Le 14 juillet 1993, la bibliothèque et le presbytère de Lorient ont été inauguré simultanément. JSB n°53 du 22 juillet 1993.
Devant l’étagère de livres, Madeleine Stakelborough reste perplexe. « Tu as vu l’ouvrage d’Adrien Questel sur les plantes ? », demande-t-elle à Jean-René Laplace*, retraité et bénévole. Réponse négative, l’ouvrage est absent du rayonnage. « S’il était là, je l’aurais vu directement », assure la bénévole. Ça ne fait aucun doute. Membre fondateur de la bibliothèque St Joseph de Lorient, Madeleine connaît par cœur chaque étagère.
« Madeleine, c’est un pilier de l’île », résume en souriant Lucienne Gréaux, retraité de l’enseignement et aussi bénévole à la bibliothèque. Aux côtés d’autres personnalités de l’île comme Iréné Lédée ou sœur Vincent, Madeleine Stakelborough a participé il y a trente ans à la création de cette bibliothèque. « On voulait seulement essayer de faire quelque chose », se souvient modestement la passionnée de lecture.
Après un lancement difficile dans la maison des sœurs, l’Association culturelle et théâtrale (ACT) pose ses rayonnages en 1992 dans cet abri cyclonique accolé au cimetière de Lorient. « Il y avait des réunions de pêcheurs dans ce bâtiment, on a demandé au maire de l’époque si on pouvait s’y installer », raconte Madeleine en feuilletant un porte-vues rempli de coupures de journaux. Le 14 juillet 1993, Daniel Blanchard coupe le ruban tricolore devant la bibliothèque. Président de l’association à l’époque, Iréné Lédée clôture son discours d’inauguration par ces mots : « Partageons la joie de lire ».
Bibliobus et foires aux puces
Dès son ouverture, la bibliothèque de Lorient, qui fonctionne par dons, propose plus de 3.000 ouvrages dont 800 en anglais à ses adhérents. « On connaissait beaucoup d’Américains, donc quand ils quittaient l’île, ils nous donnaient leurs livres », replace Madeleine. Des livres qui étaient ensuite distribués sur les îles alentours comme Saba, St-Kitts ou Anguilla. « On les envoyaient sur les bateaux qui livraient les légumes, explique la retraitée. Il y avait aussi une dame qui venait en avion de St-Eustache donc elle repartait avec des livres. »
Les bénévoles ne se contentaient pas de distribuer des livres. À bord d’un bus rouge nommé « Bibliobus », ils allaient dans toute l’île à la rencontre des personnes âgées ou incapables de bouger pour leur apporter de la lecture ou des cassettes audios. « Pendant un temps, la municipalité offrait des cadeaux aux personnes âgées, on leur a proposé qu’ils donnent des radios-cassettes, se rappelle Madeleine qui savait intuitivement quelle cassette apporter à qui. On mettait alors des gommettes rouges ou vertes sur « play » et « pause » pour leur faciliter la vie. »
Pour s’assurer quelques revenus l’association organisait régulièrement des foires aux puces ou des dîners de St-Valentin. Pour 250 francs, vous pouviez participer à un dîner animé par le groupe Saline Combo au restaurant La Frégate à Flamands. « C’était pas une histoire d’amoureux, il était seulement question de passer un bon moment », expose avec enthousiasme la retraitée. Un rendez-vous qui a pris fin avec la fermeture successive des restaurants où ces dîners étaient organisés.
14.122 livres
« C’est beaucoup de travail, mais si tu aimes ce que tu fais ça n’a pas de poids », admet la bénévole qui avoue ne s’être jamais assise pour lire un livre dans cette bibliothèque. Après trente ans d’existence et trois réaménagements, l’association compte désormais 14.122 ouvrages. Livres pour enfants, romans policiers, bibliographie, encyclopédies, il y en a pour tous les goûts. Ou presque. « Madeleine, est-ce qu’on a des livres en polonais? », interroge Lucienne pour répondre à la demande d’une saisonnière. « On n’a pas de livres en polonais mais on a des dictionnaires polonais. »
Comme beaucoup de bénévole, Lucienne Gréaux sera présente dimanche pour célébrer les 30 ans de la bibliothèque.
« Il y a de tout dans cette bibliothèque, à condition de savoir ce que l’on veut », s’amuse Madeleine en parcourant les rayonnages. Une richesse mais aussi le plus grand défi pour l’association. « On est dépassé par les livres, confie Madeleine. On a utilisé toute la place qu’on pouvait. » Sans possibilité de les envoyer ailleurs, la bibliothèque se retrouve avec de nombreux ouvrages en double sur les bras.
Un « manque de considération »
Allongé par terre entre deux étagères, Jean-René reclasse dans l’ordre alphabétique les livres de la section historique. « Je suis tout jeune dans la bibliothèque, sourit l’enseignant qui a rejoint l’aventure lorsqu’il a pris sa retraite. Je suis arrivé il y a une dizaine d’années, j’avais besoin de me changer les idées et j’ai toujours aimé les livres. » Une tâche cruciale lui est alors confiée : mettre à jour sur ordinateur tous les livres détenus par la bibliothèque. « C’était l’équivalent de 25 ans de livres, glisse le bénévole. Mais je me sens bien ici. »
A son arrivée en tant que bénévole à la bibliothèque, Jean-René Laplace s’est vu confier la tâche cruciale de mettre à jour sur ordinateur tous les livres détenus par la bibliothèque.
Malgré tout ce travail accompli, Madeleine regrette un « manque de considération » de la part de la population. « Une femme m’a appelé il y a quelques jours pour nous donner des livres, elle m’a dit qu’elle habitait ici depuis dix-huit ans mais qu’elle ne savait pas où on était », s’offusque la bénévole. Une contrariété qui n’entame en rien la motivation de Madeleine. Aménagement des horaires, organisation de journées thématiques, la passionnée a déjà en tête des projets pour l’avenir. Dans un seul but, partager la joie de lire.
* Entre l’écriture de l’article et sa publication, Jean-René Laplace s’est éteint à l’âge de 68 ans. Le temps de cette rencontre, le bénévole nous a transmis son amour pour la lecture et son engagement pour la bibliothèque St Joseph de Lorient.