépinière. Jean-Michel Vial songe aussi aux jeunes cuisiniers, pâtissiers et autres barmen qui venaient s’approvisionner en basilic, roquette moutarde et autres fruits de sa production. « Produire sur une île comme la nôtre n’est pas une affaire de tout repos, croyez-moi, écrit-il. Les mauvaises surprises pouvaient être quotidiennes mais ma détermination à relever ce défi m’obsédait. » Jusqu’à n’en plus pouvoir. Manque de pluie, coupure d’eau à répétition, des semaines entières dépourvus de commande et de visite… La Main Verte ne faisait que survivre. Malgré la qualité des produits, malgré des tarifs des plus abordables, malgré le dévouement. « J’ai alerté la Collectivité depuis plus d’un an sur nos difficultés et nos gros problèmes d’eau, remarque Jean-Michel. Mais bon, on nous écoute et c’est tout. Je ne veux pas entrer dans un conflit mais en six ans, je constate que la Collectivité n’a jamais acheté la moindre plante ni la plus petite salade. On ne fait pas travailler les acteurs locaux. Moi, mes plantes, elles ne viennent pas de Miami. Le climat de l’île, elles connaissent. »

Une passion inaltérable
De son propre aveu, la haute saison a pourtant été belle pour la pépinière. Mais entre le loyer, le salaire de son employée dont il salue « la joie de vivre et la passion grandissante », les mois de basse saison au cours desquels personne - ou presque - ne vient, Jean-Michel ne peut même pas se verser de salaire. Alors il ferme. A moins que…
A moins que les innombrables sollicitations et autres propositions qui affluent depuis l’annonce de la fermeture ne le fassent changer d’avis. Mais pour ça, il faudra être convaincant. Car cet amoureux de la nature et de ses cultures doute sérieusement de pouvoir continuer. Pourtant, dès qu’il s’interrompt pour accueillir un couple, ses yeux pétillent à nouveau. Il entraîne ses visiteurs aux confins de la pépinière. Il explique, s’agite, retrouve le sourire. Difficile d’imaginer qu’une telle passion ne puisse susciter des envies de sauvetage.    T.F.

 

Journal de Saint-Barth N°1523 du 08/06/2023

Piscines naturelles de Petit-Cul-de-Sac
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