Saint-Barth -

Pilotes d’Air France et mafia russe sur l’île : quand Chirac refusait que Saint-Barth échappe à l’impôt

Photo > Le 12 mars 2000, Nordleing Magras, conseiller régional et conseiller général, était présent au déjeuner avec Jacques Chirac, alors président de la République, à Saint-Martin. 


Chirac était favorable à l’évolution statutaire des Îles du Nord, à condition que les habitants ne se soustraient pas à l’impôt. Au cours d’un déjeuner à Saint-Martin, le 12 mars 2000, le président de la République avait heurté les responsables politiques locaux en dénonçant la domiciliation fiscale de nombreux pilotes d’Air France à Saint-Barth, et la présence de la mafia russe sur l’île.

Il n’était pas donné favori pour l’élection présidentielle de 1995 ; c’est en battant minutieusement le terrain que Chirac l’a finalement emporté au premier tour sur Balladur, l’autre candidat de la droite ; il sera ensuite élu à 52,48% au détriment du candidat socialiste Lionel Jospin. Un mois avant le scrutin, il envoyait une lettre aux habitants de Saint-Barthélemy. « Pour m’en être entretenu à de multiples reprises avec vos élus, je crois bien connaître les difficultés que vous rencontrez, en particulier dans l’application du Traité franco-suédois qui vous a conféré votre statut particulier au sein de la République. » Et d’assurer les électeurs de l’île de « sa considération attentive à leurs problèmes qu’ils sont en droit d’attendre des autorités de la République, parmi lesquels l’aménagement des services hospitaliers, urgences, chirurgie, maternité ». Sa lettre conclue par un « amicalement vôtre » a fait mouche sur l’île déjà acquise à la droite, et 86,7 % des votants de Saint-Barth ont choisi Jacques Chirac.

 

Cinq ans plus tard, c’est en Falcon 900 qu’il atterrit aux Antilles, en tant que président de la République. Guadeloupe, Saint-Martin et Martinique, il conclut son voyage avec un discours favorable à une évolution institutionnelle des territoires d’outre-mer, en tenant compte de leurs spécificités. Tout en insistant sur les « principes intangibles de la République ». Le 12 mars 2000, à Marigot (Saint-Martin), les discussions portent sur l’impôt. Jacques Chirac veut bien une évolution statutaire mais pas de niche fiscale pour les îles du Nord. Le Président, qui s’en ouvre aux élus locaux au cours d’un déjeuner privé au Beach Plaza, craint une rupture d’égalité entre les Français s’il accorde ce privilège à Saint-Barth et Saint-Martin. Il parle aussi d’une incompatibilité avec les engagements de la France contre la fraude fiscale et le blanchiment d’argent, et confesse avoir été interpellé sur ce sujet par ses homologues britannique et allemand, Tony Blair et Gerhard Schröder. Il enfonce le clou en s’inquiétant d’une présence mafieuse à Saint-Martin et Saint-Barthélemy. « Comprenez que cela ne me fait pas plaisir d’apprendre que 114 pilotes d’Air France sont domiciliés à Saint-Barthélemy, et que M. Berezovski aurait été aperçu dans l’île », lâche-t-il. Boris Berezovski est un homme d’affaires russe mort en 2013, lié au milieu du crime organisé et poursuivi par plusieurs pays. Plusieurs élus de Saint-Barthélemy assistaient à ce fameux déjeuner, dont le maire de l’époque Bruno Magras, le conseiller régional et général Nordleing Magras et le conseiller général Michel Magras.

 

Déclarations fracassantes

Ces déclarations fracassantes avaient mis au jour les dissensions entre Nordleing Magras et Bruno Magras. Le premier jugeait la visite présidentielle positive, expliquant que Jacques Chirac « avait été déçu de prendre une décision de tolérance en 1986 qui s’était transformée en abus ». Nordleing Magras avait insisté sur le fait que la France était critiquée au niveau international justement à cause de la fiscalité îles du Nord. Il s’opposait alors à une évolution statutaire de Saint-Barthélemy, recommandant plutôt de « raser les murs ». Considérant que l’application de la fiscalité française à Saint-Barth serait « une catastrophe », Nordleing Magras était favorable à une refonte du statut de l’île, mais en restant rattaché à la Guadeloupe. Bruno Magras, qui était alors à la fin de son premier mandat de maire, était sorti du déjeuner avec Jacques Chirac en se disant confiant pour un accès de Saint-Barth à plus d’autonomie. Il avait réfuté les propos du président de la République concernant les pilotes d’Air France qui se seraient domiciliés sur l’île pour échapper à la fiscalité française. « Je mets au défi les services de l’Etat de me communiquer une liste de 114 pilotes d’Air France qui auraient leur résidence fiscale à Saint-Barthélemy. Il y en quelques-uns, c’est vrai, et j’en connais qui sont à la retraite. Les Français ont le droit de choisir où ils veulent passer leur retraite. Je préfère avoir des pilotes d’Air France que des sacs à dos qui deux mois après leur arrivée se transforment en dealers », avait-il rétorqué quelques jours plus tard sur les ondes de Radio Saint-Barth. Quand aux soupçons d’une présence mafieuse, il avait contre-attaqué en critiquant « une mafia idéologique » ayant pour volonté de « détruire la réputation de l’île ».

En octobre 2000, l’Assemblée nationale votait en faveur d’une autonomie accrue de Saint-Barthélemy au sein de la Guadeloupe. Un premier pas vers la révision constitutionnelle qui a vu l’évolution statutaire de l’île aboutir.


JSB 1344



Journal de Saint-Barth N°1344 du 03/10/2019

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