Saint-Barth - conseil territorial 27 juin 2024 CT

Le président Xavier Lédée a présidé le jeudi 27 juin une réunion du conseil territorial marquée par de nombreuses altercations verbales entre les élus, donnant une image peu mature de la gouvernance actuelle.

Le spectacle navrant d’un conseil territorial à la dérive

 

La réunion du conseil territorial du jeudi 27 juin a pris des allures de règlements de comptes dignes d’une assemblée générale de PME en pleine déliquescence. Une séance qui marque un point de rupture dans une gouvernance gangrénée par les divisions et qui semble être à bout de souffle.

Grotesque. Navrant. Pathétique. Le spectacle donné par les élus du conseil territorial lors de la réunion du jeudi 27 juin a inspiré de nombreux commentaires et autres qualificatifs de la part des citoyens venus assister aux débats. Mais aussi par ceux qui les ont écoutés à la radio ou en ligne. Néanmoins, le mot qui est revenu le plus souvent au lendemain d’une séance qui restera dans les annales de la gouvernance actuelle comme la plus désastreuse est le suivant : honteux. Si la réunion a commencé dans le calme et la courtoisie, l’annonce par le président Xavier Lédée d’une série de questions diverses laissait toutefois deviner un échauffement progressif des débats. Mais personne n’aurait pu prévoir une telle dérive dans les échanges, sur la forme comme sur le fond.

Le jeudi 27 juin, un système de vote par boitier électronique a été utilisé pour la première fois en conseil territorial.

Première fissure
Peu après 17 heures, lorsque le président procède à l’appel des élus, l’atmosphère paraît déjà pesante dans la salle des délibérations de l’hôtel de la Collectivité. Une vingtaine d’administrés a pris place dans l’auditoire. Ils seront près d’une trentaine en cours de séance. Les trois premiers points inscrits à l’ordre du jour, qui en compte neuf, concernent des questions dites de ressources humaines. Deux sont adoptés à l’unanimité (revalorisation de la participation employeur à la protection sociale complémentaire santé des agents, actualisation du régime indemnitaire) quand un (la modification du tableau des emplois) est sanctionné d’un vote « contre » par la sénatrice Micheline Jacques et d’une abstention par Alexandra Questel, deux élues du groupe Saint-Barth d’Abord (SBDA). Survient alors une première marque de discorde, purement politique.
Quand la modification de la constitution des commissions, dont plusieurs élus du groupe Action-Équilibre, initialement dirigé par la première vice-présidente Marie-Hélène Bernier, ont démissionné, Bettina Cointre déclare que les conseillers de son groupe voteront contre. « Tant que monsieur Lédée sera président, nous ne reprendrons par les commissions », lance-t-elle. Lors du vote, les six élus du groupe présidentiel (Xavier Lédée, Caroline Maurel, Mélissa Lake, Marie-Angèle Aubin, Olivier Gréaux et Fabrice Querrard) se prononce favorablement. Les sept élus d’Action-Équilibre (Marie-Hélène Bernier, Bettina Cointre, Maxime Desouches, Pascale Minarro Baudoin, Jonas Brin, Dimitri Lédée et David Blanchard) et les six de SBDA (Romaric Magras, Alexandra Questel, Micheline Jacques, Francius Matignon, Sandra Baptiste et Rudi Laplace) émettent un avis défavorable.
Pour les cinq délibérations suivantes, l’adoption se fait à l’unanimité. Deux pour des affaires administratives (validation de l’étude d’impact pour la nouvelle fourrière, modification du règlement de l’accueil de loisirs sans hébergement), et trois sur des questions foncières (acquisition de parcelles à Petite Saline, projet de maison d’assistante maternelle à Lorient, échange de parcelles à Petit-Cul-de-Sac). Dès lors, le climat va progressivement se dégrader au sein de l’assemblée.

Refus de démissionner
Le président Lédée commence par apporter des précisions sur les raisons de la destruction de l’escalier en béton censé mener à un point de vue à la Tourmente. Il répond également à une question sur les retards de paiements de la Collectivité subis par certaines entreprises, puis sur deux autres portant sur le code des contributions et une autorisation de tournage délivrée à une émission de « télé réalité ». Puis il refuse de lire le courrier qu’il aurait adressé à son directeur de Cabinet, Olivier Basset, pour le rappeler à l’ordre après que ce dernier a pris la liberté de sortir de son devoir de réserve pour invectiver des élus du groupe Action-Équilibre.
Quand Francius Matignon, pour Saint-Barth d’Abord, demande au président s’il n’envisage pas de démissionner, lui faisant remarquer que « la Collectivité ne fonctionne plus », Xavier Lédée réplique et conteste : « Je n’ai pas prévu de démissionner, il faut remettre de l’ordre dans tout ça (…) Beaucoup de choses sont faites. Si dans quelques mois je m’aperçois que les élus votent contre tout, j’aviserai. Mais il n’y a pas de raisons que nous ne puissions pas travailler. » Et de prendre en exemple les huit délibérations adoptées au cours de la séance.

Chamailleries de « cour d’école »
« J’ai honte de l’image que l’on a montré ce soir, confesse Romaric Magras. On n’a jamais été une île où il y avait un bordel politique. » Pour le chef de file du groupe Saint-Barth d’Abord, la Collectivité se trouve « dans l’impasse ». Pour lui, deux solutions existent pour en sortir.
Le vote d’une motion de défiance pour destituer le président ou la démission de l’ensemble des conseillers territoriaux pour organiser de nouvelles élections. « Soit on démissionne, soit on continue de se chamailler comme dans une cour d’école jusqu’en 2027 », gronde-t-il. Aucun conseiller ne répond. Sauf un ou, plus précisément, une : Caroline Maurel. « Après ce que j’ai vu ce soir, je démissionnerai si les prochains conseils sont du même tonneau », prévient-elle.
Quant aux administrés constituant l’assistance, s’ils semblaient consternés par le spectacle, ils n’ont exprimé qu’une seule préoccupation en fin de séance : la peur née des récents actes de criminalité commis sur l’île. Un sujet bien concret et très éloigné des petites guerres intestines que se livrent les élus.

 

Un escalier à plus de 70.000 euros


Au cours de la séance des questions diverses, le président Lédée a été interrogé sur les raisons de la destruction de l’escalier qui vient à peine d’être construit à la Tourmente afin d’accéder à un point de vue qui surplombe la piste de l’aéroport. « C’est une erreur d’avoir construit dans cette zone (qui est protégée, ndlr) », admet Xavier Lédée, qui ajoute que « malheureusement », ni la commission d’urbanisme, ni le conseil exécutif et les architectes n’ont relevé le fait que le site se trouve en zone protégée. De plus, comme indiqué dans notre précédente édition (JSB 1573), l’escalier a été coulé sans respecter les normes qui obligent de prévoir un palier toutes les 25 marches. Il a donc fallu le détruire à coups de marteaux piqueurs. Sa construction a coûté 45.000 euros, assure le président, qui ajoute que les frais supplémentaires devraient s’élever à « environ » 30.000 euros. De plus, un élu remarque que le projet initial prévoyait la construction d’un escalier en… bois. « J’étais resté sur l’escalier en bois et je n’ai pas vérifié que le projet qui nous était présenté ne correspondait pas à l’idée de départ », reconnait le président Lédée.

 

 


Les conclusions de l’enquête pour « harcèlement moral »

Lors du conseil territorial, le président de la Collectivité a été questionné sur le retrait de la délégation « police et sécurité » à sa première vice-présidente, Marie-Hélène Bernier, par un arrêté daté du 29 décembre 2023. Pour justifier sa décision, Xavier Lédée a évoqué l’enquête administrative qui a été menée en interne sur le signalement adressé par Benjamin Vigneron, alors collaborateur de Marie-Hélène Bernier, pour des faits supposés de harcèlement moral. Le président Lédée a ensuite affirmé que les conclusions de la commission d’enquête, rendues le 28 mars dernier, ne sont pas « aussi claires que ce qui a été mis dans le journal », qui a relaté le contenu de celles-ci dans un article (JSB 1560).
Par conséquent, et par soucis de clarté, voici les conclusions – dans leur intégralité – de l’enquête diligentée par le Centre de gestion de la fonction publique de Guadeloupe. Celle-ci a été conduite, en deux séquences, par des avocates du barreau de Guadeloupe (Maîtres Nelly Zouzoua et Johanna Mathurin), épaulées ensuite par Samuel Deliancourt, premier conseiller à la Cour administrative d’appel de Lyon. Leurs billets d’avion et leurs séjours ayant été payés par la Collectivité territoriale. Pour une facture supérieure à 27.000 euros. A celle-ci s’ajoutent les frais d’avocat de Marie-Hélène Bernier, qui sont pris en charge au titre de la protection fonctionnelle dont elle a bénéficié après la fin de l’enquête.
A Saint-Barthélemy, les deux avocates et le magistrat ont procédé à l’audition d’élus et d’agents de la Collectivité, soit une vingtaine de personnes. Leurs conclusions ont été rédigées comme suit et signées de leur main au bas d’un rapport long de 38 pages.
« Les faits dénoncés par M. Vigneron témoignent d’une souffrance indéniable au travail en raison des rapports professionnels entretenus à partir du premier semestre 2023 avec Mme Bernier en raison notamment du comportement comme du positionnement de cette dernière vis-à-vis de l’autorité territoriale. Sa situation s’est, par la suite, avérée délicate en raison du poste de collaborateur du cabinet de M. Vigneron mais travaillant contractuellement sous les ordres de la première vice-présidente.
Pour autant, ressentis, tensions et mal-être ne sauraient suffire à qualifier les faits dénoncés comme constitutifs de harcèlement moral, c’est-à-dire excédant l’exercice normal du pouvoir hiérarchique de manière répétée et fautive à l’égard du travailleur qui dénonce les faits.
D’une part, si M. Vigneron relate dans son courrier daté du 5 décembre 2023 et a corroboré lors de nos entretiens la relation qui s’est tendue au fil des mois avec Mme Bernier, aucun élément réel et tangible ne permet d’établir des faits de harcèlement à son égard. Quelques écarts de langages et un ton plus fort, voire véhément, ne suffisent pas ici à y voir un tel comportement.
D’autre part, les deux réunions qui sont les deux points forts et moments clés dénoncés permettent seulement d’y voir la manifestation de tensions.
La vingtaine de personnels et élus qui a eu l’obligeance, la courtoisie et à cœur de se rendre aux invitations de la commission n’a pas permis d’apporter des faits susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement.
Dans ces conditions, s’agissant des faits dénoncés, leur matérialité ne peut être tenue pour établie. »


De collaborateur de cabinet à lanceur d’alerte

Au cours de l’enquête administrative menée à Saint-Barthélemy, le collaborateur de cabinet de la première vice-présidente a été affecté temporairement au cabinet du président, Xavier Lédée. Or, depuis le rendu des conclusions, il n’a pas réintégré son ancien poste. La question de son affectation et de la légalité de sa rémunération a donc été soulevée en conseil territorial.
« J’ai indiqué à Benjamin Vigneron que je ne souhaitais pas le conserver sur ce poste (chargé de mission auprès de Marie-Hélène Bernier, ndlr) », déclare Xavier Lédée, qui ajoute : « Madame Bernier m’a indiqué qu’elle ne voulait pas qu’il retrouve son poste et qu’elle souhaitait qu’il soit renvoyé. J’ai fait les démarches auprès du Centre de gestion. On m’a expliqué qu’en l’état, il n’était pas possible de licencier Benjamin Vigneron parce qu’il était placé sous le statut de lanceur d’alerte, compte tenu d’éléments qui ont été fournis dans ses différents écrits. Cela oblige la Collectivité à lui proposer un poste. Ensuite, libre à lui d’accepter ou de refuser. En fonction de ce retour, les choses pourront avancer. »

« Foutages de gueule »
Visiblement stupéfaite, Marie-Hélène Bernier demande au président de transmettre les textes qui régissent le statut de lanceur d’alerte aux élus. « Ce n’est pas un texte, c’est une conversation téléphonique qui a été faite en présence… », Xavier Lédée est interrompu par la     première vice-présidente. «Ah oui, comme le fameux indicateur de l’ARS (agence régionale de santé, ndlr), lance-t-elle. Les foutages de gueule, ça va aller deux minutes ! Ça fait un quart d’heure que tu prends les gens pour des imbéciles. » Marie-Hélène Bernier accuse alors le président de n’avoir qu’un seul objectif, « l’enfoncer ».

Des faits mystérieux
Maxime Desouches, quatrième vice-président, s’efforce de recentrer le débat et explique : « Le statut de collaborateur de cabinet est basé sur la confiance. A partir du moment où il y a rupture de confiance, la rupture de travail doit être faite de façon instantanée, sans compensation et sans partir dans ces histoires de lanceur d’alerte. Ce n’est pas un agent de la Collectivité en tant que tel. »
Xavier Lédée affirme alors que « ce n’est pas sur ces faits (de harcèlement moral, ndlr) que la notion de lanceur d’alerte se pose ». Et d’évoquer « deux autres faits » mais dont il ne « souhaite pas parler publiquement ». Pour ce faire, il exprime la volonté de réunir tous les élus autour d’une table. « Je ne souhaite pas m’étendre sur les éléments qui ont été apportés et que personnellement je considère devoir prendre en compte », ajoute-t-il. Par conséquent, le mystère sur les raisons de l’obtention de ce statut de lanceur d’alerte – selon Xavier Lédée – par l’ancien collaborateur de cabinet de Marie-Hélène Bernier reste entier.
Pour information, un lanceur d’alerte, selon le site « service public », est un agent (fonctionnaire ou contractuel) qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des faits constitutifs d’une infraction. Un signalement qui peut porter sur des faits constitutifs d’un délit ou d’un crime, d’une menace ou d’un préjudice pour l’intérêt général, sur « une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation » du droit européen, de la loi ou du règlement, ou sur « une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation » d’un engagement international ratifié ou approuvé par la France. Il est précisé que « le lanceur d’alerte ne peut pas faire l'objet d'une mesure discriminatoire ou disciplinaire en raison de son signalement ». Une des résultantes de son statut est qu’il ne peut voir son contrat résilié ou annulé. En cas de faux signalement, il risque cinq ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende.

Journal de Saint-Barth N°1574 du 04/07/2024

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