Il y a 140 ans, les habitants de l’île ont massivement voté pour redevenir des Français. Mais si la rétrocession n’avait jamais eu lieu, Saint-Barth serait encore aujourd’hui sous pavillon jaune et bleu, et parlerait un tout autre langage… Petit exercice d’imagination.
Varför inte ?* Que serait Saint-Barthélemy aujourd’hui, si l’île était restée suédoise ? Difficile à dire avec certitude, d’autant plus qu’il ne reste au royaume aucun territoire des rares qu’il a colonisés entre le XVIIe et le XVIIIe siècle. Mais rien ne nous empêche d’imaginer.
Il paraît certain que l’aéroport aurait gardé son nom de Gustaf III, n’en déplaise aux admirateurs de Remy de Haenen… Et les rues de Gustavia ne comporteraient que les plaques suédoises qui demeurent aujourd’hui, comme Östra Strandgatan, ancienne rue du Général-de-Gaulle.
Gréaux, Aubin, Milander et Plagemann
Aux noms de familles des Saint-Barth originels se seraient mêlés ceux des descendants des premiers Suédois établis sur l’île, comme les Milander, habitants très modestes de Gustavia ; Andersson, un sergent qui poignarda un homme lors d’une fête en décembre 1820 ; Bergsted, ex-juge installé à Saint-Jean ; Plagemann, famille qui perdit une fille de 15 ans dans un cyclone ; et pourquoi par Norderling, du nom du dernier gouverneur suédois de Saint-Barthélemy.
Peuplée d’une vaste communauté suédoise, le paysage politique en aurait été changé: on peut imaginer une campagne électorale opposant le Saint-Barth Bruno Magras à Nils Dufau, soutenu par la couronne pour, au lieu de présider l’Asbas (Association Saint-Barth des Amis de la Suède), devenir gouverneur de l’île… D’ailleurs, pas d’Asbas dans ce Saint-Barthélemy imaginaire, mais une Asbaf, pour les amis de la France. L’île aurait pu se jumeler avec une commune française qui lui ressemble. Pourquoi pas l’île de Ré ou Belle-Ile-en-Mer ?
Au lieu du consul suédois Dantes Magras, la couronne aurait permi l’installation d’un consul de France, en l’honneur du passé bleu-blanc-rouge de Saint-Barthélemy. Il aurait sans doute eu un rôle déterminant dans les relations avec les îles voisines.
L’Histoire
Alors que l’île s’apprête à rendre hommage aux morts de la Première guerre mondiale, et notamment aux cinq Saint-Barth qui ont quitté l’île pour se battre sur le continent, le 11 novembre prendrait un tour tout à fait différent dans une nation suédoise : cette dernière a conservé une position de neutralité durant la Première et la Deuxième guerre mondiale. Idem pendant la guerre froide. Elle n’est, aujourd’hui encore, membre d’aucune alliance militaire.
En 1995, le royaume a rejoint l’Union européenne. Saint-Barth serait sans doute, comme elle l’est aujourd’hui, un PTOM. En revanche, la monnaie en vigueur serait la couronne suédoise, beaucoup moins répandue que l’euro… Elle vaut, à l’heure où nous écrivons ces lignes, 0,11 dollars américains.
Coutumes et religions
La Suède est un pays de religion protestante (plus exactement évangélique luthérienne), contrairement à la France et à Saint-Barth, de racines catholiques. Deux confessions qui malgré l’historique chargé (et le nom de l’île rappelant un sinistre épisode) ont cohabité apparemment sans heurt sur le caillou tout au long de la période suédoise (1785-1878). Les Saint-Barth sont restés fidèles à leur église, les Suédois les ont laissés faire, s’occupant de leur propre culte. Cette harmonie se serait prolongée jusqu’à aujourd’hui.
La fête nationale serait célébrée le 6 juin, et d’autres festivités nationales garniraient l’agenda de Saint-Barthélemy : la Midsommar, fête du solstice d’été qui consiste à dresser un arbre de mai, danser et chanter pour le retour des beaux jours, avec force costumes traditionnels. A la fin de l’été, le Kräftskiva, festin d’écrevisses, serait adapté avec une razzia de langoustes…
Moins d’inégalités
En Suède, les inégalités sont beaucoup moins prégnantes qu’en France, à tous les niveaux : pas de sans-abri dans le royaume, et un peuple qui goûte peu au « bling-bling » et à la richesse ostentatoire. C’est aussi une nation en avance sur le monde en ce qui concerne la parité et l’égalité hommes-femmes, notamment grâce à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Avec cette culture, Saint-Barthélemy aurait forcément sa crèche, où l’on trouverait autant de jeunes pères que de jeunes mères… Et les entreprises suivraient le mouvement : pourquoi pas une garderie d’entreprise pour les salariés de l’Eden Rock ou du Cheval Blanc ?
Durable
Ce pays nordique est un pionnier en matière de développement durable ; 12,5 % de sa consommation électrique vient de l’éolien. Nul doute qu’à Saint-Barth, les moteurs diesel de Public auraient fait long feu, remplacés par du solaire et de l’éolien à haute dose.
Les transports en commun de tous types sont aussi très développés : les rues sinueuses de l’île seraient certainement parcourues par une navette, un petit bus, ou autre. Même chose pour le vélo : des pistes cyclables borderaient toutes les routes de l’île. Avec, dans les côtes les plus raides, des “ascenseurs à vélo” comme il en existe en Scandinavie.
Une gastronomie bien différente
La « French touch » de Saint-Barth -sa gastronomie française réputée, ses boulangeries et ses vins- serait remplacée par celle des Suédois : saumon gravlax, kalles kaviar (une pâte à tartiner à base d’œufs de cabillaud), légumes racines, et toutes sortes de poissons, souvent fumés ou marinés. Plutôt qu’un verre de rosé, l’apéritif se partagerait autour d’une bière peu alcoolisée, comme la Carlsberg Sverige AB. La vente d’alcool dépend directement de l’Etat, qui a fixé des règles strictes : vente interdite aux moins de 20 ans, le dimanche et en soirée pour tous, et vente à l’unité uniquement. Skål !**
Une villa pour Zlatan
Bien sûr, pour relier Saint-Barth au continent, la SAS (Scandinavian Airlines System) aurait mis en place des lignes directes entre Sint-Maarten et Stockholm, permettant de passer en quelques heures, l’hiver, de 27 à -2°C.
Les touristes seraient peut-être davantage issus de Scandinavie et d’Europe du Nord que des Etats-Unis.
Il compte parmi les plus célèbres et fortunés des citoyens de Suède : peut-être qu’un certain Zlatan Ibrahimovic aurait fait l’acquisition d’une belle propriété sur l’île, afin de passer des vacances à discuter football avec le président du club de Chelsea, le russe Roman Abramovic, fidèle de Saint-Barth, avec qui il pourrait s’adonner à quelques parties de pêche au gros.
Détail, mais pas des moindres, le Journal de Saint-Barth s’appellerait sans aucun doute le « Saint-Barth Posten »…
(*) Varför inte ? : Pourquoi pas ?
(**) Skål ! : Santé !
JSB 1302