Nicole Aussedat, fidèle de Saint-Barth, s’est éteinte à l’âge de 63 ans, le 5 mars 2018, emportée par une crise cardiaque. Le sénateur Michel Magras, son ami, a tenu à lui rendre hommage dans nos colonnes.
“Nicole Aussedat vient de nous quitter brutalement et c’est une perte pour Saint-Barthélemy tant elle s’est investie pour l’environnement ici comme ailleurs. Je souhaite à travers cet hommage que nous gardions son souvenir.
Rebelle certainement, mais jamais agressive, toujours à l’écoute des autres et visionnaire sans doute, elle était une militante de la première heure pour la défense et la protection de l’environnement, engagement qu’elle commença comme animatrice de la campagne présidentielle de Brice Lalonde en 1981 avant de s’engager chez « les Amis de la Terre ».
Avec le recul, je pense qu’elle n’avait ni plus ni moins que trente-cinq ans d’avance sur les « Grenelle de l’environnement » et les politiques de transition écologique et énergétique actuelles.
C’est à la faveur d’un tour du monde qu’elle accostait à Gustavia et décidait de s’y installer et d’y faire vivre ses idées nobles pour la protection de l’environnement en général et de la mer en particulier.
Je remercie encore Raymond Magras de m’avoir présenté Nicole.
Étonnamment, rien dans son parcours universitaire ne la prédestinait à une connaissance si fine de la nature et de sa biologie : elle venait en effet de Sciences Po et d’une formation artistique et partageait son temps entre la restauration des livres anciens et le journalisme.
Mais très rapidement, sa passion pour l’environnement s’est révélée avec des « missions » que lui confiaient la commune d’une part et notre ami commun, Donald Comb (connu sous le nom de « Don »), passionné de sciences et de biologie marine, fondateur et PDG de la NEBF (New England Biolab Foundation), propriétaire d’une villa à Saint-Barth.
C’est avec Jean Aubin et Patrice Gouard que nous avons créé la première association de protection de la nature et de l’environnement à Saint-Barth, l’APNSB. Ensemble, nous avons mené de nombreuses actions afin de sensibiliser les Saint-Barth à la protection de leur environnement. Nous avons ainsi organisé des conférences ou des projections de films, coordonné les premières campagnes de nettoyage de l’île - bord des routes, plages et fonds sous-marins - et d’autres projets pionniers de la politique environnementale associative de l’île.
Par la suite, Nicole fût d’ailleurs missionnée par le maire Daniel Blanchard et par l’APNSB pour écrire le plan municipal de l’environnement dans le cadre duquel notre association impulsa la mise en place de la première politique de valorisation des déchets (tri, collecte sélective, recyclage et valorisation du verre et autres déchets).
Pour la commune, toujours, Nicole conduisit également une étude complète sur l’élaboration d’une politique de transport public terrestre dans l’île. Et plus, récemment, c’est par le CESCE qu’elle fut chargée d’une nouvelle étude sur la problématique du transport public terrestre de personnes.
On lui doit de même les études préalables à la création de la réserve marine et au choix des zones à protéger grâce à des missions financées par Don, qui avait accepté que nous installions chez lui un petit laboratoire scientifique qu’il avait entièrement financé qui permettait aux scientifiques, chercheurs en biologie marine, quelle que fusse leur nationalité, de poursuivre leurs recherches sur place. Ce fut une période ô combien délicate durant laquelle certains nous accusaient publiquement de vouloir mettre en place « un plan d’occupation des mers ».
C’est aussi Nicole qui pilota d’une part la mise en place des trois arrêtés de biotope visant à la protection et préservation des étangs de Saint-Jean, Saline et Grand-Cul-de-sac. Ces arrêtés ont aidé à éviter que l’étang de Grand-Cul-de-sac ne devienne une marina et l’étang des Saline un parc d’élevage industriel de crevettes.
Et d’autre part, l’élaboration du règlement local de publicité instauré en 2003 après plusieurs années de travail. Et à Saint-Barthélemy, elle lança également les premières campagnes de sensibilisation à l’environnement dans les écoles.
Infatigable vigie de l’environnement à Saint-Barthélemy, Nicole Aussedat a tant apporté à l’environnement.
Ce qu’elle avait commencé à Saint-Barth, elle l’a poursuivi à Paris en s’impliquant, d’abord comme bénévole puis comme chargée de mission permanente, au sein de l’organisation « Oceans 2012 », « coalition » créée en 2009 par « PEW Charitable Trust », pour aider à la mise en place d’une nouvelle politique de la pêche à l’échelon européen et mondial. J’ai eu le plaisir de la retrouver en mai 2011 pour un très beau colloque au Sénat. Lorsqu’elle a souhaité entrer comme chargée de mission permanente chez PEW à Paris, à sa demande, j’ai parrainé sa candidature auprès des dirigeants américains et me réjouis d’avoir pu ainsi témoigner de son mérite.
L’investissement de Nicole était porté par de fortes convictions dans lesquelles elle a inlassablement puisé l’énergie de se battre pour ses idées. Elle considérait la pêche électrique comme une hérésie, illustration du mépris du vivant et économiquement déloyale. Elle s’est engagée vigoureusement contre la pêche illégale et contre la pêche au thon rouge. Elle rêvait d’un « traité international sur la haute mer » et militait pour la surveillance par satellite généralisée pour protéger les océans. Nicole estimait qu’il fallait une sorte de Légion d’honneur mondiale, décernée par le pape ou un autre chef du monde.
Elle appréciait tout particulièrement John Kerry, à ses yeux un défenseur d’envergure de l’océan, « we have to do more, faster », Nicolas Hulot aussi, lorsqu’il a soutenu qu’il fallait compléter la devise nationale par les mots « humilité, sobriété et diversité », ainsi que le Pape François pour sa position en faveur de la protection des océans afin de lutter contre la pauvreté et le changement climatique.
Mais malgré tous ses engagements elle n’oubliait jamais Saint-Barth, et au lendemain d’Irma elle écrivait : « Le cyclone Irma démontre que les aménagements anarchiques de territoires ne sont pas tenables dans les îles », et elle félicitait le président de la Collectivité en reprenant à son compte la phrase suivante : « Pas besoin de l’Etat à Saint-Barth, dit son chef ! Seuls, comme des grands ! »
Toujours humble dans sa démarche, Nicole ne cherchait pas à laisser des traces, elle savait bien que seule, elle ne réussirait pas à changer le monde, mais elle se contentait de s’appliquer à elle-même la légende du colibri : « Je le sais, mais je fais ma part ». ”
Michel Magras