Le hangar à avions avait vu sa grande porte détruite par Irma en 2017. Quitte à la reconstruire avec un nouveau modèle, la Collectivité a agrandi les locaux qu’elle loue à Saint-Barth Commuter, à l’arrière. Mais une délibération votée il y a vingt ans par le conseil municipal impose que tout aménagement soit précédé d’une étude. Etude qui n’a jamais été entamée.
Le tribunal administratif avait donné partiellement raison à Maxime Desouches sur l’irrégularité de la construction d’une extension pour le hangar à avions, en 2018 (JSB 1371). Le juge avait laissé un délai au conseil territorial pour régulariser les choses, ce qui a été fait vendredi 17 avril au terme d’un long débat.
Le marché public passé par la Collectivité était irrégulier car en l’an 2000, le conseil municipal avait décidé que toute nouvelle construction sur la zone de l’aéroport devrait être précédé d’une étude d’aménagement, qui recenserait les demandes de l’ensemble des sociétés y qui travaillent. Cette étude annoncée il y a vingt ans n’a finalement jamais été amorcée.
Pour autant, la délibération de 2000 étant toujours valable, la Collectivité aurait dû avant d’agrandir le hangar à avions soit mener l’étude, soit l’annuler par décision du conseil territorial.
Sophie Durand-Olivaud, directrice des services techniques, rappelle aux élus le contexte : la porte du hangar a été détruite par Irma en 2017. Elle devait donc rapidement être remplacée, et le choix s’est porté sur un modèle différent : une porte à trois pans coulissants. Qui pour s’ouvrir entièrement, ont besoin de s’appuyer sur quelque chose, une structure béton. Quitte à construire une telle structure, la Collectivité a décidé, sur une suggestion de Saint-Barth Commuter, de bâtir une extension pour le hangar, derrière la porte, une demande de longue date de la compagnie aérienne locale. Celle-ci paie un loyer à la Collectivité pour ces locaux (pour 97.000 euros par an). Une partie est louée par un mécanicien indépendant.
« Cette extension n’a pas porté atteinte à la zone aéroportuaire, puisqu’elle comptait 19 places de stationnement avant, et elle en compte toujours 19 aujourd’hui », souligne d’emblée Nicole Gréaux, première vice-présidente. C’est elle qui a conduit le débat, comme pour chaque sujet portant sur l’aéroport, afin d’éviter tout risque de conflit d’intérêt de la part de Bruno Magras, fondateur de Saint-Barth Commuter et père de l’actuel dirigeant. Nicole Gréaux suggère que Maxime Desouches quitte lui aussi la salle : il est également usager de l’aéroport de part sa profession, et partie prenante dans l’affaire judiciaire. Refus tout net de l’élu Saint-Barth Autrement, qui tient à présenter sa vision des choses à ses collègues.
« En vingt ans, on ne m’a jamais rien proposé »
« Aujourd’hui, on veut annuler cette étude qui n’a jamais été réalisée, mais qui a servi d’argument pour refuser d’accéder aux demandes de tous ceux qui travaillent à l’aéroport. » Pour lui, l’option d’une porte coulissante, officiellement motivée par la simplicité d’utilisation et le coût restreint, est « une excuse pour pouvoir aménager le plus discrètement possible une extension à ce bâtiment. La véritable raison de ce choix de porte était de pouvoir agrandir le hangar. »
Mécanicien et pilote, Maxime Desouches avait formulé il y a plusieurs années une demande officielle à la Collectivité afin de louer un espace au sol, sur lequel il installerait un hangar léger, facilement démontable en période cyclonique. « Tout est rejeté systématiquement. En vingt ans, on ne m’a jamais rien proposé. Et là, ça aboutit en quelques mois ! »
« Horrifiée d’entendre ça », Sophie Durand-Olivaud assure qu’il n’avait « jamais été question de cette extension avant la destruction de la porte. Il y avait une nécessité de reconstruction, et comme la porte coulisse, on avait de l’espace perdu derrière. C’est la porte qui a généré une extension, pas l’inverse. »
Alors que Maxime Desouches tient à aller au bout de son explication, Seraphyn Danet (Saint-Barth d’Abord) s’agace : « Le tribunal administratif n’a pas remis en question l’ouvrage en lui-même. Il a donné un avis impartial, pas la peine de sortir les dossiers ! » Il hausse les sourcils : « Tu as mal lu, le marché a été annulé par le tribunal, sauf si on régularise. » Il certifie que la Collectivité aurait pu faire coulisser la porte de l’autre côté, côté descente des avions, ce qui aurait évité l’agrandissement du hangar. « Mais c’est impossible, c’est en plein dans le passage aérien ! » s’exclame Seraphyn Danet, appuyée par Romaric Magras: « Pas besoin d’avoir fait l’ENA pour constater qu’on ne peut pas ouvrir la porte de l’autre côté... »
Une étude ou pas ?
Hélène Bernier (Saint-Barth Autrement) pose la question qui la turlupine : « Plusieurs compagnies, ainsi que des privés et des travailleurs utilisent l’espace aéroportuaire. En 2000, on demande une étude d’aménagement, pourquoi cela n’a jamais été fait?» Peu de gens présents aujourd’hui dans la salle y étaient déjà il y a vingt ans. «En 2000, il était question de construire un second hangar à côté de l’actuel. C’est différent d’une extension, d’où la volonté d’une étude. A cette époque-là, on venait de récupérer les routes, la station d’épuration… L’étude n’était sans doute pas une priorité », répond Sophie Durand Olivaud. Elle rappelle que la construction appartient à la Collectivité, et que les élus peuvent en disposer comme ils le souhaitent. Seraphyn Danet : « Maxime, tu es animé par l’amertume ! C’est un aménagement public, il n’est pas réservé à Saint-Barth Commuter. »
Xavier Lédée (Unis pour Saint-Barthélemy), s’étonne : « Une étude avait été décidée en 2000, les travaux d’extension du hangar ont été lancés en 2017. Entre-temps, il y a bien eu d’autres demandes. Personne ne s’est penché sur le sujet ? Est-ce que ce n’est pas l’occasion, aujourd’hui, de lancer cette étude d’aménagement ? » « Le tribunal administratif nous demande de régulariser la situation, pas de commander une étude», répond Nicole Gréaux, qui laisse la porte ouverte : « Mais pourquoi pas, dans un second temps. » Alfred Brin, conseiller exécutif, tranche : « Je considère qu’il n’y a pas besoin d’une étude pour une simple extension.»
Nicole Gréaux sollicite le vote du conseil : le marché public est régularisé avec trois abstentions (Xavier Lédée, Patrick Bordjel par procuration, et Bettina Cointre) et deux voix contre (Maxime Desouches, Hélène Bernier).
Là dessus, Bruno Magras revient dans la salle : «C’était long ce débat ! » Et d’annoncer fièrement que la date du jour, le 17 avril, sonne justement le 25e anniversaire de la compagnie qu’il a fondée, Saint-Barth Commuter.